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La communauté de fans à l’ère de la convergence technologique et culturelle par Mélanie Bourdaa.

Mélanie Bourdaa est maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Bordeaux Montaigne et chercheuse au laboratoire MICA. Elle analyse notamment la réception des séries télévisées américaines contemporaines par les fans (Fans studies) et les stratégies de productions (Transmedia storytelling).

Vers de nouvelles théories des fans studies ?

Henry Jenkins, professeur de communication, de journalisme, et de cinéma à l’Université de Californie du Sud, est le pionnier des fan studies avec son étude sur les Trekkies dans laquelle il a mis en évidence les différentes activités auxquelles s’adonnent les fans de la série Star Trek. Il a ainsi donné une légitimité aux pratiques des fans qui étaient jusqu’alors dépréciées dans le monde de la recherche universitaire. En France, malgré un retard par rapport aux pays anglo-saxons, de plus en plus d’études voient le jour comme en témoignent notamment les travaux de Mélanie Bourdaa sur les fans des séries télévisées, ceux de Sébastien François et Martin Martial sur les fan fictions ou encore ceux de David Peyron qui a choisi de se centrer sur l’étude de la culture geek. Le chercheur universitaire se place dans la posture d’un aca-fan en intégrant la communauté de fans pour recueillir des informations fiables. Il doit conserver une distance critique tout en participant à la vie communautaire des fans.

On constate un changement dans les études de fans avec l’apport des technologies numériques. Ainsi, l’importance de la communauté est exacerbée comme le soulignent notamment les chercheurs américains Nancy Baym et Andrew Ross. Roberta Pearson et Franck Rose ont démontré qu’il existe un nouveau rapport entre production et réception tandis qu’on assiste également au phénomène du forensic fandom  (étudié par Jason Mittel).

Ces différents chercheurs ont mis en évidence que les activités des fans peuvent être complémentaires. Mélanie Bourdaa en propose une typologie détaillée en cinq points :

1. Activité de création du lien social 

Les fans aiment se retrouver dans la vraie vie et pratiquer le cosplay, le sigle « IRL » (In Real Life) peut alors être utilisé par ces derniers pour désigner ce type de rencontre. Le cosplay consiste à se déguiser en un personnage de fiction notamment lors de festivals ou de conventions de fans tel le Comic Con de San Diego (qui est aussi décliné dans différents pays).

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                                               Cosplayers lors du Comic Con de San Diego

Aujourd’hui, les fans se sont réappropriés les réseaux sociaux : ils peuvent revisionner des séries, ou certains passages de celles-ci et discuter de la façon dont ils les réceptionnent. On assiste ainsi au phénomène du live-tweeting, soit des tweets postés en direct durant le visionnage d’un épisode. Les réseaux sociaux peuvent aussi permettre aux fans de se mobiliser face à la décision d’une chaîne de télévision qui souhaite interrompre la diffusion d’une série. Grâce à la mobilisation des fans, la Fox Broadcasting Company a ainsi renouvelé la série Fringe.

2. Activité de médiation

Les activités de médiation supposent un partage d’informations de la part des fans. A partir des années 1930, des magazines nommés fanzines apparaissent et permettent de fédérer des fans autour d’une oeuvre. Avec l’arrivée d’Internet, on assiste à une abolition de l’espace-temps au niveau des pratiques. Les fans n’hésitent pas à se partager des épisodes via les réseaux peer-to-peer ou avec les réseaux streaming générés par les uploaders.

Le phénomène du fansubbing est une des principales activités des fans sur Internet. Il consiste à télécharger des copies illégales d’un film étranger, d’une série ou d’une émission télévisuelle, de les sous-titrer et de les partager afin de les faire connaître au public de son pays.

Cette pratique est née dans les années 1980 avec les mangas. Des équipes (appelées des teams) deviennent alors des fansubbers en traduisant et en partageant des oeuvres. Elles agissent comme des médiateurs culturels car elles font connaître des séries, en dehors des limites du pays d’origine et proposent des traductions de termes qui n’auraient pas forcément d’équivalents dans la langue française.

3. Activités  d’« intelligence collective »

Issue du concept de Pierre Levy, l’intelligence collective est liée aux évolutions des nouvelles technologies qui favorisent des fonctionnements relationnels inédits et permet l'émergence d’un espace de communication interactif et communautaire. 

Ces activités  d’ « intelligence collective » sont favorisées par la sérialité augmentée (le phénomène du Transmedia Storytelling dont parle Henry Jenkins en 2006), soit une extension de la narration  et de l’univers fictionnel sur plusieurs médias. A partir des wikis, des fans vont mettre en place des encyclopédies collaboratives d’univers sériels, tels Lostpédia (série Lost), FringePedia (série Fringe). Cela permet aux autres fans de se placer dans une position d’archéologue (fouille des plateformes) ou de cartographe (recherche dans différentes plateformes).

4. Activités de créations autour des contenus

Les activités de créations consistent en l’écriture de fan fictions, des écrits réalisés par des fans qui tournent autour des oeuvres qu’ils aiment ; il y a un mélange de fascination pour celles-ci mais également de frustration. Ainsi, le fan présente sa manière de voir l’histoire en la continuant ou bien encore en la réécrivant. Sur fanfiction.net, il y a beaucoup de shipping, des écrits de fans qui mettent en scène des personnages dans une relation amoureuse fantasmée. L’écriture de fan fictions exacerbe l’expression de soi.

Cette vision créative du fan se manifeste également par la création et le partage de Tumblr sur une série ou plusieurs personnages. Les fans peuvent ainsi créer des animations vidéos (gifs) ou des images (mèmes) issues, par exemple, d’une série, et qui jouent souvent la carte de l’humour.

La création autour des contenus engendre ainsi une extension de l’univers, et favorise ce que Henry Jenkins nomme, en 2011, le phénomène de performance. Les fans s’emparent des supports médiatiques et créent eux-mêmes leur propre performance créative. On retrouve des exemples avec les comptes Twitter dédiés aux personnages de la série Mad Men (où des fans tweetent les pensées des personnages) ou encore les réalisations de fan films extensifs à l’univers de J.R.R Tolkien : The Hunt for Gollum  et à celui  de George Lucas : Darth Maul : Apprentice.

5. Activité d’engagement civique 

Les fans peuvent aussi se caractériser par un esprit d’engagement qui les conduit à militer non seulement pour sauver des séries, mais également pour défendre des valeurs de la vie réelle comme la campagne de lutte contre la faim initiée par la communauté Harry Potter Alliance : Hunger is Not a GameLes fans apportent ainsi une nouvelle vision du changement social. 

Harry Potter Alliance soutient également des valeurs véhiculées dans les livres de la saga Harry Potter à travers diverses causes : diversité culturelle, droits des homosexuels…

Comme le souligne Henry Jenkins, la « culture de la participation » des fans conduit à un engagement civique. Elle favorise aussi un soutien important à la création et au partage de celle-ci. Elle favorise aussi une forme de mentorat entre fans, où les plus initiés « forment » et transmettent leur savoir aux fans novices.

France-Neige Dalleau et Amélie Lafleur

 Sources photos :

      Flickr .com :

  • Comic-Con San Diego 2011 : Batman, Robin and Joker by Simbu 123
  • Comic-Con San Diego 2013-2014 : Indiana Jones, Grail Knight and Henry Jones by Mooshuu  
  • Comic-Con San Diego 2011 : Buzz Lightyear and Woody Girls by The Conmunity Pop Culture Geek

 Ressources :

Dernière modification le jeudi, 19 mai 2016
Amélie

Etudiante à l'Espe d'Aquitaine