Les auteurs, enseignants engagés ou chercheurs, individuels ou collectifs, comme le groupe Jean-Pierre Vernant, travaillent sur deux interrogations : que nous arrive-t-il ? Que faire collectivement pour résister au gigantesque mouvement de marchandisation de nos vies et de caporalisation de nos institutions, imposé à coup d’ordonnances, lois, décrets ou instructions diverses ?
Malgré la structuration en trois parties, ce sont bien ces deux questions qui fondent l’ouvrage. Nous repérons cependant trois objets : analyser un état des lieux, rendre compte de modes de résistance, proposer des éléments programmatiques.
Deux textes (ch. 1, 4)(3) forment un cadre d’analyse de la politique macronienne concernant la Fonction publique, mettant à jour les fondements idéologiques qui unissent nombre de gouvernements actuels et conduisent à la mise en place de régimes autoritaires. La France n’échappe pas à cette dérive. En effet, l’idéologie du management privé et de l’évaluation, l’usage invasif des nouvelles technologies, conduisent à des actions politiques autoritaires et méprisantes des instances de régulation comme, par exemple, le CNESER dont les avis sont régulièrement ignorés. Le chapitre 5 de Philippe Blanchet (4) sur la main mise dont sont victimes l’Université et la recherche scientifique vient compléter de manière très documentée l’analyse concise et éclairante du groupe Jean-Pierre Vernant sur l’Université néolibérale voulue par nos gouvernants (5).
Un deuxième mouvement rend compte de manières de résister, incertaines, construites dans l’urgence, mais dont l’efficacité n’est pas négligeable.
Ainsi, plusieurs articles des deuxième et troisième parties, après avoir apporté leur contribution à la description d’un segment institutionnel, que les auteurs connaissent pour y travailler et dont ils ont analysé les dérives imposées, s’attachent à rendre compte de luttes partant du terrain pour défendre une vision démocratique de l’enseignement face à un gouvernement pour lequel « il s’agit toujours de détruire l’institution de la société comme communauté de personnes » ce qui ne passe plus « comme dans les totalitarismes, par la disparition de l’individu mais par sa privatisation » (p 25) (6).
La lecture de ces récits peut permettre à chacun de trouver des ressources et l’énergie pour créer des collectifs de travail qui ne soient pas de simples « collections d’individus » (p 203) (7) pour faire connaître ou dénoncer, pour « désobéir » aussi ... que ce soit dans les écoles, dans la rue, dans les CHSCT et bien sûr au niveau des INSPE (ch. 6 p. 131) (8). L’article 28 du statut du ou de la fonctionnaire ne peut se résumer à « l’affirmation d’une obligation d’obéissance. Agir de manière conforme ne peut être confondue avec une simple mise en application d’ordres donnés » (p 156) (9)
Le troisième mouvement est constitué de textes programmatiques organisés autour de la proposition d’université volante fondée en 2018 que Martine Boudet, la coordonnatrice de l’ouvrage, appelle de ses vœux (p 253)(10). L’expérience de l’université ouverte de Vincennes, que le mouvement de 68 avait arrachée à l’État français, est posée en référence et analysée mais un nouveau modèle est à construire. A chaque lecteur de juger dans quelles dynamiques cette nouvelle proposition lancée en 2018 (11) peut s’inscrire, dans quelles actions elle pourrait prendre corps.
Pierre Sémidor
(2) Note de lecture publiée dans Former des enseignants, supplément au mensuel Le Snesup, n° 688, octobre 2020. Et dans le mensuel (n° 694, avril 2021, p 27 ou 23 du PDF) https://www.snesup.fr/sites/default/files/fichier/mensuel_ndeg_684_0.pdf
(3) Groupe Jean-Pierre Vernant, chapitre 1er, « Organiser le pessimisme »
Axel Trani, chapitre 4, « La Fonction publique à l’épreuve du macronisme, le macronisme à l’assaut de la Fonction publique »
(4) Philippe Blanchet, chapitre 5, « Mettre la main sur l’enseignement supérieur et la recherche scientifique : prédation et autoritarisme dans les politiques françaises depuis l’an 2000 ».
(5) Groupe Jean-Pierre Vernant, chapitre 3, « L’Université néo-libérale et la théorie du capital humain ».
(6) Voir le chapitre 1er précité.
(7) Sophia Catella, chapitre 10, « Souffrance au travail et nécessaire promotion des ressources psycho-sociales »
(8) Marie-France Le Marec et Vincent Charbonnier, chapitre 6 « Le syndicalisme en défense de la formation des enseignants : outils et enjeux ».
(9) Paul Devin, chapitre 7, « Contrôle, intérêt général et démocratie »
(10) Martine Boudet, chapitre 12, « Quel avenir pour l’Université ? Limites et perspectives des mobilisations académiques et citoyennes »
(11) Collectif universitaire, chapitre 13, « La cartographie de l’Université volante »
Dernière modification le mardi, 16 mai 2023