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Alors que les dernières statistiques françaises de créations d’entreprises font état de la croissance des créations avec le statut de micro-entreprise, des travailleurs ubérisés se sont rassemblés le 22 février dernier à Bruxelles pour appeler, sans succès, l’Union Européenne à approuver le texte qui doit encadrer les conditions de travail via les plateformes numériques.

Les dernières statistiques de créations d’entreprises publiées par l’INSEE en février 2024 nous apprennent que le niveau de création d’entreprises en France tend à se stabiliser : 1 051 500 nouvelles entreprises ont vu le jour au cours de l’année 2023 soit 1 % de moins qu’en 2022. Alors que l’on observe un recul de la création de sociétés (-8%) et des entreprises individuelles classiques (-6%), les créations de micro-entreprises continuent d’augmenter (+ 3%) pour atteindre un nouveau record : 667 400 en un an.

Ces chiffres confirment le développement de l’esprit d’entreprendre en France ; toutefois la part, croissante, des créations avec le statut de micro-entreprise (63 % des immatriculations) doit attirer l’attention sur plusieurs points :

– la diversité des motivations* pour le choix de ce statut grâce auquel le nombre de créations d’entreprise par an a triplé depuis 2008, année de la création du régime de l’auto-entreprise maintenant appelée microentreprise

– la place de l’intermédiation numérique par laquelle le microentrepreneur a recours à un tiers développer voire organiser son activité

– l’évolution du « monde du travail » avec glissement du format employeur/salarié vers une relation de donneur d’ordre/prestataire.

*A propos de motivation pour la création d’entreprise : on peut souligner ici qu’en 2023 Pôle Emploi a estimé qu’environ une entreprise sur deux est créée par un demandeur d’emploi. Cela s’explique en partie par le fait que cet établissement public permet aux bénéficiaires des allocations chômage de créer leur micro-entreprise tout en percevant des indemnités. Cela ne doit pas faire oublier que pour certains demandeurs d’emploi en fin de droit, notamment chez les jeunes, il n’y a pas d’autre choix que s’inscrire sur une plateforme de type UberEats ou Deliveroo pour gagner (maigrement) sa vie.

Micro-entreprise : de quoi parle-t-on ?

Administrativement la microentreprise est une forme d’entreprise individuelle qui bénéficie d’un régime fiscal simplifié et d’un calcul des charges sociales forfaitaire   D’après les dernières données publiées URSSAF fin juin 2023 on en dénombrait 2,715 millions en 2023 dont dont 51 % étaient vraiment actives avec un chiffre d’affaires annuel moyen de 19400 € et un revenu mensuel moyen de 590 € (INSEE). On constate que près de 30 % des micro-entrepreneurs exercent aussi une activité salariée.

Les micro-entreprises constituent un ensemble très hétérogène quant aux secteurs d’activité dont elle relèvent notamment le BTP (gros oeuvre, installation, finition), le commerce de détail (alimentaire et no alimentaire), le transport de voyageurs ou de marchandises (VTC, livraison à domicile…), l’informatique et la communication, l’hébergement et la restauration, les services aux entreprises (conseil, administration, comptabilité.. ), les services à la personne (aide à domicile, soins du corps…).

On notera aussi que, en 2023, 17 % des nouvelles microentreprises sont créées par des personnes de nationalité étrangère, 39 % des micro-entrepreneurs ont moins de 30 ans (62 % dans le secteur du transport) et 42 % des microentreprises sont créées par des femmes (INSEE).

Que les micro-entrepreneurs se mettent à leur compte par choix de vie professionnelle, pour compléter leurs revenus par nécessité économique, leur liberté d’action peut être très différente selon les clientèles et les circuits commerciaux utilisés pour les atteindre.

Le micro-entrepreneur seul maître à bord ? Pas toujours…

En principe

Les micro-entrepreneurs sont,des travailleurs non salariés véritablement indépendants, par exemple : un photographe free-lance en début d’activité, un consultant en marketing, un commerçant à l’activité « informelle » jusque là qui régularise sa situation.

On voit ainsi des infographistes qui se mettent à leur compte pour vivre leur vie professionnelle sans patron, des ingénieurs qui, au sortir de l’université ou après quelques années d’activité salariée, se lancent dans une activité artisanale qui les passionne, des bricoleurs habiles qui ne veulent plus travailler au « black ». 

Le micro entrepreneur et son marché

La route est longue pour trouver des clients et avoir une activité régulière : inscription sur des annuaires, bouche à oreille, association professionnelles, ancien patron passant un premier contrat pour amorcer la pompe.

Un parcours semé d’embûches commence alors pour ces entrepreneurs solitaires et souvent inexpérimentés dont le travail acharné et la débrouillardise ne suffisent pas toujours à pérenniser leur activité à un niveau de rémunération décent.

Heureusement, certaines microentreprises connaissent la réussite (dans 30 % à 50 % des cas selon que le projet a été accompagné ou non), le chiffre d’affaires se développe et les plus dynamiques passent à la vitesse supérieure en changeant de catégorie (pour devenir des entreprises individuelles le plus souvent) et embauchent leur premier salarié.

L’intermédiation numérique est incontournable. Elle peut passer par une plateforme de mise en relation avec des clients potentiels via un apporteur d’affaire généraliste offrant des opportunités de développement commercial, par une plateforme spécialisée (secteur du BTP, Informatique et communication,.. .), par des places de marchés multisectorielles (LeBoncoin, Amazon, …) ou un service complètement intégré de type Uber, Deliveroo…

Actuellement un nouveau micro-entrepreneur sur six trouve ses clients avec une plateforme de mise en relation ; cette proportion s’élève à près de deux sur trois dans les transports, secteur dans lequel l’entrepreneur l’est de moins en moins au point que plusieurs plusieurs décisions de justice ont requalifié la relation de la plateforme avec le microentrepreneur en contrat de travail comme cela été le cas en France pour plusieurs plateformes (dont Deliveroo et Uber) et dans d’autres pays d’Europe (Royaume Uni, Espagne, Italie).

Plateformes et dépendances

Les progrès de l’informatique et des télécommunications, ainsi que la généralisation de l’usage du smartphone, ont démocratisé l’interactivité numérique qui envahit notre vie quotidienne dans le secteur non marchand véritablement coopératif : échange, partage, etc. , et dans les prestations commerciales : chat commercial de sites de vente e-commerce, enquêtes en ligne, publicités ciblées…

On l’a vu plus haut, bon nombre de micro-entrepreneurs ont recours à des plateformes « collaboratives » qui les mettent en relation avec des clients qu’ils n’ont pas prospecté eux-mêmes. Leur liberté d’action est alors limitée par les règles de fonctionnement et les exigences de la plateforme et ce d’autant plus qu’elle a « ubérisé » son process de A à Z.

Dans cet univers de l’économie collaborative monétisée, où le troc et la partage sont devenus un business, les secteurs les plus touchés par l’ubérisation sont le transport de personnes, la livraison à domicile, les services à la personne, l’enseignement, le tourisme, le marketing conversationnel, et même l’industrie du sexe…

L’indépendance du microentrepreneur est très relative lorsqu’il utilise les technologies numériques d’intermédiation intégrées, que ce soit en terme de définition des tarifs (qui peuvent être unilatéralement revus à la baisse par la plateforme) ou en terme de liberté d’organisation en particulier du planning de « l’entrepreneur » à qui l’on a fait miroiter une activité à temps choisi. Ce temps choisi ne l’est pas vraiment tant il est dit et redit que les horaires les plus « rentables » sont à telle ou telle heure et que sa notation peut dépendre de sa réactivité (et donc de sa disponibilité).

Le prestataire branché sur la plateforme sait bien que c’est au moment où il y a des clients qu’il doit être disponible s’il veut gagner sa vie. Faut il alors que la plateforme insiste autant, au point de devenir un apporteur d’affaire directif par sa capacité à piloter et/ou filtrer, à sens unique, la relation de l‘entrepreneur vers les clients. A cette dépendance au jour le jour s’ajoute la crainte de se voir privé de rémunération si la plateforme, très souvent déficitaire, cesse brutalement son activité comme Take Eat Easy en juillet 2016.

Bref, ces (micro)entrepreneurs là ne maîtrisent pas leur avenir et la perspective de croissance de leur propre activité est hypothétique voire nulle … la face cachée de la Start-up Nation en quelque sorte.

Profits et pertes

L’activité des ces plateformes permet à des dizaines de milliers de chômeurs, d’étudiants ou de travailleurs précaires de facturer une vingtaine d’euros par heure (dans le meilleur des cas) ce qui leur permet d’espérer percevoir une rémunération horaire de dix euros une fois toutes les charges déduites.

Pour les entreprises, le recours au micro-entrepreneur a l’avantage de faire diminuer ses charges (le coût unitaire d’une prestation d’un micro-entrepreneur payé « à la tâche » peut être jusque deux fois moins élevé que dans le cas de l’exécution du travail par un salarié) et surtout les contraintes de passif social d’un contrat de travail.

Le statut de micro-entrepreneur ne sert donc pas qu’aux entrepreneurs eux-mêmes, il est aussi une aubaine pour des sociétés, parfois peu scrupuleuses, qui usent et abusent de ce dispositif pour contourner les règles du travail salarié.

A ce jeu biaisé de qui perd-perd où le micro-entrepreneur subit une quasi-subordination deux questions sont posées :

  • Ces nouveaux circuits, dont la rentabilité est encore un mirage ont ils tous un avenir dans la contexte économique actuel et le cadre normatif à venir ?
  • Comment la valeur ajoutée peut elle être partagée entre le donneur d’ordre, le client et l’entrepreneur sans que le travail de ce dernier soit disqualifié, sous payé, et contraint à une précarisation pénible et une paupérisation injuste ?

En décembre 2021, la commission Européenne a présenté un projet de directive contenant différentes dispositions “visant à renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques comme Uber, Deliveroo ou Bolt ». Les eurodéputés se sont prononcés favorablement (en renforçant le texte) en février 2023 ; en revanche et sur fond de divergences entre les États membres, le conseil de l’Union Européenne a proposé d’assouplir le texte initial. Il faut donc que la Parlement et le Conseil s’accordent sur la version finale de la directive pour qu’elle soit adoptée : après une demi douzaine de cycles de négociations on attend (toujours) la suite…

Pour le moment, en France, la micro entreprise est un classification légale qui permet trop souvent de transférer, à moindre coût, du travail salarié vers un statut d’indépendant moins coûteux pour le donneur d’ordre et moins protecteur pour le travailleur qui n’a d’entrepreneur que le statut administratif..

Qu’elles soient complètement libres ou dépendantes d’une intermédiation numérique, les micro-entreprises ne pourront continuer de se développer qu’à la condition que leur activité et le travail des micro-entrepreneurs soit synonyme de vie sociale dans une relation saine avec leur donneur d’ordre, donc d’un rapport client-plateforme-prestataire équilibrée, et non pas de “trepalium”.

Xavier Drouet

Publié sur le blog : https://hommesetsciences.fr/micro-entreprises-et-plateformes-internet-collaboration-et-conflits/

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Dernière modification le vendredi, 24 mai 2024
Drouet Xavier

Xavier DROUET, 63 ans, est ancien élève de l'École Normale Supérieure où il a étudié la Physique et la Biochimie. Il est aussi Docteur en Médecine.
Après une carrière scientifique dans la recherche académique, appliquée et industrielle, il a dirigé plusieurs sociétés à fort contenu technologique pendant 15 ans et consacré 8 années à soutenir la recherche, l'innovation et le développement économique au niveau régional et national à des postes de direction au ministère de la Recherche et dans les services du Premier Ministre en France.
Depuis 2015 il exerce une activité d'expertise et de consultant pour accompagner des projets de créations ou de croissance d'entreprises de la microentreprise unipersonnelle à la start-up «techno».
Il est également auteur et conférencier (sciences, économie, stratégie) pour le compte d'entreprises, d'organisations de diffusion de la culture scientifiques et de media d'information pour les professionnels ou le « grand public ».

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