La question des flux mériterait un débat à soi toute seule, en ce qu’ils contribuent nécessairement, en mobilisant l’intelligence collective née des échanges et des collaborations en ligne, à l’enrichissement permanent des contenus d’enseignement. De même, les questions de la redéfinition des services et des missions des enseignants et de la modification de l’architecture et des espaces d’enseignement, pour n’évoquer que ceux d’entre eux qui sont internes à l’école, sont au cœur de la révolution numérique. Toutes ces questions étaient abordées, bien sûr, dans un de mes derniers billets, là où je proposais moi aussi un plan pour construire l’école numérique (1).
Mais attardons-nous un instant sur les temps scolaires…
L’emploi du temps des élèves dans les murs
Soyez-en certains : dans quelques années, vous ne verrez plus cela, une suite lancinante de cours formatés de 55 minutes… pour un groupe uniforme d’élèves, pour toute l’année. Ces cours sont aujourd’hui naturellement entrecoupés de quelques courtes pauses dont le repas de midi, voire de « trous » comme on dit, et suivis des traditionnels devoirs à la maison. C’est vrai, le schéma standard ci-dessus concerne plus les collégiens ou les lycéens mais, même si les séquences de cours au premier degré sont souvent plus courtes, les emplois du temps sont tout aussi rigides et formatés. Quant aux devoirs à la maison, même s’ils sont en principe interdits, on sait bien qu’ils sont la règle à ce niveau-là.
Tout cela va disparaître. Naturellement. Sous l’effet conjugué des croisements interdisciplinaires ou transdisciplinaires, de la généralisation des formes diverses d’accompagnement personnalisé pour des groupes changeants, de la renaissance probable des dispositifs mettant en œuvre des démarches de projets collectifs pouvant ressembler aux itinéraires de découverte, aux travaux personnels encadrés, aux enseignements d’exploration ou aux projets pluridisciplinaires à caractère professionnel des lycées professionnels…
Au premier degré, le professeur des école sera encore sans doute pour un bon moment seul en charge de ces nouvelles formes d’enseigner. Sans doute lui faudra-t-il davantage échanger avec ses collègues en charge d’autres élèves pour des regroupements différents plus adéquats à la remédiation des difficultés scolaires… Même si, en conséquence, les jeunes élèves auront de fait plusieurs maîtres, il restera un maître référent, dont la stature présentielle permanente est importante pour ces jeunes élèves.
Au second degré, sans doute, s’ils ne changent pas, les professeurs — je me refuse à les savoir agrégés ou certifiés, tant la persistance de cet archaïsme dual n’a plus le moindre sens commun — devront-ils être secondés par des enseignants en capacité d’encadrer ces nouveaux enseignements dont la forme, la fréquence et le nombre sera décidé en équipe.
Sans doute enfin, pour ne parler que de l’emploi du temps des élèves, faudra-t-il prévoir des interventions de professeurs documentalistes et de personnels d’éducation et d’orientation.
L’enseignement au-delà des murs de l’école
Les moments d’enseignement ou d’apprentissage hors les murs de l’école vont se multiplier.
Avec les espaces de travail collaboratif en ligne, qui seront nécessairement plus ouverts et plus productifs qu’ils ne le sont aujourd’hui — ressembleront-ils peu ou prou aux MOOC actuels ? —, les moments d’accès aux consignes données ou aux documents déposés pour faire son travail vont se multiplier, sur les smartphones dans les transports ou à la maison, sur les terminaux personnels familiaux.
La multiplication et la mise à disposition, via les espaces précités, de plateformes de formation ou d’éducation en ligne, contenant d’une part des ressources multiples, modifiables, granulaires et intégrables sur des espaces de production et de publication, d’autre part des parcours personnalisés et didactisés, vont contraindre à l’accompagnement tutoré des élèves qui devront s’en emparer.
Parmi les ressources présentes en ligne, chaque élève, à chaque niveau, devra pouvoir accéder à différents médias pour relire tel ou tel point d’une information ou d’un cours, tel son, telle image fixe ou animée…
Un élève devra pouvoir trouver, au moment où il le souhaite, où qu’il se trouve, une ou des réponses à ses questions, celles de ses camarades disponibles comme celle d‘un enseignant spécialiste volontaire et formé pour ce faire. De même, il pourra accéder, selon des conventions à négocier, à des groupes de travail collaboratif, encadrés ou pas, pour produire et publier.
En aucun cas, ces dispositifs d’apprentissage en ligne ne pourront être des facteurs d’aggravation des inégalités. Au contraire, tout sera mis en œuvre pour les réduire.
L’éparpillement et la refondation
On le perçoit bien, l’avenir de l’école, celle d’une école ouverte en accord avec les pratiques sociétales et professionnelles, passe par sa prise de conscience de ses possibilités d’évolution et de ses capacités collectives à les réaliser. Il va de soi que, pour ma part, je soutiendrai toujours une école publique et responsable, capable, par la qualité de son offre de formation, de s’opposer à la marchandisation qui s’annonce.
Mais, vous l’avez compris, pour ce faire, l’école doit prendre en compte l’éparpillement des temps d’enseignement et d’apprentissage, dans et hors l’école, dans et hors les emplois du temps prévus. Pour cela, elle devra faire preuve d’une très grande souplesse dans la définition des temps dans les murs, compte tenu de la nécessité de l’accueil, notamment pour les élèves les plus jeunes. De même, il lui faudra tenir compte des circonstances des difficultés qui se révèlent, au fur et à mesure des apprentissages, pour proposer un accompagnement présentiel riche et adapté.
De même, c’est là un défi formidable, les missions et services des professeurs devront évoluer de manière radicale, parallèlement à l’évolution des examens ou des concours pour les recruter. La diversification et la définition de ces missions fera sans doute l’objet d’un prochain billet tant le sujet est riche de promesses et de valorisation de l’école républicaine. À condition de jouer le jeu…
Le puzzle reste donc à construire.
Enfin, ceux qui imaginent qu’une telle école numérique permettrait de faire baisser les effectifs des personnels enseignants et, ainsi, de faire des économies, se mettent le doigt dans l’œil — une démarche digitale, en quelque sorte. Il convient de le dire et de le redire.
Une discussion toute récente sur un réseau social — coucou Aurélie — m’alerte à juste titre sur le désappointement général de beaucoup de professeurs confrontés à des groupes classes très hétérogènes et surchargés. Dans ces conditions, je cite :
« De nombreux profs enthousiastes et formidables […] ont de moins en moins le temps de s’interroger sur leur pratique, au vu des conditions “bassement” matérielles. Alors que la plupart a envie de varier ses pratiques, ses supports, ses modalités de cours. »
De tout cela, il sera question à Cenon. Débattons-en.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : EJP Photo via photopin cc
1. Mon plan pour l’école numérique connectée, saison 1 en 11 épisodes http://www.culture-numerique.fr/?p=2205