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La mondialisation des échanges de biens et des services, aidée par la banalisation des nouvelles technologies de l’information, laisserait penser que la notion de territoire est devenue anachronique dans le monde de l’entreprise. En réalité l’inter-relation change plus qu’elle ne se dissous d’autant que qu’elles font face à plusieurs transitions qui les mènent vers des équilibres inédits.

De quoi parle t-on ?

En définissant ce que sont les transitions, les territoires et les entreprises on ne fait pas que « planter le décor » on entre déjà dans le sujet et les enjeux qui y sont rattachés

Transitions

Nous parlerons ici des transitions démographique, économique et environnementale

Transition démographique

Grâce aux progrès des connaissances la population mondiale a quintuplé en un peu pus d’un siècle pour passer de 1,6 milliard d’habitants en 1900 à 8 milliards en 2023. La question qui se pose maintenant est moins le nombre total de terriens qui devrait « plafonner » à 10-11 milliards d’ici la fin de notre siècle (ONU) que l’évolution de la pyramide des ages et de la répartition géographique dont les pondérations conditionnent les solidarités intergénérationnelles (financières ou autres) et la relation entre les peuples.

Transition économique 

En à peine un siècle nous sommes passés d’une économie des besoins à la promotion des désirs en même temps que les échanges ont accéléré pour passer de la relation locale au partenariat global où tout semble déterritorialisé. Parmi les effets les plus connus de cette transition économique on peut citer

– l’explosion de la consommation d’énergie qui est passée de 1092 millions de tep en 1900 à 14 415 millions de tep en 2022 soit 13 fois plus en tout (2,6 fois plus par terrien) et 80 % de cette énergie, d’origine fossile, est la principale cause de l’accumulation des gaz à effets de serre (GES) dans l’atmosphère (pour mémoire jour après jour, le soleil envoie sur la Terre six mille fois plus d’énergie que ses habitants en consomment ;

-le développement commerce international représente plus de 60% du PIB mondial.

Transition environnementale 

Alors que notre planète est une sphère de 6370 km c’est sur une fine couche de 30 km à sa surface que tout se passe. Dans les océans, dans les sols ou dans l’atmosphère « rien ne perd, rien ne se crée tout se transforme » (Lavoisier) … plus ou moins vite. Les effets sont visibles pratiquement partout (polluant chimiques, microplastiques, etc.). L’accumulation des gaz à effets de serre provoque une élévation de la température qui, en 2022, est supérieure e 1,15°C à ce qu’elle était dans la deuxième moitié du 19ème siècle ce qui impacte la plupart des équilibres biologiques (à l’échelle de la cellule ou de l’organisme toute variation de température entraîne des désordres, la fièvre par exemple).

Territoire(s)

D’après le dictionnaire Larousse, le territoire est « un espace terrestre considéré comme un ensemble formant une unité cohérente, physique, administrative et humaine. Concrètement en France : les communes, les intercommunalités, les départements, les régions sont autant de territoires

-où l’action publique est menée par leurs dirigeants élus,

-dont le maillage fait le territoire national

-avec des attributions et compétences qui sont définies par la loi.

N’oublions pas que « territoire » est un mot polysémique : en éthologie, le territoire est l’aire qu’un animal d’une espèce particulière défend contre les individus de sa propre espèce, ou d’une autre, qui cherchent à l’empiéter . Pour le genre humain ce peut être un espace matériel ou immatériel où il cherche à exercer son pouvoir.

Entreprise(s)

D ‘après l’INSEE « L’entreprise est la plus petite combinaison d’unités légales qui constitue une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes».

Les entreprises ne sont pas que des sociétés, elles peuvent être constituées par l’activité d’une seule personne : agriculteur, artisan, livreur à vélo d’une plateforme, et aussi le médecin , l’artiste, l’auteur …

L’entreprise n’a pas obligatoirement vocation a partager ses excédents. Les activités non lucratives menées par deux personnes et plus sont aussi classées « entreprise » ce qui est d’autant plus normal car les associations jouent un rôle central dans l’économie dite sociale : les loisirs (sport), la culture et dans les actions solidaires qu’elles soient locales comme le « Tremplin des petits boulots » à Auxerre (qui œuvre à l’insertion des personnes porteuses de handicap) ou nationales à l’instar des Restos du Coeur que l’on peut classer comme grande entreprise au sens figuré comme au sens propre car elle compte 73000 bénévoles qui aident 1,3 millions de « bénéficiaires » à qui sont distribués 170 millions de repas (données campagne 2022-2023).

Quant aux cas particuliers des « entreprises-territoires » que sont devenues à elles seules quelques mastodontes américains (GAFAM) et chinois (BATX) par leur étendue et leur puissance financière il n’est pas certain qu’elles le resteront indéfiniment : l’Histoire a déjà montré qu’avec du courage politique, des trusts puissants peuvent êtres démantelés.

Territoires et entreprises dans les transitions : comment ça marche

L’entreprise n’est pas un système qui vogue au gré du vent. Quelle que soit sa forme elle a un objet, son(ses) dirigeant(s) doivent la piloter avec agilité avec ses forces vives, ses fournisseurs, ses clients dans un environnement économique et social fait d’’un ou plusieurs territoires où le spectre des prévisions doit être largement ouvert (gouverner c’est prévoir). Une entreprise qui ne « pense » pas à demain, après demain etc. est une entreprise en fin de vie.

Réciproquement, en l’absence d’un tissu d’entreprises suffisant un territoire se vide ou se transforme en dortoir. Sans les services collectifs d’un territoire l’entreprise est peu a peu asphyxiée et soit elle meurt soit elle part.

En faits, il apparaît que l’entreprise ne peut exister

-sans lien avec son (ses) territoires dans ses prises de décision à court-moyen-long terme

-sans ancrage de ses activités dans une réalité quotidienne, vécue et concrète.

Cela vaut pour Michelin à Clermont-Ferrand, Legrand à Limoges, Airbus à Toulouse, Saint Nazaire, Marignane et aussi (moins gros ou moins connus) Fleury-Michon en Vendée, Hénaff dans le Finistère, CEVA santé animale en Mayenne, Revol-porcelaine dans la Drôme, Mécalac en Haute Savoie.

Il y a aussi des exceptions comme certaines unités de multinationales qui vivent leur vie « hors sol » (usine normande d’un groupe international suisse par exemple).

Pour identifier ce qui permet aux entreprises et aux territoires d’avancer en bonne intelligence il convient de s’affranchir du référentiel binaire compétitivité- attractivité et de prendre en compte les transitions pour déterminer les enjeux communs :

– l’enjeu économique avec des activités en cohérence avec les ressources locales, autant que possible

L’Industrie laitière dans l’Ouest de la France repose sur une ressource stable et peut ainsi répondre à une clientèle nationale voire internationale avec d’une activité de recherche, de la formation et le soutien de centres techniques ancrés dans cette région.

Le ralentissement des activités industrielles de la région Lacq causé par l’épuisement du gisement a été anticipé par l’ensemble des acteurs du territoire ce qui a permis le développement d’activités nouvelles autour de projets dans la méthanisation et l’hydrogène en adaptant ses infrastructures et leur gestion numérique.

–l’enjeu social et environnemental (mobilité et habitat notamment car gros consommateurs de ressources et gros émetteurs de déchets de toute sorte ce qui Il faut donc endiguer par une réduction des émissions de CO2 et la conception de nouveaux produits et services doit intégrer l’analyse de leur cycle de vie et donc ce qui sera « relargué » pendant leur fabrication et leur usage.

-l ‘enjeu de diffusion des connaissances (toutes les connaissances, pas que les sciences dites exactes), même s ‘il échappe à la notion de transition par son processus continu qui accompagne l’histoire de l’humanité. On sait (on décrit) de plus en plus de choses ou de phénomènes (vivants ou non), on les comprends de mieux en mieux ; de nouveaux savoir-faire émergent (qui peuvent s’accompagner de nouveaux savoir-être). Le futur se dessinera aussi avec l’aide des anthropologues pour balayer d’interminables affrontements idéologiques qu’il convient de remplacer par un travail collectif sur le « faire autrement » avec toutes nos connaissances (nous avons déjà pas mal…) et un discours factuel et pédagogique.

En pratique la symbiose entre territoires et entreprises dépend de plusieurs facteurs

La vision partagée, grâce à la coordination entre les entreprises, les collectivités territoriales, et aussi la collaboration avec les autres parties prenantes quand c’est pertinent. C’est la transversalité qui permet le progrès économique et humain grâce à une vision large et consensuelle des changements.

Comme on l’a vu lors de l’implantation et développement de l’usine Toyota à Onnaing dans les Hauts de France, du déploiement de la « Silicon Valley » grenobloise ou la redynamisation d’un bassin minier sinistré à Loos-en-Gohelle, une petite commune du Pas-de-Calais.

A ce propos on peut remarquer que lorsque les élus ont une expérience « vécue » des activités de l’entreprise le dialogue est encore plus fluide.

La coopération

Pour fonctionner l’entreprise s’appuie sur un écosystème de proximité par des coopérations avec d’autres acteurs (fournisseurs, prestataires, financeurs, centres de recherche, organismes de formation…) et elle est intégrée dans des stratégies d’acteurs et dans des réseaux (professionnels, institutionnels, et opérationnels (comme des groupements d’employeurs, des clusters…). Ces ressources immatérielles sont indispensables pour le développement de l’entrepreneuriat qui mobilise le dynamisme des créateurs, des accompagnants, des incubateurs/accélérateurs etc.. Pour exemple : Partag’emploi est un groupement d’employeurs agricoles dans le Finistère : 40 salariés permanents, 100 saisonniers pour 150 exploitations, l’association ARCHADE qui a porté le développement d’un centre de recherche en hadronthérapie à Caen une technologie très innovante du traitement du cancer qui valorise le savoir scientifique académique accumulé pendant des décennies au Grand Accélérateur National des Ions Lourds (GANIL)

Réciproquement pour assurer le bien être de ses habitants le territoires a besoin des entreprises directement : emploi services marchands, économie solidaire… et indirectement : gestion des ressources: eau pour ses différents usages y compris l’irrigation des cultures

Bref les entreprises et les territoires ont des besoins croisés qui font sens. Peut être y a t il a aménager la fiscalité locale pour que leurs actions concertées soient plus efficaces et plus réactives

Le bon usage, humain, des espaces et du temps

L’entreprise relie les hommes (salariés, fournisseur clients, etc..) dans un espace géographique qui a évolué tant pour des raisons économiques (croissance, nouveaux marchés) que pour des raisons techniques (transport, dématérialisation des échanges, …) et cela a modifié l’intensité de son rapport à son territoire historique. Dès lors qu’elle a plusieurs sites, des collaborateurs itinérants (commerciaux) ou distants (télétravail, tiers lieux) l’entreprise se détache d’un territoire en même temps qu’elle tisse de nouvelles interactions avec d’autres et c’est une dimension nouvelle que les dirigeants doivent gérer avec soin notamment en termes de ressources humaines, comme le Programme de formation-action « Télétravail et PME » de la CCI d’Alençon lancé en 2012 ou l’extension mondiale du Programme « Smartworking » chez Axa en 2021.

A cet égard il convient de souligner que si l’automatisation des process comme la numérisation des échanges ont utilement augmenté le rythme des opérations et les flux d’information dans les entreprises comme dans l’espace public, l’instantanéité n’est pas une panacée, elle peut aussi être stressante et coûteuse. Il revient alors aux dirigeants (comme aux élus) de protéger leurs collaborateurs (leurs administrés) face à une informatisation débridée ou l’artificiel deviendrait la règle.

Xavier Drouet

Article publié sur le site : Territoires et Entreprises : Agir ensemble dans les transitions - Hommes et Sciences
 

Dernière modification le jeudi, 12 septembre 2024
Drouet Xavier

Xavier DROUET, 63 ans, est ancien élève de l'École Normale Supérieure où il a étudié la Physique et la Biochimie. Il est aussi Docteur en Médecine.
Après une carrière scientifique dans la recherche académique, appliquée et industrielle, il a dirigé plusieurs sociétés à fort contenu technologique pendant 15 ans et consacré 8 années à soutenir la recherche, l'innovation et le développement économique au niveau régional et national à des postes de direction au ministère de la Recherche et dans les services du Premier Ministre en France.
Depuis 2015 il exerce une activité d'expertise et de consultant pour accompagner des projets de créations ou de croissance d'entreprises de la microentreprise unipersonnelle à la start-up «techno».
Il est également auteur et conférencier (sciences, économie, stratégie) pour le compte d'entreprises, d'organisations de diffusion de la culture scientifiques et de media d'information pour les professionnels ou le « grand public ».

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