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Guillou Michel

Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.
URL du site internet: http://www.culture-numerique.fr/

Éducation au numérique : les vrais dangers d’Internet

Avertissement liminaire aux lecteurs : vous avez été alertés par le discours convenu et racoleur des médias relayant sans sourciller les campagnes nauséeuses des officines spécialisées, vous êtes donc persuadés que l’Internet est peuplé de terroristes, de pédophiles, de pornographes, de communistes ou d’homosexuels bretons et qu’il convient de protéger les enfants de ces hordes sans foi ni loi par les mesures de filtrage ou de rétorsion idoines.
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À observer les usages, on oublie de s’engager...

En matière de numérique éducatif, le mot « usage » est apparu lorsque les élus des collectivités territoriales, communes et conseils généraux et régionaux, se sont préoccupés, de manière fort légitime d’ailleurs, de rendre compte à leurs électeurs de la manière dont ils dépensaient l’argent public.

Les élus et les fonctionnaires des services en charge de l’éducation entendent, il est vrai, tellement de choses étranges à ce sujet ! Ici il y a encore une bonne vingtaine d’ordinateurs qui traînent depuis deux ans dans leurs cartons, là on a installé trois tableaux numériques interactifs qui ne sont utilisés que comme de vulgaires tableaux blancs, là encore les vidéoprojecteurs ne sont plus utilisés parce que personne ne s’est préoccupé de changer ou de faire changer les lampes usagées, ailleurs enfin les tablettes achetées pour le CDI ne sont jamais mises à disposition des élèves…

Tout le monde sait que c’est vrai… et, malheureusement, pas si rare que ça !

Les raisons de ces gâchis parfois observés sont nombreuses et ce n’est pas l’objet de ce billet que de les énumérer. Disons seulement que les responsabilités sont largement partagées…
L’éducation nationale, largement consciente des siennes et désireuse de rassurer les collectivités à ce sujet et de montrer que l’argent public est bien employé, a rapidement cherché à repérer, valoriser et promouvoir les usages les plus innovants. Tout le monde s’y est mis, le réseau des missions académiques aux Tice, appelées aujourd’hui délégations académiques pour le numérique, et bien sûr le réseau Sceren-CNDP. C’est ainsi qu’est née à cet effet en 2004 l’Agence nationale des usages des Tice qui se décline, çà et là, dans les centres départementaux ou régionaux, en agences locales. En 2011, à l’initiative de la Délégation aux usages de l’Internet, est né l’Observatoire du numérique, centré sur ses usages. Le tropisme pour ce mot d’« usage » est si fort dans le système éducatif que, par exemple, la Délégation académique au numérique éducatif s’appelle, à Grenoble, Délégation aux usages pédagogiques du numérique ! Sic.

C’est une sorte de course fiévreuse aux usages qui se mène ainsi dans les académies… Et ça ne semble pas près de s’arrêter, plusieurs années après. Il n’est pas une réunion qui ne concerne peu ou prou le numérique, dans les académies ou les directions départementales qui ne voit un ou plusieurs inspecteurs ou chefs d’établissement évoquer et glorifier des usages pédagogiques du numérique, sans trop savoir de quoi il s’agit d’ailleurs. Ce mot d’« usage » est ainsi mis à toutes les sauces, le plus souvent pour cacher un manque cruel de culture numérique.

Là n’est pas le plus grave. 

En ne cessant d’envisager le développement du numérique que sous le seul angle des usages libérateurs, plaçant les professeurs dans une posture réductrice et passive d’usagers du numérique éducatif, l’école contribue à rendre ces derniers dépendants des matériels et des ressources qu’on daigne leur offrir, d’une part, des modalités d’enseignement dans les usages modèles qu’on leur présente d’autre part.
C’est une posture toute différente qu’il convient d’adopter pour la formation initiale et la formation continue des professeurs. Il n’est plus possible aujourd’hui, nous l’avons déjà vu, pour chacun, de mobiliser son attention de manière durable et il convient, en toutes circonstances de la mise en œuvre d’apprentissages, à plus forte raison en présentiel, d’adopter une attitude active voire proactive qui ne peut pas se réduire à l’observation ou à la reproduction seules d’un usage, aussi pertinent soit-il.

Cette attitude proactive, qu’on souhaite à l’identique pour les élèves eux-mêmes dans les lieux d’enseignement, porte un nom : l’engagement. Il s’agit bien de cela : dans un monde en perpétuel mouvement, où l’innovation est permanente, s’attacher à faire une observation même attentive des usages est bien insuffisant ; il est nécessaire de devenir sans délai acteur d’un engagement personnel et contributeur d’un engagement collectif.
J’ai déjà évoqué ce problème du temps qui rend caduques les expérimentations itératives et rapidement obsolètes les résultats de nombre de recherches universitaires sur le sujet. Pour avancer sans trop de risques, l’engagement numérique que je propose s’éclaire de la raison et de démarches collaboratives, toujours plus enrichissantes. Confronter ses réussites — et éventuellement ses erreurs — à celles de ses pairs permet presque toujours de progresser, d’en tirer le meilleur.

C’est à cette condition d’un engagement résolu, qui doit s’accompagner de nombreux moments de formation, mêlant la formation tutorée et l’accompagnement en ligne avec des formations plus pratiques en présentiel, où le pair à pair a cette fois la préférence, que l’acculturation numérique de l’école se fera, en douceur, sans trop de heurts…

Mais l’observation d’usages toujours pionniers ne contribue qu’à mettre un peu plus de distance entre la société et les pratiques personnelles des jeunes, d’un côté, l’école de l’autre, et à retarder l’engagement, préalable nécessaire à l’acquisition de cette culture numérique qui produit des acteurs plus que de simples usagers.

S’il vous plaît, qu’on ne parle plus d’usages !
P.S. : Je lis aujourd’hui Alain Finkielkraut qui a encore fait des siennes à propos d’Internet. « Évidemment, ça rend énormément de services » dit-il, lui concédant cette fonction utilitaire du bout des lèvres. La très grande majorité des cadres de l’éducation pensent à peu près la même chose du numérique.
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Crédit photo : Lou_ :) via photopin cc
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Apprendre à exercer sa liberté d’expression ou apprendre à coder ?

S’il est une chose que j’ai apprise de mes maîtres qui m’ont dit de ne jamais oublier, c’est de tenter de savoir distinguer l’essentiel de l’accessoire ou, pour venir en écho à une maxime connue, de ne pas se tromper dans l’ordonnancement des choses en mettant bien les bœufs devant la charrue.
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Un dispositif technique ne peut jamais être la seule solution à un problème éducatif

« J’ai des soucis sur SLIS pour interdire Facebook » demandait l’autre jour sur un forum académique privé le référent numérique d’un collège… 

Je vous engage à aller voir de plus près ce qu’est un SLIS mais, grosso modo, c’est un dispositif technique qui permet d’ajouter des règles de filtrage locales à la protection standard des réseaux pédagogiques. 
La demande ci-dessus n’a reçu qu’un certain nombre de réponses ironiques dont la mienne, que j’ai l’habitude d’employer en ces circonstances, sous la forme énoncée dans le titre de ce billet.
J’ai même proposé, car je suis fourbe — et j’ai honte —, qu’on se déconnecte d’Internet ou qu’on coupe le courant…

J’aurais été incapable de toute façon de fournir une réponse technique à une telle question, ne serait-ce que parce que les politiques de filtrage de l’Internet dans les collèges et lycées m’ont toujours semblé surréalistes. En effet, au-delà des listes noires de sites interdits, listes confectionnées en grand secret dans des alcôves universitaires toulousaines au nom d’une morale douteuse, les administrateurs locaux et autres référents numériques s’en sont toujours donné à cœur joie en s’adonnant, à coups de clics de souris vengeresses, au triste jeu impitoyable et hasardeux des ciseaux d’Anastasie.
Le plus souvent sans en référer à quiconque ni informer personne. Un certain frisson du pouvoir, en quelque sorte.

Il convient donc de le réaffirmer si certains l’avaient oublié : interdire Facebook est inutile.

C’est inutile parce qu’une telle mesure n’a pour autre conséquence que de proposer un nouveau et passionnant défi à des adolescents qui adorent les relever et transgresser les interdits, surtout quand ils ne sont pas compris ou paraissent injustes, ne serait-ce que pour donner une nouvelle et flatteuse vitrine à leur notoriété et à leur popularité. Et que chercher la solution à un stupide blocage technique va prendre cinq minutes, pas plus. Essayez, pour voir, de taper les mots qui conviennent (lycée, censure, internet, blocage, slis, facebook, solution, etc.) dans votre moteur de recherche favori pour vous faire une idée.

C’est inutile parce qu’on sait bien comment ça fonctionne, la censure : on sait quand ça commence et on ne sait jamais quand et où c’est censé s’arrêter. Après Facebook, il faudra bloquer sans doute Instagram, Vine, SnapChat, Twitter, Ask.fm… Quoi d’autre ? Ah oui, je sais, Youtube et même Dailymotion, là où le ministère a installé sa plateforme vidéo.

C’est inutile parce que, maintenant, plus d’un élève sur deux au collège et au lycée, accède sans problème à Internet et donc à son environnement médiatique social personnel via son « smartphone », sans aucune censure d’aucune sorte, même et surtout si c’est interdit par la loi ou la réglementation intérieure.

C’est inutile parce que ces réseaux sociaux si agaçants pour les adultes sont des environnements futiles, certes, ludiques aussi, mais présentent aussi l’immense avantage d’offrir un accès profond et médiatisé à d’immenses et riches ressources, scolaires parfois, comme à des espaces de travail collaboratif. Oui, bien sûr. Demandez à vos élèves comment ça marche.

C’est inutile parce que la meilleure manière de susciter l’intérêt d’un élève, de le mettre au travail seul ou avec ses camarades, de ne pas lui donner l’occasion de répondre aux sollicitations sociales numériques dont il fait l’objet, est de lui proposer des activités motivantes et qui mobilisent son goût pour le travail intellectuel et l’acquisition de nouveaux savoirs. C’est un truisme, je sais, un truisme qui peut fâcher, je sais encore. Tant pis.

C’est inutile parce que la réponse de l’école à la possibilité de l’accès à une ressource, quelle qu’elle soit, à supposer même qu’elle ne soit pas adéquate aux besoins des enseignements, ne peut être que l’aboutissement d’une réflexion hautement éducative, répondant à un problème éducatif. Il va de soi alors que la dite réponse dépend de l’âge des élèves et doit être modulée en conséquence, et que c’est mieux, cent fois mieux, si la manière dont les élèves peuvent accéder, dans les moments où ça leur est possible, à leur univers numérique social personnel a fait l’objet d’une négociation et de la rédaction et de la publication d’un document consensuel en forme de netiquette — on peut appeler ça une charte même si ce mot est maintenant dévoyé car compris comme un règlement de plus.

C’est inutile parce que le professeur documentaliste a justement prévu une page Facebook idoine pour faire part des nouveautés de l’espace documentaire. Là, c’est non seulement inutile mais ballot.
C’est inutile, et ballot encore, parce que les ressources pédagogiques sur des pages Facebook ne manquent pas. Là encore, cherchez, pour voir.
C’est inutile, basta.
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Une Direction du numérique éducatif, certes, mais avec quelle vision ?

C’est la question que pose fort à propos Numérama en commentant ce matin le communiqué de presse du ministère qui annonce la création de cette DNÉ.
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