On a donc pas retenu grand chose de ce qui s’est échangé durant ces deux jours. Sauf une intervention, celle de l’historien Antoine Prost dont une formule a déclenché une mini-polémique dont les réseaux sociaux ont le secret.
Pour finir, on donnera quelques conseils de lecture. Ouvrez vos cahiers de texte et notez : je dois lire absolument “Mohamed, l’ouvrier qui aurait voulu être prof de maths”. Vous répondrez ensuite à la question sur une feuille propre : “en quoi ce témoignage peut donner du sens à la refondation de l’École” ?...
Refondation : com’ et bilan d’étape
“Les journées sur les réformes dans l’Education: point d’étape ou coup de com?” titre une dépêche de l’AFP. La réponse est : les deux ! Pour Florence Robine (Dgesco) dans l’émission de France Culture “Du grain à moudre” : “ il était utile de faire un point d’étape et d’avoir une vision systémique et de redonner de la cohérence à l’ensemble des réformes”. Mais pour la plupart des journaux, il s’agissait avant tout d’un coup de com’. C’est que dit Le Figaro en parlant du “bel exercice de communication du gouvernement ”. Même tonalité pour le Monde : “le gouvernement fait son show ”. Même tonalité pour Le Figaro, Les Échos, L’Humanité. Le Monde va encore plus loin dans un autre article puisque pour lui, durant ces journées “le gouvernement s’auto-congratule sans convaincre”. Plusieurs journaux mettent aussi en avant le faible nombre d’enseignants durant cet évènement qui rassemblait surtout des membres de la technostructure (même si la ministre affirme qu’il y avait 40% d’enseignants durant ces journées). Le Monde pose ainsi la question : Le manque d’autocritique nuit-il à la refondation ?
Coup de com’ ? La réponse du Président de la République (vidéo) lors de sa venue le lundi en fin de journée a au moins le mérite de la franchise. Il en plaisante : “Quand on ne fait pas de communication c’est rare qu’on la fasse pour vous” et il ajoute même, toujours sur le ton de la plaisanterie “si on attend que les compliments, on est pas toujours satisfait, si on attend les critiques, on peut avoir son lot...”, tout en se défendant : “il ne s’agit pas de repeindre la réalité”. F. Hollande évoque aussi dans son intervention une obligation de “rendre des comptes” et ça peut sembler légitime. Un exécutif, quel qu’il soit, a le droit de présenter ce qu'il a fait. Il reste ensuite aux médias, aux critiques et aux opposants à se saisir de cette mise à l'agenda pour apporter des contradictions ou des nuances ou contester le bilan. C’est le jeu démocratique !
Dans ce cadre, on peut signaler un bon article dans L’Express qui explique pourquoi les profs ne voient pas les 47 000 postes créés dans l'Education. Un article dans Le Monde revient sur l’ensemble des axes de cette loi et en fait un bilan assez complet. Dans Le Figaro on donne la parole à Jean-Rémi Girard (SNALC) qui insiste surtout sur la réforme du Collège mais évoque aussi la priorité au Primaire et la formation. Dans Les Échos, la journaliste spécialisée Marie-Christine Corbier dresse un bilan contrasté de la “priorité à l’éducation”. Dans L’Obs, Sandrine Chesnel se demande “3 ans après, qu’est-ce qui a changé ?”. Même si je ne suis pas journaliste mais un observateur critique et engagé , je me permets aussi de signaler les trois billets de blog que j’ai consacré à ce bilan .
Mais le problème, c’est que ce débat pourtant nécessaire sur la refondation a été phagocyté par l’annonce de l’augmentation de l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves (ISAE) destinée aux professeurs des écoles par Manuel Valls . Les médias n’ont (souvent) retenu que ça ...
Pourtant cette annonce n’était plus vraiment un scoop car l’essentiel avait déjà été dévoilé par la Ministre quelques jours auparavant dans une interview au JDD Et dès le lundi 11h, Benoît Hamon avait spoilé comme on dit maintenant en annonçant déjà que ça représenterait 80 euros nets par mois. La seule incertitude qui restait concernait donc la date. Cette ISAE passera à 1200 euros à la rentrée 2016, ce qui la met à égalité avec l’ISOE qui est une indemnité équivalente pour les enseignants du secondaire.
Il s’agit donc d’une remise à niveau attendue et nécessaire entre les enseignants du primaire et ceux du secondaire. Beaucoup de journalistes utilisent à tort le terme de “prime”. C’est en fait une indemnité.
Et une indemnité a une certaine stabilité. Si l'ISAE a été créée en 2013, l'ISOE a été créée en 1990 et a survécu aux alternances. Évidemment, il ne s’agit pas d’une revalorisation salariale au sens strict, ce n’est pas non plus complètement pris en compte dans le calcul de la retraite de base (mais uniquement dans la retraite additionnelle de la Fonction Publique). Évidemment cela ne compensera pas la baisse du pouvoir d’achat accumulée... Mais il faut aussi replacer cela dans le contexte du dégel du point d’indice (0,6 % en juin et 0,6 % en mars). Par ailleurs, il faut signaler que dans le cadre des négociations PPCR (Parcours professionnel, carrières et rémunérations) qui sont en cours, on prévoit une intégration progressive des primes et indemnités des fonctionnaires dans leur salaire à partir de janvier 2017.
Comme je le faisais remarquer dans une chronique récente , certains ne manqueront pas de voir dans cette annonce une forme de clientélisme à un an des élections présidentielles. Cela en limite la portée face à une opinion enseignante qui reste dans l’impatience d’une amélioration plus nette de sa situation (financières et conditions de travail). Dans ce sujet comme dans bien d’autres, l'une des plus grandes défaillances de ce quinquennat, c'est la maîtrise du temps...
La formule n°1 de Prost (Antoine)
On retrouve là tous les ingrédients. D'abord la brièveté du message qui conduit à réagir sur une phrase sortie de son contexte. On a beau renvoyer à l'intégralité du débat qui est en ligne rien n'y fait. On ne prend pas la peine de faire cet effort de lecture. D'autant plus que des spécialistes du découpage (ils se reconnaitront...) se chargent de saucissonner non seulement les textes mais aussi les vidéos et de vous dire ce qu'il faut en penser. Ensuite, le défaut des réseaux sociaux c'est que le buzz au bout d'un moment, s'auto-entretient... De tweets en re-tweets, de nouvelles personnes s'emparent de cette simple phrase et sans prendre la peine de remonter la discussion la rediffuse. Et c'est reparti pour un tour...Enfin, et surtout, c'est là une vraie difficulté qui va au delà de ce réseau social et qui empoisonne tout le débat sur l'École, la promptitude et l'hyper-susceptibilité qui conduit à se sentir insulté, "méprisé" et à prendre pour soi ce qui est avant tout une critique du système. Pourtant comme l'a dit Antoine Prost lui même en réponse à une question : “je fais le procès de l'institution je ne fais pas le procès des hommes”. Les profs sont facilement froissés, ça fait pas un pli !
Certains disent que Antoine Prost “devrait réactualiser ses représentations du métier” (lu sur Twitter). Peut-être... On peut aussi se demander si la difficulté ne vient pas justement du fait que M. Prost nous tend un miroir que nous ne voulons pas voir. Quel décalage entre l’image que nous voulons et pensons donner et la perception que d’autres peuvent en avoir ?
Les enseignants sont des gens du discours, de la parole, ils ont été formés comme ça...Mais cela conduit quelquefois à une illusion qui est de penser que seul le discours suffit. Or, tout comme Cocteau disait qu'"il n'y a pas d'amour il n'y a que des preuves d'amour", on peut dire que les intentions de lutte contre les inégalités et tout le discours "de gauche" ne suffisent pas face à la nécessité d'interroger chacun de nos actes et le fonctionnement global pour savoir s'il est réellement démocratique...
C'est pour ça que j'apprécie tant le slogan des Cahiers Pédagogiques "changer l'école pour changer la société, changer la société pour changer l'école". Parce qu'il nous invite à la modestie de l'action quotidienne évaluée à l'aune de nos valeurs. Par ailleurs, au risque de me répéter, il y a une vraie difficulté à admettre pour les enseignants que le fonctionnement de l'École soit inégalitaire et peu démocratique. Ils ont le sentiment d'y faire leur travail du mieux qu'ils peuvent. Et en plus ils sont la preuve vivante que l'École fonctionne malgré tout puisqu'ils en sont le produit ! Comment critiquer un système qui vous a fait "réussir" et qui vous fait vivre ? La tentation est forte de prendre alors "pour soi", dans une hyper-susceptibilité corporatiste, ce qui est avant tout une critique de l'institution. On est rarement le meilleur juge de soi même. Mais encore faut-il être capable d’accepter la critique et la confrontation avec un regard extérieur ou du moins en surplomb. Dans une discussion apaisée, au lieu de crier au scandale et au “mépris’, on aurait pu se demander ce que cet observateur a à nous dire sur le fonctionnement du système et examiner sereinement cette critique et faire la part des choses.
Toutefois, on se prend à rêver qu’un débat serein puisse se faire. Il faut en effet signaler le billet de blog de Amélie Hart-Hutasse et Christophe Caillaux.Ils sont tous les deux professeurs d’Histoire-Géographie en lycée (et se présentent sur leurs profils Twitter comme des militants du SNES-FSU) et réagissent à l’intervention d’Antoine Prost qu’ils ont écouté dans son intégralité.
Avant d’aller plus loin sur le fond, on peut se réjouir qu'on retrouve ici la fonction de Twitter que j'appréciais lorsque je m'y suis inscrit (en 2009). Les auteurs, qui ont bien compris qu'on ne pouvait pas argumenter sur ce média (sur FaceBook, c'est déjà mieux, il y a un peu plus d'espace) ont écrit un texte sur un hébergeur de blog et ils le signalent sur Twitter qui remplit alors sa fonction initiale d'outil de "veille" et de circulation de l'information. Bien loin des invectives, moqueries, interpellations et autres punchlines qui en polluent l'usage aujourd'hui et contribuent à un climat malsain. On se prend à rêver qu’il en soit toujours ainsi...
Que disent nos deux collègues ? Ils commencent d’abord, très honnêtement, par remettre “la” phrase dans son contexte et rappeler qu’Antoine Prost a commencé par déclarer que
“L’école devrait être exemplaire des valeurs de la République. Or, elle ne l’est pas, même si elle n’est pas pire que le reste de la société, elle est même meilleure que certains îlots dans le reste de nos sociétés ”. Mais ils lui reprochent ensuite la véhémence dans la suite de ses propos. “M. Prost est-il conscient de la place et du rôle des enseignants dans l'école d'aujourd'hui, tenus de défendre une République idéalisée, tout en encourageant les élèves à porter un regard critique sur le gouffre qui sépare trop souvent valeurs et pratiques républicaines ? Est-il conscient que de nombreux professeurs sont parmi les derniers à tenir les murs d’une République qui elle ne tient pas ses promesses, surtout dans les quartiers populaires où s’accumulent ses faiblesses et ses contradictions. A-t-il oublié, enfin, le rôle bien difficile des enseignant.e.s, après les attentats de l’année 2015, aux côtés d’élèves perdus, effrayés, en colère face à une irruption si impensable de la violence, et encore plus en colère et désemparés par les « débats » tout aussi violents qui ont agité la sphère médiatico-politique sur la « laïcité » et la « compatibilité de l'islam avec la République » ? Ils n’auraient donc jamais enseigné de manière républicaine, tous ces collègues ? ”.
Ils déplorent également l’injonction à travailler collectivement qui ““nie les conditions de l'exercice du métier, et la manière dont notre travail est prescrit, rendu possible – ou empêché ! - par l'institution, par nos hiérarchies administratives et pédagogiques.” ”
Cette polémique donne lieu à un autre billet de l’historien Claude Lelièvre, cette fois ci (toujours sur Médiapart) . Celui-ci déplore que les propos de Prost aient été mal interprétés et propose dans son billet “de ne pas se focaliser sur les adultes (et a fortiori sur les seuls enseignants), mais sur le type de pouvoir institué dans ces ''micro-sociétés'' que peuvent être les établissements et/ou les classes ”. Il poursuit avec un développement sur les formes de pédagogie en notant que “le paradoxe est que l’Ecole républicaine va manifestement fonctionner avec un pouvoir des enseignants plus proche de la ‘’monarchie absolue’’ des Frères de Ecoles Chrétiennes (ou du ‘’despotisme éclairé’’ cher au courant dominant de la philosophie des Lumières), que de la ‘’monarchie constitutionnelle’’ et du libéralisme de la Société pour l’Instruction élémentaire.”. Et il évoque avec son regard d’historien les évolutions pour faire évoluer les pratiques pédagogiques vers plus de coopération, de liberté et d’autonomie.
Que penser de cette polémique ? Chacun pourra se faire son opinion à partir des documents présentés (je déconseille Twitter si l’on veut trouver un échange d’arguments !). Pour ma part, je voudrais faire quelques remarques. Quand Antoine Prost parle "des enseignants", il s'enferme dans un piège (que d’autres ont connu avant lui et notamment François Dubet). D'abord parce ce qu'il n'évoque pas (ou à la fin en réponse à une question) le rôle de l'institution. Or les enseignants évoluent avec des statuts, des rôles, des règles et des normes et sous l'autorité d'une hiérarchie. Et "l'École" c'est bien plus que “les enseignants”. Ensuite parce que "LES enseignants" ça n'existe pas ! Il est impossible de les considérer comme un tout homogène et heureusement. Et en faisant cela on se heurte à la susceptibilité corporatiste évoquée plus haut. Toutefois, si on veut être un peu méchant, on peut remarquer que ce sont les mêmes qui s'offusquent qu’on généralise avec "LES enseignants" qui le font bien souvent avec “LES chefs” ou “LES parents”, “LES élèves”, “LES formateurs”...
Mais une fois que l’on a dit que “les” enseignants sont divers et qu’ils font du mieux qu’ils peuvent doit-on se dispenser de tout regard critique ? Invoquer le "travail empêché" ou le poids de la hiérarchie vous confronte à un choix : se complaire dans une posture de victime ou essayer d’agir quand même. Le refus de la “culpabilisation” très présent chez les enseignants ne doit pas conduire à l’excès inverse qui serait celui de la déresponsabilisation et de l’attente de changements extérieurs à l’École. Et ce qu’il faudrait surtout retenir de cette interpellation vigoureuse d’Antoine Prost, c’est la nécessité pour chacun de s’interroger : « Comment puis-je faire, dans ma classe, dans mon établissement, seul et collectivement , pour construire une école plus efficace et plus démocratique ? »
Le pire et le meilleur
Pour finir ce bloc-notes essentiellement consacré à la refondation de l’École et à ses suites, évoquons brièvement d’autres sujets qui mérite notre attention. On y trouve le pire et le meilleur...
Le pire d’abord. Le Monde sous la plume de Mattea Battaglia revient sur le projet de “les Républicains” (je ne m’y ferai jamais) pour l’école. Pour reprendre la présentation de l’article, en surfant sur la vague nostalgique idéalisant l’école de la IIIe République, la droite prend le risque de passer à côté de l’élève du XXIe siècle. Tant il est vrai que pour elle, ce n’est pas l’élève qui doit être au centre de l’école, mais bien le maître.
Si l’on veut poursuivre dans l’analyse des projets pour l’École, on peut aussi aller lire la tribune de Jean-Paul Mongin, le délégué général de SOS-éducation, une officine qu’on peut qualifier de “libérale”. Un extrait de la prose de ce monsieur :
“En 2017, les Français remettront en cause la nécessité d'un corps de fonctionnaires ayant pour mission de remplir un service éducatif dont rien ne justifie qu'il soit opéré par un monopole d'État. Ils exprimeront le désir de pouvoir simplement inscrire leurs enfants dans un établissement public de leur choix qui fonctionne, avec un projet éducatif porté par une équipe cohérente, et de voir ainsi émerger un certain pluralisme scolaire. Il attendent qu'on leur donne le choix de la proximité et de la subsidiarité, contre un modèle écrasant d'administration centralisée obsolète depuis 40 ans.”
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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