Je baigne dans cet univers freinétique, mais suis encore et toujours dans une mouvance expérimentale depuis près de 20 ans. Parallèlement, l'inversion, telle que je la déploie à travers les Tâches Numériques à Domicile, les capsules, les TâCos..., a trouvé sa place petit à petit pour faire partie intégrante de mon enseignement.
Pourtant, je continue à m'interroger régulièrement sur ce dispositif dit de "classe inversée" que je mène depuis la rentrée 2013. La période de Noël fait partie, me semble t-il, de ces moments transitoires vécus plus intensément. Un rite de passage en quelque sorte.
A chaque fois que je m'exprime sur la classe traditionnelle versus la classe inversée, je replonge dans le même dilemme. Suis- je toujours en phase avec les valeurs de coopération prônée par Célestin Freinet? Est-ce que je ne déroge pas à mes propres convictions?
Mais tout d'abord, pourquoi faire la comparaison des 2 puisque, si j'analyse ma pratique, je peux dire que je n'ai jamais fonctionné en classe traditionnelle dans une transmission verticale de savoirs! Les enfants ont toujours été dans un rapport direct aux apprentissages, à mes côtés, en baignant dans les projets les plus divers qui émanent à leurs demandes et selon leurs besoins formulés lors des conseils de coopérative. En fait, je ne fonctionne pas en classe inversée depuis 2013, mais depuis mes débuts!
Le dilemme se situe donc ailleurs: comment puis-je justifier la création et l'utilisation de capsules vidéos, de quizz, selon un modèle transmissif alors que j'abhorre cette "méthode" ou "modèle", termes que je peux parfois lire sur différents blogs ou forums? Je crois que, fondamentalement, en relisant les écrits de Célestin Freinet, je ne crois pas être si hors sujet.
En effet, quand Freinet s'en est pris au manuel scolaire scolaire, ce n'était pas pour écarter le recours aux livres, mais pour les remplacer par une bibliothèque de travail où se côtoient des ouvrages et des documents les plus divers. Je ne me rappelle pas avoir suivi quelconque manuel depuis mes débuts. Si des manuels surgissaient en classe, je les démontais toujours en fichiers, les mélangeais à mes propres outils ou autres supports et les reconditionnais sous différentes formes (pochettes plastiques, fiches plastifiées effaçables, et aujourd'hui, fiches scannées et numérisées). Les fichiers autocorrectifs Freinet, dont je crois posséder toute la panoplie, ne sont plus utilisables du fait de leur utilisation intensive durant des années, mais surtout ils sont inadaptés à mon public en termes de centre d'intérêt. A l'instar des ces outils, les capsules vidéos que je crée font parties aujourd'hui de leur bibliothèque de travail, ici en aide mémoire et ressources, et les fiches de consolidation, d'entraînement...en version numérique et/ou version papier que j'utilise en phase de re-médiation juste avant le plan de travail, sont en adéquation avec la pensée de Freinet. Seul le temps technologique a fait son oeuvre. Donc si je suis mon cheminement, la pédagogie inversée ou renversée n'est en rien une innovation pédagogique dans mon cas personnel, mais uniquement technologique. L'imprimante s'est fait supplantée par le clavier, la lettre aux corres' par les réseaux sociaux, le journal scolaire fait main par le blog, les enregistrements sur bandes par les podcasts et la radio. Ma pédagogie, elle, n'a pas changé. Les ceintures ont été digitalisées et se sont reconverties en badges de compétences, les capsules ont détrôné les fichiers aide-mémoire, les BTJ ont disparu au profit de Vikidia et Wikipédia, les exposés sont augmentés, les sorties et camps peuvent être filmés et diffusés à un plus grand nombre sur une plateforme dédiée etc....
Bref l'inversion est bien là et a toujours été. Et elle commence toujours à leur demande. J'ajoute qu'une observation fine dans une approche clinique est menée afin de définir les objectifs, les compétences, les savoirs théorico-pratiques et les attitudes à travailler, encore une fois en collaboration avec les élèves. Une culture numérique est alors mis au service de leurs apprentissages.
Revenons aux capsules: quand je les crée, la forme et l'usage de telle ou telle application sont pensés et adaptées pour le public accueilli.
Quels leviers en termes de facilitateurs dans l’appropriation de nouveaux savoirs, de nouvelles compétences? La phase de test personnel et de création est primordiale quand je les monte. Je tente de me mettre à la place de l'élève pour anticiper ses réactions. L’inversion se joue donc dans une réflexion et une identification de ma posture vis à vis de l'application et des élèves.
Ici, la dévolution de la tâche s’effectue hors contexte scolaire, sur un temps défini par le jeune. Il s’agit alors pour ma part d’entrer dans une réflexion au niveau didactique: penser la transposition, le contrat, le temps et le milieu. Le concept d’inversion permet-il d’y répondre et de rester en phase avec ma mission, à savoir engager l’élève dans une démarche d’apprenant, de praticien réflexif, d'acteur, d'auteur et de chercheur?
Il me semble pouvoir l'affirmer si tant est:
-que le temps d’enseignement soit en phase avec le temps didactique.
-que le milieu soit suffisamment dialogique, collaboratif et sémiotique au sens de Brousseau.
-que le savoir savant devienne un savoir à enseigner. Il doit avoir subi, pour qu'il devienne un objet d'apprentissage, des transformations afin de le rendre accessible aux élèves.
-que la fonction contenante perdure au delà du temps scolaire.
-que, le soir, lorsque je consulte leur fiche de recherche, je tienne compte de leurs soucis, de leur questionnements et que mes analyses à priori soient réfléchies en amont pour entrer en différenciation, individualisation et personnalisation.
La re-médiation a pour objectif d’accompagner l’élève dans des démarches réflexives autour d'une notion et non de le placer en soutien.
Celle-ci est liée naturellement aux articles du blog de classe et aux chroniques radio créés au fil des projets collectifs et individuels. Les capsules alimentent leurs réflexions et mettent à l'épreuve leurs stratégies. La phase de plan de travail qui suit permet de reprendre toutes ses productions naturelles.
Mais l'élément essentiel de l'inversion en lien avec le numérique se situe non pas au niveau de l'enseignant, mais au niveau de l'élève qui produit ses propres outils de travail, les capsules vidéos via Explain Everything, Puppet edu et Adobe Voice.
L'évaluation s'en trouve par ailleurs nettement facilitée ! Si l'élève réussit à produire en termes de contenus la notion travaillée, celle-ci semble donc acquise. J'en ai la preuve : les élèves ayant produit des capsules en orthographe font moins d'erreurs en dictée et production d'écrits sur la notion réalisée en vidéo. Je ne peux généraliser évidemment pas mon propos, il est encore bien trop tôt pour que je me le permette. Mais je vois des progrès certains, en particulier au niveau des fonctions exécutives et observe une régression de certains troubles instrumentaux.
L'impact est donc indéniable: je peux observer, en outre, une motivation plus grande dans l'acte de produire, un assouplissement, une concentration plus longue, une meilleure autorégulation, une collaboration accrue entre pairs par le tutorat et les experts. Le blocage et l'empêchement de pensée (Boimare) diminuent.
Interroger sa pratique, mettre en mots un déroulement de la pensée, faire des chaînes associatives, laisser libre court à une attention flottante... pour y revenir encore et encore... perlaborer en utilisant la répétition à des fins interprétatives. Faire avec pour aller contre. Enseigner quoi....
Crédit image : by ca-va-ou-bien ©canva