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Par Bacquelé Vanessa, Docteure en sciences de l’éducation, ATER à l’Université Lumière Lyon2 : Le recours aux technologies numériques par les élèves dyslexiques ouvre de nouvelles voies d’accessibilité au langage écrit en leur facilitant l’accès au texte et en assurant des étayages lors du passage à l’écrit.

Le recours à ces outils peut être vecteur de progrès dans la mesure où sont assurées des démarches d’évaluation des besoins de l’élève, où l’acceptabilité sociale des outils numériques est prise en compte et si un soutien à l’usage est pensé par les enseignants dans le cadre d’une pédagogie universelle (transposition dans le contexte éducatif de principes d’accessibilité architecturale visant à anticiper au maximum les besoins).

Au cours de l’année scolaire 2015-2016, 21,9 % des élèves en situation de handicap scolarisés dans le second degré ont bénéficié de matériel pédagogique adapté (DEPP, 2016).

Plus spécifiquement, des ordinateurs auxquels sont adjoints des logiciels spécifiques sont attribués par les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées) aux élèves dyslexiques afin de les soutenir dans leur apprentissage du langage écrit.

Que gagnent alors véritablement ces élèves à utiliser l’outil informatique en lecture et en écriture ? Dans quels contextes et avec quelles démarches leur utilisation est-elle efficace ?

En prenant appui sur des aides technologiques à la lecture, les élèves accèdent plus facilement au texte et à son contenu et la compréhension de celui-ci s’en trouve améliorée. Au niveau de la rédaction de textes, le recours aux outils informatiques permet une meilleure correction orthographique.

Les élèves tirent ainsi parti de ces outils et acquièrent de l’autonomie dans leurs apprentissages et ce, à partir d’une évaluation fine de leurs besoins et grâce à l’élaboration de situations leur permettant la familiarisation et l’acceptation de ces outils dans l’environnement scolaire.

Un accès facilité au texte et à sa compréhension

Lire et écrire sont des activités complexes mettant en œuvre diverses compétences, comme l’identification des mots, la vitesse de lecture, la mémorisation.

Les technologies numériques ont été mises au service des élèves dyslexiques pour les soulager des tâches dites de bas niveau, relatives à l’exploration du texte, souvent coûteuses d’un point de vue cognitif, au profit d’un meilleur engagement dans les tâches de haut niveau, à savoir la compréhension du sens du texte.


L’identification des mots est une des compétences inhérentes à la lecture, posant particulièrement des difficultés aux élèves dyslexiques.

L’adaptation du texte par le biais numérique, en modulant la police de caractères, les espaces entre les mots ou les lignes sont autant de possibilités susceptibles de soutenir les élèves dans le déchiffrage. Ainsi, une étude américaine menée par Schneps et al. en 2013 a testé auprès de 103 élèves dyslexiques du second degré l’usage d’une liseuse électronique. Ils ont constaté que le nombre de mots restreint par ligne permettait une meilleure attention des mots à lire sans que les élèves soient entravés par un environnement visuel plus vaste et dense. De même, Zorzi et al., dans une étude de 2012 auprès de 74 enfants dyslexiques âgés de 8 à 14 ans, montrent que l’accentuation de l’espace inter-lettres pouvait améliorer la qualité de déchiffrage en lecture. 


Au niveau de la compréhension de textes, l’appui sur la synthèse vocale a été beaucoup étudié, notamment dans les recherches anglo-saxonnes.

Les résultats quant à son efficacité sont largement débattus et semblent corrélés à de multiples facteurs. Higgins et Raskind (2005) montrent que des collégiens dyslexiques ont de meilleurs résultats en compréhension lorsqu’ils recourent à la lecture vocale. Gotesman et Goldfus dans une étude de 2010 auprès de 14 étudiants rencontrant des difficultés de lecture ont aussi corroboré l’efficacité des aides technologiques dans la reconnaissance des mots, l'orthographe et la compréhension en lecture.

Par ailleurs, une étude menée par Floyd et Judge en 2012 sur 6 étudiants dyslexiques a aussi mis en avant une meilleure rétention des informations contenues dans le texte lorsque ceux-ci recouraient à la synthèse vocale. En effet, la difficulté de déchiffrage est telle pour certains élèves dyslexiques que l'observation et l'audition du texte les aideraient au niveau de la mémoire à long terme. Il apparaît ainsi que plus la lecture est coûteuse et difficile pour un élève dyslexique, plus le recours à la synthèse vocale influera positivement sur sa compréhension du texte.

Une production de textes plus dense et mieux orthographiée

Pour soutenir la production écrite, il existe de multiples appuis technologiques.

Si le traitement de texte demeure le plus utilisé, les dictionnaires et les conjugueurs électroniques, les correcteurs orthographiques ou encore les logiciels de prédiction lexicale représentent des appuis supplémentaires susceptibles de répondre aux besoins des élèves. 


Le recours au traitement de texte et son impact sur la production des écrits ont déjà été mis en exergue au cours de recherches menées auprès d’élèves ne présentant pas de troubles particuliers.

Une méta-analyse effectuée par Goldberg, Russell et Cook en 2003 à partir de productions d’élèves ordinaires montre en effet que l’utilisation du traitement de texte conduit les élèves à écrire davantage que ceux qui rédigent à la main. De même, Grégoire en 2012, dans son étude doctorale menée auprès de 206 élèves de l’enseignement secondaire explique que l’usage du traitement de texte et du correcteur orthographique améliore les performances en orthographe d’usage. Karsenti (2015) évoque plus particulièrement les effets de la rétroaction constante du logiciel de traitement de textes qui permet non seulement à l’élève de mieux écrire, donc de susciter sa motivation mais aussi de se concentrer sur des opérations plus complexes. Par ailleurs, l’étude conduite par Evmenova et al. (2010) auprès de 6 enfants de 8-9 ans présentant des troubles d’apprentissage met en avant une meilleure efficacité du traitement de texte lorsqu’il est assorti d’une prédiction lexicale et ce, lors de la correction orthographique des écrits produits par les élèves. 


Enfin, dans une recherche doctorale présentée en 2016, Bacquelé a effectué des tests d’écriture auprès de 15 collégiens et lycéens dyslexiques et montré qu’une majorité des élèves testés parvenaient à écrire plus longtemps et donc à fournir des écrits plus denses lorsqu’ils recouraient au traitement de textes. Le recours au correcteur orthographique améliorait quant à lui la correction des écrits mais dans la mesure où la proposition orthographique de l’élève n’était pas trop éloignée de l’orthographe correcte du mot.

Un regain de motivation et un pas vers l’autonomie

Il est reconnu que les difficultés rencontrées par les élèves dyslexiques dans les tâches de lecture et d’écriture sont telles qu’elles génèrent chez beaucoup d’entre eux un sentiment d’incompétence et une dégradation de leur sentiment d’efficacité dans l’apprentissage du langage écrit.

Si les technologies numériques suscitent l’intérêt de la plupart des enfants et des adolescents, elles ont aussi une propension à remobiliser les élèves sur des activités dont ils se sont détournés, renouant avec une nouvelle motivation dans les apprentissages et ce, grâce à un nouveau cadre dynamique de travail.

Mac Arthur (2013) qui a opéré une revue de littérature de plus de trente recherches effectuées entre 1999 et 2011, explique ainsi que l’utilisation des technologies numériques amoindrit les difficultés d’apprentissage du langage écrit en soulageant les élèves des difficultés de transcription en écriture et de déchiffrage en lecture, libérant ainsi les ressources nécessaires pour conduire ces activités de manière plus efficace. Plus récemment, une étude de Najjar (2014) rend compte d’une expérimentation menée auprès d’une centaine d’enfants à qui un ensemble d’équipements et de logiciels a été attribué.

Les analyses opérées montrent elles aussi un regain de motivation et d’investissement des élèves dans les tâches scolaires ainsi qu’une meilleure autonomie. En facilitant les processus d’écriture et de réécriture par le traitement de texte, en proposant des étayages et des révisions de l’écrit via les correcteurs orthographiques ou les rétroactions vocales, la perception de compétence des élèves s’est élevée et a généré une motivation supérieure à celle éprouvée face à un mode de rédaction traditionnel.

Rendre les technologies utilisables et acceptables

Réfléchir l’efficacité des technologiques numériques dans les apprentissages revient à considérer les interactions entre la machine, l’utilisateur et la situation d’apprentissage.

Dans une étude, Messinger-Willman et Marino (2010) ont recensé les obstacles d’ordre institutionnel, situationnel et attitudinal à l’usage des aides technologiques. Il apparaît que les élèves en situation de handicap ne peuvent accéder aux apprentissages par les outils informatiques que dans la mesure où ceux-ci seront compris et maîtrisés par les élèves eux-mêmes mais aussi par les enseignants qui sont appelés à proposer des situations d’apprentissage propices à leur emploi. 


Par ailleurs, Bacquelé (2016) montre que le recours à l’ordinateur en classe peut générer massivement de l’inquiétude et plus précisément une crainte de la stigmatisation chez les élèves dyslexiques, en rendant visible un handicap qui ne l’était pas. Conserver le sentiment d’appartenance dans l’usage d’une aide technologique, ne pas apparaître comme différent, cela semble donc primordial et est aussi mis en avant dans une recherche de Fichten at al. (2013).

Les choix pédagogiques qu’opère l’enseignant s’avèrent alors capitaux : il devient un acteur central dans l’établissement d’un contexte inclusif. La multiplication des situations d’apprentissage au cours desquelles les interactions entre les élèves utilisateurs de leurs outils informatiques et leurs pairs sont possibles peuvent être particulièrement propices à générer un climat de confiance et soutenir par là-même l’usage de la machine en classe.

Conclusion

L’efficacité du recours aux aides technologiques par les élèves dyslexiques pour compenser les difficultés d’apprentissage du langage écrit semble au travers des diverses études recensées, établie. Il apparaît ainsi que les technologies numériques sont susceptibles de faire passer un élève en situation de handicap de l’état de fragilité à l’état de potentialité en lecture et en écriture. 

Cette compensation d’ordre technologique reste néanmoins étroitement corrélée à l’adaptation des situations d’apprentissage par les enseignants prenant en compte la nécessaire appropriation de l’outil et le besoin d’appartenance des élèves. Elle ouvre une voie intéressante dans la réflexion sur la mise en accessibilité des apprentissages et aux nouvelles pratiques inclusives qui restent encore à imaginer et développer.

Bacquelé Vanessa, Docteure en sciences de l’éducation, ATER à l’Université Lumière Lyon2
date de publication : 2017
 
Recommandations
  • Identifier les besoins de l’élève en fonction de ses troubles d’apprentissage et des situations d’apprentissage proposées.
  • Identifier les fonctions d’aide des outils numériques susceptibles de répondre à ces besoins.
  • Favoriser l’appropriation progressive de l’outil numérique.
  • Multiplier des situations d’apprentissage mettant à profit l’usage de l’outil numérique.
  • Promouvoir un climat d’entraide et de coopération au sein de la classe pour mettre en confiance l’élève utilisateur.
  • Engager une relation partenariale avec l’élève pour définir ensemble les meilleures adaptations et lui permettre de mieux identifier ses points forts, ses faiblesses et ses besoins.
  • Évaluer l’efficacité de l’aide technologique en tenant compte du rapport efforts fournis/utilité de la machine.

Bibliographie

  • Bacquelé V. (2016), Thèse de doctorat, « Lire et écrire avec des outils informatiques. Le tissage d’un projet de compensation pour des adolescents dyslexiques ». En ligne sur : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01449610/document
  • Evmenova A. S., Graff H. J., Marci K. J., Behrmann M. M. (2010), “Word Prediction Programs with Phonetic Spelling Support: Performance Comparisons and Impact on Journal Writing for Students with Writing Difficulties”, Learning Disabilities Research & Practice, 25(4), p. 170-182.
  • Fichten C-S. et al. (2013), « Portrait de l’utilisation des TIC par les collégiens ayant des troubles d’apprentissage, les bons lecteurs et les très faibles lecteurs », Pédagogie collégiale, 26 (4), p. 38-42.
  • Floyd K. K. et Judge S.L. (2012), “The efficacity of assistive technology on reading comprehension for postsecondary students with learning disabilities”, Assistive Technology Outcomes and Benefits, 8 (1), p. 48-64.
  • Goldberg A., Russell M. & Cook A. (2003), “The effect of computers on student writing: A meta?analysis of studies from 1992 to 2002”, The Journal of Technology, Learning, and Assessment, 2, (I).
  • Gotesman E. et Goldfus C. (2010), “The impact of assistive technologies on the reading outcomes of college students with disabilities”, Educational Technology, 50 (3), p. 21-25.
  • Grégoire P. (2012), L’impact de l’utilisation du traitement de texte sur la qualité de l’écriture d’élèves québécois du secondaire, thèse de doctorat, Université de Montréal, Canada. Récupéré de Papyrus, site de dépôt institutionnel de l’Université de Montréal : papyrus.bib.umontreal.ca
  • Higgins E.L. et Raskind M.H. (2005), “The compensatory effectiveness of the Quicktionary Reading Pen II on the reading comprehension performance of students with learning disabilities”, Journal of Special Education Technology, 20, p. 29-38.
  • Karsenti T. (2015), Usages didactiques des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour soutenir le développement de la compétence à écrire des élèves du primaire en milieu défavorisé, rapport de recherche dans le cadre du Programme de recherche sur l’écriture. Récupéré du site de Fonds de recherche Société et culture du Québec : www.frqsc.gouv.qc.ca
  • Mac Arthur C. A. (2013), “Technology applications for improving literacy : A review of research”, in Swanson H. L., Harris K. R. et Graham S. (dir.), Handbook of learning disabilities, New York, Guilford Presss, p. 565-590.
  • Messinger-Willman J. et Marino M. (2010), “Universal design for learning and assistive technology: leadership considerations for promoting inclusive education in today’s secondary school”, NASSP Bulletin, 94 (1), p. 5-16.? 
  • Najjar N. (2014), « Troubles Dys : une solution numérique efficace au service des activités d’apprentissage », La Nouvelle Revue de l’adaptation et de la scolarisation, 65, p. 257-264.
  • Schneps et al. (2013), “E-readers are more effective than paper for some with dyslexia”, Plos One, 8 (9).
  • Zorzi M. et al. (2012), “Extra-large letter spacing improves reading in dyslexia”, Proceedings of the National Academy of Sciences109 (28), p. 11 455-11 459.

Voir aussi

Article publié sur le site : https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/la-plus-value-des-technologies-numeriques-pour-les-eleves-dyslexiques.html
Auteur : Bacquelé Vanessa

Dernière modification le vendredi, 05 mai 2017
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Les usages du numérique éducatif : L'Agence nationale des usages du numérique éducatif est un site web de référence qui vise la compréhension des enjeux liés à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants dans un contexte numérique. Cette publication présente une veille sur les outils, ressources, services pédagogiques numériques pour l’Éducation, des résultats de la recherche internationale, des expériences d’utilisateurs dans la conduite des actions d’enseignement et d’apprentissage et une observation en continue des processus « usages » mis en œuvre dans le cycle de vie des projets technico-pédagogiques.

https://www.reseau-canope.fr/actualites/actualite/lagence-des-usages-pour-integrer-le-numerique-dans-sa-pratique.html