« Ce petit radeau de planches et de voile… »

Manon Rey - comédienne et chanteuse -, et Charly Fournier (dans les rôles d’Anselme, de l’historiographe Et Dupont…) entourent le public avec leurs guitares et l’on pourrait penser à des chanteurs Gipsy invités du festival. Le spectacle est ponctué d’intermèdes comme au temps de Molière. Manon Rey qui a suivi une formation lyrique a une très jolie voix, elle joue plusieurs instruments et est rejointe par d’autres comédiens, sous les pins.

Le plateau s’élève sur des tréteaux, deux rideaux blancs séparent la scène des coulisses restées à vue avec un portant, les costumes. Dans un rythme effréné, la vie de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673) joué par Anne Duverneuil en jean et blouson -, défile parmi des personnages de l’Histoire de France, dans une langue d’aujourd’hui. Chef de troupe, comédien et auteur, Molière est surnommé « le peintre » et a révolutionné le théâtre, il a croqué sans complaisance ses contemporains.

Dès le prologue, Charly Fournier ancre le texte dans des problématiques actuelles : « L’injustice reste l’injustice. Le monde oppose encore le puissant au faible. (…) La force et l’ordre plaisent toujours au plus grand nombre. Et les dogmes demeurent encore et toujours le nid sombre des terreurs. » Six comédiens dont les visages sont souvent masqués par des tissus tiennent plusieurs rôles. Au Printemps des Comédiens, Simon Falguières – metteur en scène et auteur de la pièce - a interprété les rôles dévolus à une comédienne, et ô combien il est excellent et a fait rire le public par son aisance, la qualité de son jeu en tant que Mascarille, Madeleine et Richelieu.

Après une présentation express et rigolote de l’enfance de Molière – qui perd tout de même sa mère à huit ans -, le jeune Jean-Baptiste issu de la bourgeoisie parisienne choisit sa passion pour le théâtre. Avec Madeleine Béjart, il fonde L’Illustre Théâtre et part faute de succès à Paris, pour une tournée dans le royaume.

L’artiste connaît la précarité, la prison, mais reste fidèle à son art. De longues années, il souffre du manque de reconnaissance : « J’enrage sur ces routes qui ne veulent pas de moi. Avec notre théâtre… Ce petit radeau de planches et de voile comme un pauvre bateau qui file à travers champs… » 

Les personnages historiques se bousculent

Les grands événements biographiques sont introduits par le Bateleur (Manon Rey), puis par les deux historiographes Dupont Et Dupont (Antonin Chalon, Charly Fournier). Après la protection accordée par le Duc d’Epernon, la troupe est accueillie favorablement par le Prince de Conti (Louis de Villers), au Château de Pézenas. Molière veut plaire et se montre flatteur. Mais le Prince de Conti tombe sous la coupe des dévots et chasse la troupe. Les dialogues sont très fins et évoquent l’hypocrisie des mœurs dénoncée dans l’œuvre du dramaturge qui a lutté contre les faux-semblants et l’obscurantisme.

En parallèle, la comédie L’Etourdi ou les Contretemps (1655) amusent les spectateurs. Les brillantes réparties du valet Mascarille (Simon Falguières) s’épuisent face à Lélie (Louis de Villers), son maître à l’esprit très limité.

Les personnages historiques se bousculent dans ce XVIIe siècle mouvementé ! Henri IV (Antonin Chalon) est assassiné devant son fils Louis XIII (Anne Duverneuil). Marie de Médicis, l’affreuse mère - pourtant très amusante sous les traits de Louis de Villers, une couronne sur la tête et tenant de façon hautaine une cigarette -, ne dit que des méchancetés. La bataille pour le pouvoir est féroce : « Je te te te déteste. Je te te te répudie… Je serais roi… Moi et roi seul ! »

La relation est toute autre entre Anne d’Autriche et Louis XIV. Dans une séquence étonnante, elle lui rappelle les duretés et les humiliations de la Fronde, et en quelques pas elle se transforme en Roi Soleil. La tenue de Manon Rey évolue, scintille d’élégance, les cheveux blonds bouclés confortent l’allure du monarque absolu.

1658 est l’année de la rencontre avec Monsieur (Antonin Chalon), frère du Roi. Perruque rose, robe de chambre à motifs, il est aimable et délicat. Il invite Louis XIV à assister à une représentation au Louvre. « Il a ri et ma vie ne sera plus la même », dit Molière. Hélas la valse des malheurs est annoncée. Rien ne lui sera épargné, ni les cabales, ni les trahisons.

Après avoir joué dans Le Malade imaginaire (1673), Molière assiste avec grande surprise au déroulé de sa vie. « J’ai souffert ? », demande-t-il. Il se voit pleurer la perte de Madeleine, jour et nuit, et il ne peut croire qu’il a épousé sa fille. Son mariage est moqué comme son théâtre, il a de nombreux ennemis qui se reconnaissent dans ses pièces.

Lunettes de soleil, téléphone portable, le jeune et arrogant Racine (Antonin Chalon) arrive à la pinède du Domaine d’O, parmi les éclats de rire du public. Sur un ton décalé, l’ambitieux complote contre Molière. La pièce d’une grande richesse et pleine de surprises se termine déjà, quelle troupe !

Fatma Alilate

Molière et ses masques

Avec : Antonin Chalon, Louis de Villers, Anne Duverneuil, Charly Fournier, Simon Falguières et Manon Rey

• Texte, mise en scène, et scénographie : Simon Falguières
• Construction des tréteaux : Le Moulin de L’Hydre : Alice Delarue et Léandre Gans
• Création des musiques : Simon Falguières, Manon Rey, Antonin Chalon et Charly Fournier Création costumes : Lucile Charvet
• Administration - Production - Diffusion : Martin Kergourlay et Justyne Leguy Genest
• Production : Compagnie Le K
• Coproduction : Les Plateaux Sauvages
• Durée : 1h20
• Représentation du 7 juin 2025 – Le Domaine d’O Montpellier

Printemps des Comédiens

Direction : Jean Varela

Compagnie Le K

Tournée de Molière et ses masques de Simon Falguières – Compagnie Le K

• Du 25 au 28 juin 2025 Molière Fest, La Villette, Paris
• 17 juillet 2025 Festival des Echappées Belles, Alençon 
• 19 et 20 décembre 2025, Les Franciscaines, Deauville

Photos : "Molière et ses masques" de Simon Falguières, Printemps des Comédiens Montpellier (c) Fatma Alilate