Ce rapport est particulier : il est à la fois le rapport annuel du Comité, qui analyse l’année écoulée et formule des recommandations selon la grille d’analyse retenue depuis 3 ans (efficacité, équité, transparence, sécurité). Mais ce rapport est aussi un bilan du travail accompli par le Comité depuis 20191 , des évolutions de Parcoursup, des réponses apportées à l’aune de ses propositions et des progrès encore nécessaires.
À titre liminaire, le Comité souhaite écarter deux contrevérités relatives à Parcoursup.
En premier lieu, même si Parcoursup a pris de plus en plus une place totémique dans le débat public, il n’est pas en lui-même responsable de toutes les difficultés liées à l’entrée dans l’enseignement supérieur, même s’il en est parfois le révélateur et si ces difficultés peuvent en gripper le fonctionnement.
L’insuffisance de l’offre de formation dans les instituts universitaires de technologies (IUT) par exemple a des répercussions sur l’acceptation des candidats dans les filières en tension et sur les délais d’attente.
En second lieu, réduire Parcoursup à son algorithme, accusé de « non humanité » est particulièrement inexact dès lors que celui-ci a une place assez limitée dans le processus de détermination des affectations des élèves ;
il est un simple algorithme d’appariement et ce n’est pas lui qui exprime des vœux, qui classe les candidats et accepte les propositions faites. A l’inverse, Parcoursup est un dispositif complexe de choix successifs qui fait intervenir de multiples acteurs et c’est cet ensemble qui doit être analysé au regard des principes éthiques. En réalité, Parcoursup a introduit dans le recrutement des étudiants une rigueur et une transparence qui n’existaient pas précédemment.
Face à ces croyances erronées qui monopolisent malheureusement trop souvent le débat public, le CESP souhaite à l’inverse souligner trois constats positifs de la mise en place de Parcoursup.
D’abord, Parcoursup a montré sa plasticité et sa capacité à s’adapter en tant que système complexe à des environnements mouvants et des attentes évolutives (la plateforme a ainsi enregistré plus d’un million de candidats en 2020 pour un nombre de formations passé de 13 400 en 2018 à 19 500 en 2020).
Ensuite, il est clair que Parcoursup donne corps à une coopération des acteurs de l’enseignement supérieur, que prévoyait la loi de 2013 mais qui était largement restée lettre morte et qui est profitable pour les étudiants.
Enfin, la participation du monde de la recherche à l’amélioration du dispositif Parcoursup, qui a été encouragée par le MESRI, est une voie très prometteuse en matière de politique publique qui doit être soutenue.
C’est dans ce contexte qu’intervient la production du quatrième rapport du Comité d’éthique et scientifique Parcoursup.
À ce titre, il émet 17 recommandations susceptibles de préciser les objectifs et les modalités de fonctionnement de la plateforme pour les années à venir.
Sur l’efficacité des procédures :
Le CESP considère que l’efficacité de la procédure progresse et n’a pas pâti de l’élargissement du périmètre de la plateforme (effectif et profils des candidats, nombre de formations) avec en 2021 94 % de néo-bacheliers ayant reçu une proposition. Il souhaite cependant réitérer ses propositions principales précédentes visant à :
- accélérer la procédure à travers la mise en place d’une hiérarchisation des vœux après la clôture de la phase principale pour les candidats encore en attente à la mi-juillet ;
- améliorer l’adéquation de l’offre et de la demande en soulignant l’insuffisance de l’offre de formations courtes permettant une insertion professionnelle à Bac+2 ou Bac+3 ;mieux prendre en compte la diversité des profils des candidats en renforçant l’accompagnement par l’établissement d’origine pour les réorientés et par la création de quotas et d’une procédure particulière pour les candidats en reprise d’études) ;
- faire progresser la cohérence et la pertinence des indicateurs de suivi de la procédure, tout en restant vigilent sur leur interprétation, ces indicateurs globaux recouvrant des comportements individuels variés (déception abandon, nouveau projet …).
Au-delà de ces rappels, ce rapport identifie cette année un autre frein aux admissions, et tout particulièrement aux propositions : le fonctionnement des formations sélectives qui ont des places vacantes en fin de procédure et le concept même de formations sélectives.
1- Il préconise d’abord de réaliser un « surbooking » d’appel pertinent dans les formations sélectives qui ne remplissent pas et ne vont pas au bout de leur liste d’appel. S’il est théoriquement possible de créer des algorithmes de « surbooking » au niveau national, le comité préfère une autre solution : responsabiliser et former les équipes de terrain (établissements et académies).
2- Il incite ensuite fortement les formations sélectives qui ne remplissent pas à classer plus de candidats (au moins 10% de plus). Ceci relève des responsables de l’académie, les mieux placés pour convaincre et ajuster ces augmentations.
3- Le Comité estime enfin que la distinction entre formations sélectives et non sélectives n’est plus pertinente aujourd’hui compte tenu du classement réalisé par toutes les formations : elle constitue un frein à l’admission pour les formations qui ont des places vacantes en fin de procédure, elle n’incite pas à l’adaptation des contenus au public, la sélectivité est davantage caractérisée par le taux d’accès que par la possibilité de refuser des candidats et induit une sélection systématique dans les formations courtes préparant à une insertion professionnelle directe.
Aussi il propose d’engager une réflexion pour abolir législativement, à terme, la distinction entre formations sélectives et non sélectives, en appliquant simplement la règle de la capacité d’accueil qui permet le classement des candidats. Il s’agit de supprimer, pour des formations, la possibilité de refuser des candidats à priori. Il ne s’agit pas en revanche de mettre à bas la sélection méritocratique des étudiants puisque le classement pratiqué par toutes les formations est fondé sur celle-ci.
Sur la transparence :
La transparence est au cœur des débats sur Parcoursup depuis sa création.
Elle a fait l’objet de préconisations continues du CESP depuis 2019, en particulier sur la documentation de la phase complémentaire ou sur la publication des critères d’examen des vœux et le rapport de délibération des commissions, et elle progresse chaque année.
La réforme du baccalauréat général et technologique, conçue en cohérence avec la loi ORE, offre l’opportunité d’améliorer encore la transparence dans un continuum bac -3 / +3, en particulier sur deux points : la prise en compte du lycée d’origine et la nécessaire publication des algorithmes locaux.
4- Afin que les commissions d’examen des vœux (CEV) disposent de notes indépendantes des lycées d’origine, le CESP préconise que les lycées harmonisent leurs notes de contrôle continu sur des bases objectives par le recours à des épreuves communes tirées de banques de sujets, s’inspirant des E3C (Épreuves Communes de Contrôle continu) initialement instaurées puis abandonnées par le ministère de l’éducation nationale.
5- Afin que les personnels des lycées et les lycéens disposent pour leurs conseils et leurs choix de critères précis d’examen des candidatures pour chaque formation, le CESP réaffirme sa préconisation de 2020 que toutes les formations de Parcoursup ayant recours à un pré-classement de leurs candidats en affichent ex ante l’algorithme, et qu’elles publient également les poids accordés aux différents critères complémentaires utilisés pour finaliser les classements pédagogiques.
6- Le CESP préconise que ces deux démarches adjacentes soient menées de manière décentralisée dans la concertation des acteurs de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur.
7- Le CESP préconise une large information des familles sur les enjeux de l’harmonisation du contrôle continu du baccalauréat en vue de Parcoursup.
Sur l’équité :
Dans ses précédents rapports, le Comité a notamment souligné le risque d’inégalité engendré par la procédure complémentaire, fonctionnant sur un principe de « premier arrivé, premier servi », et s’est livré à une première analyse de la politique des quotas à l’échelle territoriale. Il approfondit cette année la question des quotas de boursiers et des bacheliers professionnels en section de technicien supérieur (STS) et technologiques en IUT.
8- Le Comité réitère les recommandations de son rapport 2020 sur les quotas de boursiers. L’affichage de quotas en faveur des boursiers a encouragé cette catégorie d’élèves à postuler davantage dans les filières sélectives. Il convient donc de maintenir cette politique et d’en suivre de près les effets pour mesurer son efficacité réelle sur le long terme. Mais cette mesure ne suffit pas à elle seule et doit s’accompagner en amont d’un travail sur l’accompagnement et l’orientation des élèves boursiers dans leurs choix de filières de formation.
9- Malgré les quotas institués en faveur des bacheliers professionnels, le comité constate que leur part en STS n’évolue que lentement depuis plusieurs années. À cela s’ajoute un taux de réussite moindre que celui des bacheliers généraux et technologiques. En revanche, les premiers effets de la fixation d’un objectif de 50 % de bacheliers technologiques en IUT sont visibles dans les résultats de la campagne Parcoursup 2021, avec une nette augmentation de leur part dans les admis en IUT. Pour aller plus loin et dépasser les blocages qui existent encore, le comité recommande de maintenir une politique ambitieuse de quotas tant en STS qu’en IUT et de fixer des objectifs précis à atteindre en STS comme cela a été fait en 2021 pour les IUT.
S’agissant de l’accès des bacheliers technologiques en IUT, la politique des quotas, si elle est utile et a montré son efficacité, ne suffit pas. Il faut également :
a- Améliorer l’information et l’orientation des élèves dès la classe de seconde générale et technologique, en valorisant les débouchés ouverts par les filières technologiques en IUT
b- Mener une vraie politique de rapprochement entre les acteurs de l’enseignement supérieur et des lycées afin de créer les conditions de réussite de ces bacheliers. S’agissant des bacheliers professionnels, outre le renforcement des objectifs en matière de quotas, les efforts doivent porter prioritairement sur l’amélioration de leur réussite en BTS qui reste encore préoccupante.
Sur la sécurité et l’ouverture de l’accès aux données :
De par ses enjeux pour les candidats et pour les formations, et du fait du caractère personnel et confidentiel des données stockées et manipulées sur la plateforme, Parcoursup est soumis à des exigences fortes de disponibilité, de sûreté et de sécurité informatique. Même s’il est rarement possible de les garantir pleinement, le Comité mesure les avancées réalisées : en particulier pour 2021 sur la conformité de l’algorithme à sa spécification, qui a fait l’objet d’une vérification remarquable par des chercheurs de deux laboratoires associant universités et CNRS (LaBRI et IRIF2 ). Il réitère ses propositions précédentes, à savoir impliquer les chercheurs français compétents (dans l’analyse et le design des interfaces et sur les questions de sécurité du système) et mieux responsabiliser les acteurs intervenants sur la plateforme au regard de la loi informatique et libertés.
Par ailleurs, compte tenu de leur richesse informative, ces données ont également vocation à être mieux exploitées, en particulier par des chercheurs, afin d’évaluer l’atteinte des objectifs de la politique publique menée. Si un appel à manifestation d’intérêt a été lancé par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, la situation a peu avancé et un certain nombre de freins demeurent.
Aussi le CESP formule cinq recommandations de nature à favoriser un meilleur partage des données.
10- Organiser rapidement, avec l’aide de chercheurs, la documentation de la totalité des données de Parcoursup et en donner accès à tous les laboratoires abonnés via le centre d'accès sécurisé aux données.
11- Donner à la DEPP un accès de droit et non pas sur demande à la totalité des données de Parcoursup.
12- Établir un programme de travail commun, arrêté entre les deux ministères, des deux services statistiques sur la transition du scolaire au supérieur (Bac-3 / Bac+3) à partir des données de Parcoursup.
13- Rendre disponible l’accès aux bases des deux services statistiques ministériels dans les locaux de chacun d’entre eux
14- Mettre à disposition des lycées un outil numérique leur permettant de connaitre le devenir de leurs élèves un an après la sortie du lycée. Cet outil doit être créé par une collaboration des deux services statistiques ministériels.
Sur ce que Parcoursup révèle des interactions entre enseignement scolaire et supérieur :
Après avoir étudié le cas spécifique de l’Île-de-France dans son rapport de 2020, le CESP a décidé de concentrer en 2021 ses investigations sur la Bretagne. Cette approche académique permet d’illustrer les interactions entre acteurs et met en lumières des pratiques qui ont une portée nationale, venant nourrir les différentes recommandations du Comité.
15- L’analyse menée sur les places vacantes en licences en particulier questionne la méthodologie de détermination des capacités d’accueil. Il apparait ainsi nécessaire, par un travail conjoint du MESRI et des acteurs, avec l’appui de l’IGÉSR, de concevoir un guide méthodologique sur la fixation des capacités d’accueils.
16- Il est en outre impératif que la question des capacités d’accueil soit un des éléments essentiels du dialogue stratégique et de gestion entre le MESRI, les rectorats et les établissements.
17- - L’organisation du pilotage de l’accès à l’enseignement supérieur permet d’identifier deux voies d’amélioration : la maitrise de l’offre de formation et son inscription dans la durée. Le Comité recommande de confier aux rectorats de régions académiques, en lien avec les régions, la mission d’organiser et d’opérationnaliser l’évolution continue de l’offre de formation affichée sur Parcoursup, quel qu’en soit le porteur (y compris par apprentissage).
Pour conclure, même si Parcoursup est devenu un objet totémique qui alimente des controverses souvent excessives et rendent son analyse raisonnée délicate, il est indéniable que sa mise en place constitue un progrès au regard des critères d’analyse du Comité.
Le Comité identifie cependant des enjeux plus transversaux afin d’assurer la pérennité de l’outil et sa réussite dans les années à venir.
- D’abord, la question de la gouvernance : compte tenu de l’ampleur du dispositif et de la multitude des acteurs intéressés, il faut équilibrer celle-ci entre le niveau national définissant des standards et des exigences communes, et le niveau plus décentralisé permettant des solutions plus spécifiques.
- Ensuite, l’effort d’orientation doit être accentué par l’accompagnement des différents publics par des acteurs de l’éducation qui maîtrisent les procédures et les données, qui conditionne la vision que chaque candidat aura de l’outil et des possibilités qui lui sont offertes.
- Enfin, la nécessité pour la France, en s’appuyant sur Parcoursup, de participer activement au débat mondial sur l’éthique des algorithmes
Le communiqué de presse
Tous les rapports du CESP sont disponibles à l’adresse suivante :
https://services.dgesip.fr/T454/S949/comite_ethique_et_scientifique_parcoursup
Dernière modification le jeudi, 01 septembre 2022