Internet est désormais, il est trivial de le remarquer, un moyen indispensable pour se documenter et s’informer. Bien au-delà, il s’est également imposé comme un moyen irremplaçable pour le divertissement (jeux vidéos en ligne, vidéo, littérature…), les interactions sociales (forums, réseaux sociaux…) et pour l’action citoyenne (voir l’exemple des printemps arabes, des nombreuses pétitions en ligne, des mouvements citoyens comme ceux des « pigeons »…).
Comme souvent, la transposition dans le numérique de ces activités, qui existaient avant lui, n’entraîne pas seulement un changement superficiel : elle fait « bouger les lignes » et fait évoluer la situation dans son ensemble. Ainsi, l’information, le divertissement, la sociabilité et l’action citoyenne, avec le numérique, ont changé fondamentalement dans leurs moyens et dans leur portée. Chacun doit, pour tirer le meilleur profit de ces médias, apprendre à vivre dans ce monde numérique, en maîtriser les outils, les codes, les références, développer un certain nombre de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être numériques.
Il est illusoire de croire que les enfants, sous prétexte qu’ils sont nés dans cette époque numérique, seraient naturellement aptes à y évoluer et à y trouver leur place. C’est même peut-être le contraire : dans les générations précédentes, les jeunes pouvaient, dans une certaine mesure, apprendre la sociabilité, la citoyenneté, la façon « normale » de se comporter dans le monde simplement en observant leurs aînés, parents, enseignants, modèles divers. Comme beaucoup de pratiques numériques sont nouvelles, les adultes ne les utilisent pas toujours, et quand ils le font, ce n’est pas forcément avec le discernement et la réflexion nécessaires, faute justement d’avoir appris ces pratiques.
Il est donc plus que jamais indispensable d’enseigner ces compétences aux enfants, de leur apporter une éducation positive et explicite sur ces sujets, sans espérer une illumination naturelle et spontanée qui n’adviendra pas. Si beaucoup d’adultes n’ont pas de compétences numériques particulières, ils ont ce qui permet de les développer : une culture générale et un système de valeurs.
C’est pour désigner cet homme (ou cette femme, il faut entendre ce mot dans le sens d’« humain ») du monde numérique que nous avons choisi d’utiliser l’expression « Honnête homme 2.0 ». Ce sur quoi nous entendons insister, ce sont les qualités sociales de cet humain idéal, son sens des bienséances, son aptitude à se comporter de façon appropriée en société en toutes circonstances, mais aussi ses qualités intellectuelles, sa culture générale qui lui permet d’appréhender le monde, tout en possédant les qualités morales pour y agir d’une façon juste et probe, en gardant une certaine discrétion, en n’essayant pas de se faire valoir. Ce modèle est-il encore d’actualité à une époque où attirer l’attention semble être le seul moyen d’avoir voix au chapitre et de faire entendre ses idées, où la popularité est un critère de reconnaissance ?
L’Honnête homme du XVIIème siècle bénéficie d’une culture générale, plutôt que de connaissances de spécialiste1. C’est cette universalité qui le rend capable de s’adapter à toutes les situations2.
Bien sûr, il ne s’agit pas pour nous de proposer d’appliquer aveuglément ces valeurs comme modèle pour la société contemporaine3, mais nous invitons les participants de cette huitième journée Eidos64 à réfléchir à ce que peut être, au XXIème siècle, dans un monde où le numérique a de plus en plus de place, cette « étude particulière qui regarde le monde » qui permettait, selon le Chevalier de Méré4 d’atteindre l’idéal de l’Honnête homme. On peut parler de culture générale, de savoirs fondamentaux, de culture numérique, de valeurs de la République, de nétiquette, d’Éducation aux Médias et à l’Information, de démarche scientifique, d’Éducation Morale et Civique… La formation de l’Honnête homme 2.0 tient sans doute un peu de tout cela, mais n’est réductible à rien de tout cela.