Les 120 pages du rapport sur l'école, intitulé « Jules FERRY 3.0 », rendu public le vendredi 3 octobre par le Conseil national du numérique (CNNum) au moment où celui-ci donne le coup d'envoi de la concertation nationale sur le numérique en présence du Premier Ministre Manuel Valls, de Thierry Mandon, Secrétaire d'Etat chargé de la Réforme de l'Etat et de la Simplification, et d'Axelle Lemaire, Secrétaire d'Etat chargée du Numérique? constitue un plan en 8 axes et 40 recommandations « pour bâtir une école juste et créative dans un monde numérique».
La presse grand public, comme en pareil cas a choisi parmi ces propositions celles qui, médiatiquement pouvaient marquer l'évênement : le premier axe, enseigner l'informatique, une exigence, comme le troisième, oser le bac humanités numériques, ont ainsi fait l'objet d'une large médiatisation au point de cristalliser les réactions immédiates de diverses « chapelles ».
Les six autres axes ont eu beaucoup moins d'impact médiatique, et c'est bien dommage car ils traitent d'aspects tout aussi essentiels pour construire « l'école d'un monde numérique en devenir affrontant l'épreuve d'une société en pleine mutation » : la littératie numérique, l'école en réseau, la place de la Recherche, les cadres pour l'innovation et la création, l'apport de l'ecosystème industriel du numérique educatif, la place des professeurs dans la construction de cette école .
IL m'a semblé important de prendre le temps d'un approfondissement plus grand d'un de ces axes. Et en particuluer sur la place et le rôle que doivent jouer les enseignants dans la nécesaire renaissance de l'acte pédagogique.
Car on peut s'interroger avec le CNNum sur le contraste entre l'investissement passionné des professeurs et la réussite modérée du système .
Avec le nouveau plan numérique lancé par la présidence de la République qui consiste en particulier à équiper les collégiens des classes de cinquième de collège de tablettes numériques, le dernier axe du rapport prend tout son sens : « aujourd'hui on achète des équipements et on demande aux professeurs de s'y adapter. Pour développer le numérique scolaire il faut changer de méthode, rompre avec la logique de l'offre et de l'assignation, étudier avec les professeurs leurs besoins réels pour qu'ils travaillent avec aisance et conservent le temps de la relation avec les élèves ».
C'est donc sur ce thème que se poursuit l'entretien avec Sophie PENE, Professeur à l'Université Paris Descartes, membre du CNNum où elle pilote de groupe de travail Education et Numérique qui a rédigé le rapport Jules Ferry 3.0.
« Le métier de professeur est extrêmement difficile, dit-elle, car il est dessiné pour une société qui n'existe plus, pour des enfants qui n'existent plus. »
Enseigner est de plus en plus compliqué car « les enfants de l'école ont le désir d'apprendre mais pas le désir d'écouter. »
« On manque de designers dans les écoles pour mieux faire comprendre aux constructeurs , aux éditeurs.. de quoi ont vraiment besoin les professeurs et les élèves. »
Mais qu'est-ce que le design des formations ?
Les expériences menées dans le projet TED par la société UNOWHY, l'Université de Poitiers avec le groupe Techné, mais également le Conseil Général de Saône et Loire et l'académie de Dijon, l'éditeur Editis (Nathan, Bordas, le Robert), le Canopé de l'Académie de Dijon et Logosapience, spécialiste des logiciels scolaires interactifs, sont à cet égard exemplaires car donnant aux enseignants et aux utilisateurs dans une véritable démarche expérience utilisateur – UXDesign- une parole forte sur la place de la tablette dans leur démarche pédagogique.
C'est aussi le cas de l'expérimentation de la tablette Gallago et de l'environnement Elule produits par la société Stantum dans des classes des écoles de Bordeaux et Mérignac
Comment, « si on veut une école plus ouverte, plus active, pour des élèves plus créatifs plus mobilisés », basculer dans un « véritable Web de l'apprendre » ?
C'est au Centre de Recherche Interdisciplinaire crée et dirigé par François TADDEI et Ariel LINDER que cet entretien se déroule et le choix du lieu n'est pas fortuit.
Le rôle du CRI consiste en effet à promouvoir de nouvelles techniques et stratégies éducatives pour autonomiser les élèves à prendre des initiatives et développer leurs propres projets de recherche.
Tony Wagner, auteur du best-seller Creating innovators y affirme « A 4 ans, un enfant pose une centaine de questions par jour. A 7 ans, il commence à comprendre qu'il vaut mieux savoir répondre aux questions plutôt que d'en poser. »
L'école éteint trop souvent cette soif de questionnement des jeunes et au lycée le nombre d'élèves têtes baissées qui sans cesse transcrivent , durant les cours, sur leurs feuilles de classeur, les paroles de leur enseignant sont encore malheureusement légion ...
Ange ANSOUR , enseignante au CRI et coordonnatrice pédagogique du projet « Une école, un chercheur, une expérience » y mène depuis deux ans une animation, les savanturiers qui « repose sur l'idée des enfants tous chercheurs où tous les enseignements scientifiques sont faits a partir des questions scientifiques des enfants ».
Ce projet met en relation les écoles et les chercheurs, afin de permettre aux élèves de réaliser leur propre projet de recherche. Ceux-ci apprennent à formuler une problématique, créent leurs propres protocoles expérimentaux, concluent et communiquent leurs résultats.
Sophie PENE enseigne également au CRI dans la spécialité FOSTER (Formation pour l'Ouverture des Sciences, des Technologies, de l'Education et de la Recherche) du Master AIRE (universités Paris Descartes et Paris Diderot) qui propose un programme de 2 ans autour de l'innovation pédagogique alliant recherche et technologies, à destination des nouveaux acteurs de l'éducation.
Des étudiants bien particuliers dans ce master FOSTER : ils sont « professeurs, designers, médecins, des gens du marketing, venant de l'entrepreneuriat social, des sciences de l'éducation » mais également des biologistes qui « veulent prendre le temps d'une création autour de l'éducation. »
Pourquoi ce master ?
« L'éducation apparait comme la question brulante de l'époque, la question autour de laquelle les grands désordres mondiaux peuvent être posés et résolus . »
« On fait le postulat qu'au-delà de l'éducation disciplinaire, va se développer une éducation transversale fondée sur les compétences ».
« Avec les ressources numérique les besoins de formation seront assumées par de nouvelles modalités d'apprendre par la recherche. »
C'est bien également dans ce sens que les Savanturiers avancent !
Sophie PENE conclut cet entretien par une analyse de la situation en trois points
1er idée : le professeur sera progressivement « déchargé » de la partie « conférence » de son cours, qu'il en soit consentant ou pas ....le métier de professeur doit se recentrer sur ce qui est le plus précieux, la relation aux enfants.
2ème idée : en France les 200 start-up qui se concentrent sur l'éducation, les éditeurs sont co-responsables de l'école . Il faut co-concevoir avec eux les bons outils dans une démarche de design numérique.
3e idée : cette nouvelle approche donnera aux élèves et à leurs parents une place plus leader dans le dispositif d'apprentissage , fera que l'école sera comprise, aimée et portée par la communauté citoyenne, et elle pourra faire son métier.
Le monde a besoin de gens capables d'innover et de créer.
Le « Web de l'apprendre », peut-il permettre à l'école de révéler ces qualités parmi les jeunes des générations qui viennent ?
Claude TRAN
Dernière modification le mardi, 25 novembre 2014
La presse grand public, comme en pareil cas a choisi parmi ces propositions celles qui, médiatiquement pouvaient marquer l'évênement : le premier axe, enseigner l'informatique, une exigence, comme le troisième, oser le bac humanités numériques, ont ainsi fait l'objet d'une large médiatisation au point de cristalliser les réactions immédiates de diverses « chapelles ».
Les six autres axes ont eu beaucoup moins d'impact médiatique, et c'est bien dommage car ils traitent d'aspects tout aussi essentiels pour construire « l'école d'un monde numérique en devenir affrontant l'épreuve d'une société en pleine mutation » : la littératie numérique, l'école en réseau, la place de la Recherche, les cadres pour l'innovation et la création, l'apport de l'ecosystème industriel du numérique educatif, la place des professeurs dans la construction de cette école .
IL m'a semblé important de prendre le temps d'un approfondissement plus grand d'un de ces axes. Et en particuluer sur la place et le rôle que doivent jouer les enseignants dans la nécesaire renaissance de l'acte pédagogique.
Car on peut s'interroger avec le CNNum sur le contraste entre l'investissement passionné des professeurs et la réussite modérée du système .
Avec le nouveau plan numérique lancé par la présidence de la République qui consiste en particulier à équiper les collégiens des classes de cinquième de collège de tablettes numériques, le dernier axe du rapport prend tout son sens : « aujourd'hui on achète des équipements et on demande aux professeurs de s'y adapter. Pour développer le numérique scolaire il faut changer de méthode, rompre avec la logique de l'offre et de l'assignation, étudier avec les professeurs leurs besoins réels pour qu'ils travaillent avec aisance et conservent le temps de la relation avec les élèves ».
C'est donc sur ce thème que se poursuit l'entretien avec Sophie PENE, Professeur à l'Université Paris Descartes, membre du CNNum où elle pilote de groupe de travail Education et Numérique qui a rédigé le rapport Jules Ferry 3.0.
« Le métier de professeur est extrêmement difficile, dit-elle, car il est dessiné pour une société qui n'existe plus, pour des enfants qui n'existent plus. »
Enseigner est de plus en plus compliqué car « les enfants de l'école ont le désir d'apprendre mais pas le désir d'écouter. »
« On manque de designers dans les écoles pour mieux faire comprendre aux constructeurs , aux éditeurs.. de quoi ont vraiment besoin les professeurs et les élèves. »
Mais qu'est-ce que le design des formations ?
Les expériences menées dans le projet TED par la société UNOWHY, l'Université de Poitiers avec le groupe Techné, mais également le Conseil Général de Saône et Loire et l'académie de Dijon, l'éditeur Editis (Nathan, Bordas, le Robert), le Canopé de l'Académie de Dijon et Logosapience, spécialiste des logiciels scolaires interactifs, sont à cet égard exemplaires car donnant aux enseignants et aux utilisateurs dans une véritable démarche expérience utilisateur – UXDesign- une parole forte sur la place de la tablette dans leur démarche pédagogique.
C'est aussi le cas de l'expérimentation de la tablette Gallago et de l'environnement Elule produits par la société Stantum dans des classes des écoles de Bordeaux et Mérignac
Comment, « si on veut une école plus ouverte, plus active, pour des élèves plus créatifs plus mobilisés », basculer dans un « véritable Web de l'apprendre » ?
C'est au Centre de Recherche Interdisciplinaire crée et dirigé par François TADDEI et Ariel LINDER que cet entretien se déroule et le choix du lieu n'est pas fortuit.
Le rôle du CRI consiste en effet à promouvoir de nouvelles techniques et stratégies éducatives pour autonomiser les élèves à prendre des initiatives et développer leurs propres projets de recherche.
Tony Wagner, auteur du best-seller Creating innovators y affirme « A 4 ans, un enfant pose une centaine de questions par jour. A 7 ans, il commence à comprendre qu'il vaut mieux savoir répondre aux questions plutôt que d'en poser. »
L'école éteint trop souvent cette soif de questionnement des jeunes et au lycée le nombre d'élèves têtes baissées qui sans cesse transcrivent , durant les cours, sur leurs feuilles de classeur, les paroles de leur enseignant sont encore malheureusement légion ...
Ange ANSOUR , enseignante au CRI et coordonnatrice pédagogique du projet « Une école, un chercheur, une expérience » y mène depuis deux ans une animation, les savanturiers qui « repose sur l'idée des enfants tous chercheurs où tous les enseignements scientifiques sont faits a partir des questions scientifiques des enfants ».
Ce projet met en relation les écoles et les chercheurs, afin de permettre aux élèves de réaliser leur propre projet de recherche. Ceux-ci apprennent à formuler une problématique, créent leurs propres protocoles expérimentaux, concluent et communiquent leurs résultats.
Sophie PENE enseigne également au CRI dans la spécialité FOSTER (Formation pour l'Ouverture des Sciences, des Technologies, de l'Education et de la Recherche) du Master AIRE (universités Paris Descartes et Paris Diderot) qui propose un programme de 2 ans autour de l'innovation pédagogique alliant recherche et technologies, à destination des nouveaux acteurs de l'éducation.
Des étudiants bien particuliers dans ce master FOSTER : ils sont « professeurs, designers, médecins, des gens du marketing, venant de l'entrepreneuriat social, des sciences de l'éducation » mais également des biologistes qui « veulent prendre le temps d'une création autour de l'éducation. »
Pourquoi ce master ?
« L'éducation apparait comme la question brulante de l'époque, la question autour de laquelle les grands désordres mondiaux peuvent être posés et résolus . »
« On fait le postulat qu'au-delà de l'éducation disciplinaire, va se développer une éducation transversale fondée sur les compétences ».
« Avec les ressources numérique les besoins de formation seront assumées par de nouvelles modalités d'apprendre par la recherche. »
C'est bien également dans ce sens que les Savanturiers avancent !
Sophie PENE conclut cet entretien par une analyse de la situation en trois points
1er idée : le professeur sera progressivement « déchargé » de la partie « conférence » de son cours, qu'il en soit consentant ou pas ....le métier de professeur doit se recentrer sur ce qui est le plus précieux, la relation aux enfants.
2ème idée : en France les 200 start-up qui se concentrent sur l'éducation, les éditeurs sont co-responsables de l'école . Il faut co-concevoir avec eux les bons outils dans une démarche de design numérique.
3e idée : cette nouvelle approche donnera aux élèves et à leurs parents une place plus leader dans le dispositif d'apprentissage , fera que l'école sera comprise, aimée et portée par la communauté citoyenne, et elle pourra faire son métier.
Le monde a besoin de gens capables d'innover et de créer.
Le « Web de l'apprendre », peut-il permettre à l'école de révéler ces qualités parmi les jeunes des générations qui viennent ?
Claude TRAN