Le ministre Jean-Michel Blanquer veut mettre l’accent sur l’acquisition de savoirs qu’il dit « fondamentaux», en réponse au décrochage des élèves français dans les enquêtes internationales.
Fruit, dit-il, d’une « intelligence collective », celle du nouveau Conseil scientifique qu’il a mis en place cette année avec à sa tête le très controversé neuroscientifique Stanislas Dehaene, ce « cadre » national liste une série de préceptes et d’orientations. Notamment, la journée des écoliers sera désormais rythmée par plusieurs rendez-vous quotidiens obligatoires : une dictée, un quart d’heure d’exercices d’écriture et un quart d’heure de calcul mental, matières d’ailleurs déjà présentes dans les programmes. Il va même jusqu'à indiquer le format et le quadrillage Seyès des cahiers à utiliser !
Cette stratégie de gouvernance pose plusieurs problèmes ; surtout, elle masque les lacunes les plus importantes pour un renouveau de l’école française. Renouveau qui passe par une vision à long terme des finalités de l’école, qui se doit d’inclure la réussite scolaire et sociale dans la réussite humaine, et d’envisager, en même temps que l’intellectualisation, le déploiement des qualités qui permettent un « vivre ensemble » harmonieux dans la classe et dans la société. Tous aspects absents des tests PISA qui dictent en partie les orientations de la pédagogie des écoles européennes.
La pratique du ministre de l’Education nationale, peut paraître de bon sens à première vue ! Elle flatte les parents, rassurés par le « retour de l’ordre », les seniors, et tous ceux et celles qui pensent, pour avoir été formé(e)s ainsi, qu’ « avant c’était mieux ». On oublie que 35 % d’une classe d’âge seulement réussissait au certificat d’études dans les années 1920 ; 50 % à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Et à la fin des années 60, le nombre d’illettrés était encore de 30%. Il n’est plus que de 7% aujourd’hui.
Ce qui nous inquiète le plus est que le ministre laisse croire que la question de la réussite scolaire est attachée à une « méthode », faite de recettes datant d'une école fantasmée qui aurait été celle de la réussite. De la réussite pour tous ? ou celle de l’ « élite » ?
Il présuppose qu’avec un bon guide, on arrive à faire un bon enseignant ! Ce discours extrêmement simpliste est en opposition à toute la complexité de l’apprendre. Le ministre, annonce par exemple le retour au « B-A BA » pour lutter contre la baisse de niveau de lecture. Pourtant il sait bien, quand on l’interroge, que l’acquisition de la lecture n’est pas seulement affaire de déchiffrage, la compréhension globale de la phrase est capitale, et d’ailleurs aussi envisagée, mais secondairement. Or nos élèves, selon les résultats de l’enquête PIRLS, sont déjà de bons déchiffreurs. Alors pourquoi cette antienne ?
De même, pourquoi préconiser un livre de lecture, alors qu’un des obstacles principaux du désintérêt des élèves pour la lecture est directement lié à ces manuels considérés comme « nian-nian », c’est-à-dire sans intérêt, par les élèves. N’apprend-t-on pas mieux à lire à travers des histoires attrayantes, des textes de sciences, d’histoire, de l’actualité proche des enfants? Il en est de même pour l’écriture et l’orthographe. Les cours de grammaire ou d’orthographe génèrent beaucoup d’ennui. C’est à travers tout ce qui fait sens pour les élèves, à commencer par le texte libre cher à Freinet, qu’on suscite de l’intérêt pour ces acquis…
Alors pourquoi toutes ces injonctions ? Au-delà des procès d’intention, ne s’agit-il pas plutôt d’un simple réflexe technocratique : celui qui pousse à faire évoluer tout système par le haut grâce à des règlements, des prescriptions, des préconisations, avec injonction de s’y conformer, sans remettre en question la pertinence de la finalité sous-jacente.
Cela est dénoncé vigoureusement par le SGEN qui « conteste le principe même de ces circulaires qui nient l’expertise des personnels ». Sans doute faudrait-il former nos décideurs autrement ? Une simple initiation à l’analyse systémique, approche capitale, pourtant pas au programme de l’école, fait comprendre que bien sûr le « haut » a son rôle à jouer. Mais que s’il génère la réponse systémiquement prévisible des contre-pouvoirs du « bas » le système se bloque. Difficile de faire évoluer l’école ainsi, et pas seulement….
En mettant l’accent sur ces quelques règles, le ministre n’oublie-t-il pas l’essentiel ? D’abord, la perte dramatique du désir d’apprendre que l’on constate au cours de la scolarité, dû au manque de sens de la pédagogie habituelle, celle qui est renforcée par ces directives. Ensuite l’absence dramatique d’une formation initiale et continue sérieuse des personnels, qui tienne compte de toute l’expérience pédagogique accumulée depuis deux siècles, et leur fasse confiance pour continuer de la faire évoluer en intégrant les connaissances psychologiques et neuroscientifiques qui leur sont utiles, mais surtout à l’aide leur propre expérience. Les enseignants ne sont pas de simples reproducteurs de recettes, mais des concepteurs. Ne sont-ils pas des cadres A ? Enfin, on ne pose pas la question des savoirs pour aujourd’hui. Les savoirs fondamentaux ne se limitent plus aux traditionnels « savoir lire, écrire et compter ». Notre société complexe, faite d’incertitudes, en demande beaucoup d’autres[1].
Ecole, changer de cap
[1] Voir par exemple « Des savoirs essentiels qui manquent à l’école… » André Giordan, Conférence à l’UNESCO, Colloque école Changer de cap, 2 octobre 2013
http://www.andregiordan.com/articles/ecole/savoirsessentiels.html