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Contrairement aux autres petits de mammifères, l’humain ne sera généralement pas capable de se mettre debout et de marcher avant un an après l’accouchement, soit une période plus longue que les neuf mois de sa gestation fœtale. Cette particularité a les plus grandes conséquences. 
 
L’humain demeure longtemps inachevé après la naissance pendant sa vie post-fœtale.
 
J’ai souligné que cet inachèvement de longue durée crée chez l’in-fans un sentiment d’impuissance et une frustration grandissante, et qu’il y réagira en développant à l’opposé. dès qu’il pourra se tenir debout, un désir de puissance : Prométhée, qu’il faut ajouter au couple freudien d’Éros et Thanatos (CyberProméthée, l’instinct de puissance, vlb édition, 2002).
 
Il faut aussi prendre en considération la simultanéité, en ses débuts confusément mêlée, de la naissance de son corps et de celle du monde qui vient à lui. Elle se traduit par l’inachèvement indistinct du corps du petit humain et du monde qui naît autour de lui. On parlera donc à ce stade de l’inachèvement conjoint de la naissance du petit d’homme et du monde. Cette simultanéité du développement prend dans la conscience en formation du petit humain les mêmes traits ego centrés, anthropomorphiques et fabulatoires. La naissance du monde relève des mêmes interprétations émotionnelles de satisfactions et de manques,de désirs et de peurs, de plaisirs et de souffrances.
Leur intelligence est confondue entre la corporéité de l’humain qui se complète et la matérialité du monde qui se forme. Rien n’y est rationnel.Tout y est quête biologique de la satisfaction corporelle. C’est l’instinct de vie et de survie qui règne. Toutes ces images, leur syntaxe et les pouvoirs de leurs acteurs relèvent de la structuration du carré parental dans le psychisme plastique de l’enfant. Et ces images et structures in-nées (générées au cours de la naissance) sont là pour s’inscrire dans la conscience pratique autant que dans l’imaginaire de l’humain pour toute sa vie, comme un mode de penser et d’imaginer naturel, évident, familial/familier.
C’est dans cette conscience et ce psychisme en émergence que se situe l’origine biologique et la gestation socio-familiale des mythes. Il ne faut surtout pas les chercher ailleurs, dans je ne sais quel mystère éternel qui nous dépasse et nous surplombe, comme l’a fait la psychanalyse jungienne. Il ne faut pas en rajouter dans la fabulation, en inventant des archétypes ou des dieux ! Ce qui peut donner cette impression d’éternité ou de permanence, c’est seulement l’éternelle répétition biologique de la naissance et du carré parental pour chacun de nous, génération après génération, universellement quelles que soient la diversité des sociogenèses de la psyché selon les époques et les cultures.
 
Ce qu’il faut retenir, c’est le lien indissociable entre la naissance de l’humain et du monde, leur unité originelle et leur gestation conjointe pendant près d’un an de vie post-natale.
 
C’est au terme de ce premier cycle du développement que le petit d’homme aura la conscience distincte de s’approprier son propre corps, auquel il va s’identifier, et de se séparer du monde extérieur qu’il conçoit comme un contenant de sa vie, étranger étranger à lui-même, qu’il va continuer à interpréter de façon tantôt utilitariste, tantôt fabulatoire.
 
Et il n’est pas étonnant de constater conséquemment que le monde virtuel, le cybermonde numérique que nous secrétons avec nos algorithmes, est beaucoup plus proche, intime de l’humain que le monde réel, qui nous semble beaucoup plus différent de nous et que nous percevons comme distant, étranger et inattentif à nous. Certes le cybermonde est instrumental et utilitaire, mais il est beaucoup moins hétérogène à l’humain que le monde réel. Il lui colle à la peau, il répond sans effort à ses désirs et à ses craintes, il satisfait directement ses instincts, Éros, Thanatos et Prométhée. Il est beaucoup plus fabulatoire que le monde réel. Ou, en d’autres termes, paradoxalement beaucoup plus réel imaginairement pour nous que le monde réel physique dont nous subissons les résistances, les frustrations et la méconnaissance. Cette irréalité attribuée au monde virtuel dans le langage courant constitue paradoxalement une intimité psychique de l’humain.
 
D’où son succès : voilà un monde pensé et créé à notre image, par et pour nous, modifiable selon nos fantasmes et notre instinct de puissance, érogène et vital, dans lequel nous pouvons nous identifier. Nous n’y sommes pas un accident du hasard anecdotique et étranger au monde, comme nous voyait Jacques Monod dans l’univers que découvre la science. Nous sommes au cœur, au centre du monde virtuel, comme l’escargot dans sa coquille, comme la tortue dans sa carapace, comme le noyau dans la cerise.
 
Hervé Fischer
Dernière modification le lundi, 05 janvier 2015
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