La créativité est une valeur universelle, trop souvent sous-estimée par les opinions et les pouvoirs publics. Certes, dans le monde contemporain (il n’en allait pas de même dans les sociétés traditionnelles qui, pour assurer leur reproduction, privilégiaient généralement les forces de conservation), le plus grand nombre admire les résultats et louange (plus ou moins) les créateurs et leurs œuvres, qu’elles soient artistiques ou scientifiques. Mais on ne porte pas, sauf dans quelques pays, scandinaves notamment, une attention suffisante à l’ensemble des processus qui permettraient à un nombre beaucoup plus important de citoyens d’épanouir leurs potentialités créatrices, quel qu’en soit l’objet. On n’imaginera jamais le nombre de Mozart, de Zidane, de Picasso ou de Pasteur, qui n’ont pas eu la chance de leurs illustres devanciers de mettre en valeur le génie qu’ils possédaient en eux-mêmes. Et même si on considère que le génie reste l’affaire d’un tout petit nombre (ce qui n’est d’ailleurs pas démontré), on peut bien considérer que les circonstances de la vie, des environnements défavorables, n’ont pas permis à l’immense majorité d’entre nous de libérer toutes les virtualités et tous les désirs que nous recelions. A cet égard, le rôle primordial des processus d’apprentissage et, plus particulièrement de l’école, est évidemment interpellé. Or, si sa mission de transmission des connaissances (qui sont autant de créations passées) est évidemment indiscutable, la difficulté de son rôle dans la valorisation de la créativité et la réflexion sur nos impacts individuels et collectifs sur notre environnement a trop souvent été occultée.
Pourtant, la créativité est une valeur essentiellement consensuelle en ce qu’elle porte en elle-même tout à la fois l’épanouissement personnel des créateurs et l’élévation du bien collectif pour le reste de la société qui bénéficie de l’ensemble de ses retombées.
Le premier aspect humaniste ne devrait guère avoir besoin d’être argumenté : pour ne rester que dans la tradition française, il plonge ses racines tout à la fois chez Condorcet et les pères de la IIIe République, et les fondateurs du socialisme, du jeune Marx et de Proudhon. C’est d’ailleurs à ce dernier qu’emprunte la synthèse humaniste de Jaurès, quand il reprend sa formule : « l’enfant a le droit d’être éclairé par tous les rayons qui viennent de tous les côtés de l’horizon, et la fonction de l’État, c’est d’empêcher l’interception d’une partie de ses rayons ». Traduit en termes contemporains, on pourrait proposer comme perspective idéale que tous les enfants bénéficient de chances égales de devenir des créateurs, ou producteurs de connaissances, en acquérant les méta-techniques, qui leur permettraient d’actualiser leurs capacités et de créer de nouvelles connaissances tout au long de leur vie. En apprenant à créer, dans des collectifs, des connaissances qui leur permettent de mieux comprendre l’environnement dans lequel ils évoluent et les implications de leurs choix, on en fera des citoyens responsables, acteurs du monde de demain capables d’inventer un avenir durable.
SOURCE :
Taddéi Dominique, Taddei François, « Créer les créateurs d'un avenir durable. », Multitudes 2/2009 (n° 37-38) , p. 14-21
URL : www.cairn.info/revue-multitudes-2009-2-page-14.htm.
DOI : 10.3917/mult.037.0014.