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« J’ai des soucis sur SLIS pour interdire Facebook » demandait l’autre jour sur un forum académique privé le référent numérique d’un collège… 

Je vous engage à aller voir de plus près ce qu’est un SLIS mais, grosso modo, c’est un dispositif technique qui permet d’ajouter des règles de filtrage locales à la protection standard des réseaux pédagogiques. 
La demande ci-dessus n’a reçu qu’un certain nombre de réponses ironiques dont la mienne, que j’ai l’habitude d’employer en ces circonstances, sous la forme énoncée dans le titre de ce billet.
J’ai même proposé, car je suis fourbe — et j’ai honte —, qu’on se déconnecte d’Internet ou qu’on coupe le courant…

J’aurais été incapable de toute façon de fournir une réponse technique à une telle question, ne serait-ce que parce que les politiques de filtrage de l’Internet dans les collèges et lycées m’ont toujours semblé surréalistes. En effet, au-delà des listes noires de sites interdits, listes confectionnées en grand secret dans des alcôves universitaires toulousaines au nom d’une morale douteuse, les administrateurs locaux et autres référents numériques s’en sont toujours donné à cœur joie en s’adonnant, à coups de clics de souris vengeresses, au triste jeu impitoyable et hasardeux des ciseaux d’Anastasie.
Le plus souvent sans en référer à quiconque ni informer personne. Un certain frisson du pouvoir, en quelque sorte.

Il convient donc de le réaffirmer si certains l’avaient oublié : interdire Facebook est inutile.

C’est inutile parce qu’une telle mesure n’a pour autre conséquence que de proposer un nouveau et passionnant défi à des adolescents qui adorent les relever et transgresser les interdits, surtout quand ils ne sont pas compris ou paraissent injustes, ne serait-ce que pour donner une nouvelle et flatteuse vitrine à leur notoriété et à leur popularité. Et que chercher la solution à un stupide blocage technique va prendre cinq minutes, pas plus. Essayez, pour voir, de taper les mots qui conviennent (lycée, censure, internet, blocage, slis, facebook, solution, etc.) dans votre moteur de recherche favori pour vous faire une idée.

C’est inutile parce qu’on sait bien comment ça fonctionne, la censure : on sait quand ça commence et on ne sait jamais quand et où c’est censé s’arrêter. Après Facebook, il faudra bloquer sans doute Instagram, Vine, SnapChat, Twitter, Ask.fm… Quoi d’autre ? Ah oui, je sais, Youtube et même Dailymotion, là où le ministère a installé sa plateforme vidéo.

C’est inutile parce que, maintenant, plus d’un élève sur deux au collège et au lycée, accède sans problème à Internet et donc à son environnement médiatique social personnel via son « smartphone », sans aucune censure d’aucune sorte, même et surtout si c’est interdit par la loi ou la réglementation intérieure.

C’est inutile parce que ces réseaux sociaux si agaçants pour les adultes sont des environnements futiles, certes, ludiques aussi, mais présentent aussi l’immense avantage d’offrir un accès profond et médiatisé à d’immenses et riches ressources, scolaires parfois, comme à des espaces de travail collaboratif. Oui, bien sûr. Demandez à vos élèves comment ça marche.

C’est inutile parce que la meilleure manière de susciter l’intérêt d’un élève, de le mettre au travail seul ou avec ses camarades, de ne pas lui donner l’occasion de répondre aux sollicitations sociales numériques dont il fait l’objet, est de lui proposer des activités motivantes et qui mobilisent son goût pour le travail intellectuel et l’acquisition de nouveaux savoirs. C’est un truisme, je sais, un truisme qui peut fâcher, je sais encore. Tant pis.

C’est inutile parce que la réponse de l’école à la possibilité de l’accès à une ressource, quelle qu’elle soit, à supposer même qu’elle ne soit pas adéquate aux besoins des enseignements, ne peut être que l’aboutissement d’une réflexion hautement éducative, répondant à un problème éducatif. Il va de soi alors que la dite réponse dépend de l’âge des élèves et doit être modulée en conséquence, et que c’est mieux, cent fois mieux, si la manière dont les élèves peuvent accéder, dans les moments où ça leur est possible, à leur univers numérique social personnel a fait l’objet d’une négociation et de la rédaction et de la publication d’un document consensuel en forme de netiquette — on peut appeler ça une charte même si ce mot est maintenant dévoyé car compris comme un règlement de plus.

C’est inutile parce que le professeur documentaliste a justement prévu une page Facebook idoine pour faire part des nouveautés de l’espace documentaire. Là, c’est non seulement inutile mais ballot.
C’est inutile, et ballot encore, parce que les ressources pédagogiques sur des pages Facebook ne manquent pas. Là encore, cherchez, pour voir.
C’est inutile, basta.
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.