En 2003, mon CSAIO (Chef du service académique d’information et d’orientation, Claude Étienne) m’avait demandé de réfléchir à l’état de l’orientation d’alors. Je reprends ici le matériel rassemblé à l’époque. Est-ce que les choses ont changé ? Pas sûr. Je vous proposerai sans doute plusieurs articles pour rendre compte de ce matériel.
Organisation générale de l’orientation en France
Je commençais par m’interroger : Quel est le choix particulier français en la matière ?
Ce choix s’est opéré sur une quinzaine d’année. Cela commence à la fin des années soixante avec la réforme Berthoin de 1959, puis la mise en place du collège sous le ministère Fouchet. Ensuite, les « nouvelles procédures d’orientation » de 1973, et enfin la réforme Haby ont parachevé cette conception et cette organisation que nous connaissons encore aujourd’hui (voir mon article Les 40 ans des Nouvelles procédures d’orientation).
Depuis les années 60, il est attribué au « système scolaire » la production de personnes formées à différents niveaux selon les besoins évalués de la future société. C’est la période du Plan, des « moyens » sont attribués pour cela, des moyens humains et des moyens établissements. Il y a non seulement une carte des formations, mais également une sectorisation. C’est la grande période de l’administration de l’éducation nationale.
Comment gérer la circulation et la répartition des élèves dans un système qui présente deux bifurcations, le niveau cinquième et le niveau troisième (sans oublier les sorties seconde et première en Lycée) ? En haut lieu, on a beaucoup hésité. Antoine Prost vient d’en donner quelques éléments dans son dernier livre (Du changement dans l’école, Seuil, 2013). D’un côté, la conception d’un état fort, qui contrôle et dirige, et qui a peur d’un débordement démographique envahissant l’Université. De l’autre une volonté de défendre le développement de l’enseignement, mais sous le contrôle des enseignants. Curieusement on fait alors peu de cas de la responsabilité familiale.
C’est donc finalement un compromis qui se met en place. Les procédures d’orientation organisent une confrontation des acteurs locaux : les parents demandent, les enseignants et le chef d’établissement répondent et décident. Dans ces procédures d’orientation aucun critère n’est désigné réglementairement ni donné extérieurement pour conduire les acteurs dans leurs prises de décisions, que ce soit les élèves et les familles pour formuler leurs demandes, ou que ce soient les enseignants pour élaborer leurs avis. Et l’état espère une régulation spontanée des flux d’élèves.
Faciliter la régulation
Autrement dit la réglementation porte sur la forme des échanges entre les acteurs et la répartition des « pouvoirs » entre eux. Mais il n’existe, à ma connaissance aucune réglementation sur le fondement des décisions. Ceci pose des problèmes d’ordre juridique que j’évoquerais dans un autre article.
Pour atténuer ces difficultés dans la régulation, deux actions ont particulièrement été développées. Tout d’abord l’information des personnes (élèves et familles) devait éclairer les choix d’orientation. La création de l’ONISEP avec la production centralisée (niveau national) et déconcentrée (les productions des DRONISEP, Délégation régionale de l’ONISEP), la publication, la diffusion gratuite, puis le système auto documentaire implanté d’abord dans les CIO puis les établissements, au CDI, visaient cet objectif.
Mais une information « brute » n’est pas suffisante, aussi les rôles de conseil auprès des élèves et des familles furent développés, avec le développement de la fonction de professeur principal (créée en 1959), ainsi que celui des services d’orientation (transformation des centres d’orientation scolaire et professionnelle en CIO, centre d’information et d’orientation, et développement du corps des conseillers d’orientation, devenu conseillers d’orientation-psychologues en 1992).
Entre le dur et le flou
Pour résumer, on a des « règles d’organisation de la confrontation » avec les procédures d’orientation, un système d’information qui se veut objectif, mais organisé par l’état, et enfin des fonctionnaires chargés du conseil. Cette fonction de conseil, répartie entre plusieurs acteurs aux statuts différents, peut présenter une « palette » de finalités fort différentes : conseil de « père de famille », persuasion, conseil centré sur la personne, « défenseur » (comme l’avocat est conseiller de son client), etc.
Ajoutons que l’on peut constater que cette « manière de faire du conseil » peut varier en fonction des circonstances, des moments, des personnes conseillées.
Donc, si les procédures d’orientation « à la française » peuvent apparaître comme très réglementées, elles reposent en fait sur un ensemble de comportements, activités, actions des acteurs, et notamment des fonctionnaires, peu « stables », et effets des interactions entre les acteurs locaux.
Évolutions ?
En comparaison, il existe en fait deux autres grands types d’organisation de la circulation que l’on peut trouver en Europe :
- Le rapport « libéral » entre une demande et des offres, un exemple peut être le système dual en Allemagne. La « circulation » repose en fait sur les demandes des familles, et les possibilités financières. Cette forme de circulation est donc très liée aux représentations et aux « positions » sociales.
- La sélection sur la base d’épreuves organisées par l’accueillant. Dans ces systèmes, il y a une coupure entre ce qui est de l’ordre de l’éducation de base, obligatoire, et les offres de formation ultérieures. La circulation repose là en partie sur les représentations, désirs et choix des personnes, et la sélection se veut « objective ».
Aujourd’hui, je me demande si l’expérimentation de l’orientation à la main des parents en fin de troisième peut réellement modifier cette conception française de l’orientation ? J’ai commenté déjà plusieurs fois cette question dans des articles (du plus ancien au plus récent :
Bernard Desclaux