Malgré la très grande place accordée à leur mouvement, les “gilets jaunes” rappellent durement aux médias la défiance dont ils font l’objet auprès d’une partie de l’opinion publique… Comment expliquez-vous cela ?
Patrick Eveno – Les médias installés ne sont pas équipés intellectuellement pour réagir immédiatement et comprendre le mouvement inédit et multiforme des “gilets jaunes”. Ils le couvrent mais ne le comprennent pas. Pour répondre à cette incompréhension, les “gilets jaunes” s’expriment à travers d’autres canaux. C’est loin d’être nouveau.
Durant la Première Guerre mondiale, par exemple, les soldats estimaient que la presse ne reflétait pas leurs souffrances. Les poilus ont donc créé une presse de tranchées qui prétendait dire la vérité, comme aujourd’hui les « gilets jaunes » le font sur Facebook. En Mai 68, on a assisté au même phénomène avec la création de L’Enragé ou des Cahiers de Mai. La radio Lorraine Cœur d’Acier, apparue à la fin des années 1970 lors de la crise de la sidérurgie est, elle aussi, un exemple qui peut être cité.
Revue des Deux Mondes – Cette frange sociale se sent donc mal représentée par les médias installés. Ce problème de représentation ne se retrouve-t-il pas, comme l’estiment certains, au sein même du métier de journaliste, avec une production hors sol et de plus en plus éloignée du réel ?
Patrick Eveno – L’idée de la déconnexion du réel des journalistes est un poncif de la critique des médias. Je ne partage pas du tout cette analyse pseudo sociologisante. Il convient de rappeler que très peu de journalistes font véritablement de l’information, hormis ceux qui travaillent pour des chaînes d’info, dans la presse quotidienne ou pour quelques magazines.
La suite...
https://www.revuedesdeuxmondes.fr/la-defiance-envers-les-medias-existe-depuis-plus-de-deux-siecles/