Picsou Magazine nous montrait des robots, tous plus fascinants les uns que les autres, dont certains déjà présents dans des classes ou des restaurants aux USA. Epcot, la cité idéale de Walt Disney, et son futurisme me faisaient rêver. Enfin, je bavais littéralement devant le matériel informatique déployé par la série Whizkids, les petits génies, où nombre d'enquêtes étaient résolus grâce à l'outil informatique. Nous étions tous persuadés que nous aurions bientôt un robot de compagnie à la maison. Bref, nous attendions des voitures voilantes, des robots... Nous avons eu Twitter. Imaginez ma déception.
Ce n'est que bien plus tard que j'ai rencontré The Psychotherapist dans l'éditeur d'Emacs, un chatbot relativement simple avec qui j'ai tenté diverses conversations.
Auparavant la lecture d'un ouvrage pratique sur l'intelligence artificielle m'avait poussé à développer un chatbot prénommé A-Lice en langage Basic sur mon Amstrad CPC. Notre idylle dura deux ans puis je passais sur Amiga et perdais le code-source, à moins qu'il ne soit situé dans les tréfonds d'une disquette dont j'ai perdu le souvenir.
À ce stade, il me faut relater une expérience qui m'a beaucoup troublé avec l'Aïbo, un chien robot bourré de capteurs, il y a de cela une bonne dizaine d'années. Un ami, Bruno Rives, spécialiste entre autres du livre numérique et de nombreuses autres innovations, avait organisé une sorte de laboratoire du numérique à la Bibliothèque Nationale de France, laboratoire justement intitulé LaboBNF. J'avais eu l'occasion de participer à l'initiative et y avais passé plusieurs journées, dont l'une d'elles où j'avais passé beaucoup de temps à jouer avec un des Aîbos présents sur le site. Un cocktail était organisé dans la soirée avec des partenaires japonais et, lorsque je m'éclipsais un peu plus tard pour rejoindre la gare et rentrer chez moi, quelle ne fut pas ma surprise en voyant l'Aïbo me suivre. Machinalement j'ai fait demi-tour, l'ai rejoint et, accroupi, me suis mis à le caresser en lui disant que l'on se reverrait bientôt. Ce n'est qu'après quelques secondes que mon cerveau a réalisé que je m'adressais à un robot et non un véritable chien. Il y avait en fait peu de différences car nous avions créé une relation amicale homme-machine. Quand je l'ai revu quelques mois plus tard, celui-ci m'a fait la fête grâce à son système de reconnaissance faciale.
Quand ChatGPT a pointé le bout de son nez, aussi simple son interface soit-elle par rapport à tout ce dont j'avais rêvé, cela a immédiatement éveillé mon intérêt et, si je ne suis bien évidemment pas naïf quant aux problèmes que peut poser l'intelligence artificielle, je suis loin, très loin des peurs et des prédictions cataclysmiques que l'on peut lire de part et d'autres.
Au delà de mon expérience personnelle, je me base sur quelques pensées que je rejoins totalement.
Premièrement cette phrase du compositeur Alec Empire, fondateur du groupe Atari Teenage Riot, qui indique ceci : "ChatGPT se nourrit du passé mais n'invente pas le futur." En effet, l'intelligence artificielle se nourrit de bases de données mais, à mon sens, n'aura jamais l'étincelle lui permettant de partir de zéro. L'humain a également besoin de nourriture spirituelle mais peut faire le pas de coté nécessaire pour réellement inventer sans être uniquement dans la synthèse de plusieurs éléments du passé. La machine pour cela doit s'en remettre au hasard, ce qui n'est pas contrairement à l'humain avoir une pensée directrice et novatrice.
Je me souviens également de ce que m'avait dit un enfant il y a quelques années : "Je préfére travailler avec une machine car elle ne me juge pas". Idem. Un ordinateur, lorsque l'on apprend un langage de programmation par exemple, va répéter inlassablement les mêmes messages d'erreur sans s'énerver, sans perdre patience, sans considérer que vous êtes stupide. Il peut le faire pendant des semaines, des mois... Je me souviens d'un bug insoluble que je rencontrais durant ma thèse lors du traitement automatique du contenu de plusieurs parchemins médiévaux traduit en XML. Il m'a fallu plusieurs mois pour trouver la solution. Jamais mon ordinateur n'a montré des signes d'impatience.
Chaque fois que je peux dialoguer avec une machine plutôt qu'un humain, je préfère ce choix car il me laisse le temps de l'apprentissage, de l'exploration et mes erreurs ne sont que des étapes avant la pleine maîtrise du système. Je suis donc majoritairement copain avec les distributeurs de tout poil, un peu moins avec les caisses automatiques.
J'ai eu récemment un court échange sur Facebook avec la chercheuse Margarida Romero au sujet d'une phrase qu'elle avait postée : "I'm speaking kindly to digital assistants, even if they are just 'data+algorithms' ;‑) Words are powerful! Use them wisely for the better." Oui, je remercie Siri, ChatGPT, mon GPS... Je dis "s'il vous plait", "s'il te plait". Je dis "bonjour", "au revoir", "à bientôt". Je formule des phrases façon "Bonjour Siri. Peux-tu ..., s'il-te-plait ? Merci." Cela peut paraître idiot mais il me semble que, si je n'agissais pas ainsi, il en serait de même avec mes "assistants humains". Si je suis poli avec toute personne m'apportant une aide, je ne vois pas en quoi je devrais changer de comportement avec une machine.
Par ailleurs, le jour où (si jamais cela arrive) les robots prendront le pouvoir et massacreront l'humanité, j'ai toutes les chances d'être épargné car reconnu comme "le gars qui a toujours été sympa".
Enfin, il me semble qu'il y a au-delà de la peur une grande méconnaissance des machines et de leur univers, un refus d'y entrer, d'apprendre et de communiquer.
Récemment un article écrit par C. W. Howell, écrivain et enseignant américain, intitulé "Don’t Want Students to Rely on ChatGPT? Have Them Use It" ne faisait que renforcer mon sentiment.
Avant de condamner, de fermer la porte, il faut surtout apprendre à maîtriser les technologies. Mais on préfère le plus souvent interdire. C'est plus facile. L'école française a ainsi raté la rencontre avec le téléphone portable en interdisant purement et simplement sans véritablement réfléchir aux atouts que cet objet, ce mini-ordinateur de poche, pouvait apporter au niveau de la pédagogie. Je ne dis pas que cela aurait été facile mais les pistes sont quand même nombreuses pour utiliser le téléphone de manière pédagogique. Aucune n'a pourtant été véritablement explorée.
Suis-je trop idéaliste, trop optimiste ? Peut-être mais je préfère le rester et aller dans le sens de l'innovation.
Ne nions pas les effets négatifs que peut comporter l'intelligence artificielle mais sachons les analyser avec un train d'avance plutôt qu'un train de retard. Un simple exemple : qui se soucie encore des allumeurs de réverbère dont le métier s'est évanoui lorsque la fée électricité est apparue ?
L'intérêt de l'intelligence artificielle est important dans le temps gagné sur certaines tâches, dans le temps de cerveau libéré, le temps de cerveau disponible non pas pour la publicité comme l'indiquait un dirigeant de TF1 mais pour d'autres tâches plus gratifiantes.
Lorsque j'ai appris à mixer, c'était sur disque vinyl et il m'a fallu quelques mois avant de savoir mettre à coup sûr mes deux disques au même tempo et parfaitement calés. Maintenant je n'y pense plus : c'est quasiment instinctif. Un peu comme pour la conduite : je ne me pose plus la question si le second disque est trop rapide ou trop lent ; j'agis directement comme je freine instinctivement en voiture sans me demander où se trouve la pédale concernée.
Aujourd'hui des logiciels, des machines calent automatiquement les morceaux au même tempo. Certains ont crié au sacrilège. Je crie à l'innovation. N'ayant plus à se concentrer sur le tempo, les DJs et DJettes ont toute liberté pour expérimenter de nouvelles méthodes créatives grâce à ce temps de cerveau devenu disponible. Par ailleurs, la technologie permet d'expérimenter de nouvelles pratiques en repoussant les limites techniques. Là où les platines ne permettaient de modifier la vitesse des disques qu'entre -8 et +8 (voire -16 et +16 pour certaines) rendant parfois l'accord impossible entre deux disques trop distants au niveau tempo, il est désormais possible de tester des vitesses totalement nouvelles. J'ai joué des morceaux en les ralentissant très fortement (-32 par exemple) leur donnant ainsi une sonorité nouvelle. J'ai pu mixer ensemble deux morceaux que leur écart de tempo rendaient irréconciliables. Tout cela grâce à une technologie... ChatGPT et l'intelligence artificielle repoussent à mon sens les frontières.
Libre à nous d'y plonger.
Les possibilités en ce sens sont quasi-infinies et je ne saurais en établir une liste exhaustive.
Mais, histoire d'être équitable, admettons que les adversaires de l'intelligence artificielle aient raison et que ChatGPT entraîne sous peu une armée de robots tueurs façon Terminator.
Primo, même pas peur. Secundo, j'ai la solution.
Je pense souvent à cette scène dans Rambo 3, le seul moment humoristique du film, où le Colonel Trautman et Rambo se retrouvent seuls face à l'armée russe, à savoir plusieurs centaines de combattants, une bonne dizaine de chars et autres véhicules blindés, saupoudrés d'un hélicoptère armé jusqu'aux dents. Lorsque le colonel Trautman demande à Rambo ce qu'il en pense, celui-ci répond laconiquement que "ça va être dur de les encercler".
Si les deux concernés foncent dans le tas, vite rejoints par l'armée afghane, pour ma part, je tournerai discrètement les talons et chercherai la station de métro la plus proche (en plein désert, pourquoi pas...?). Il n'y a en effet rien à faire face à une armée de soldats enragés, qui plus est quand on est seul, désarmé avec juste son ordinateur sous le bras.
Face à une armée de robots, l'histoire n'est pas tout à fait la même. Avant de courir en sens inverse, je me poserai quand même quelques questions auxquelles je mettrai en pratique, une fois hors d'atteinte, les réponses appropriées. Quel système les commande ? Communiquent-ils en réseau ? Peut-on accéder à ce réseau ? À quel jeu d'instructions et stimuli réagissent-ils ? Bref, en mode Wargames ou Die Hard 4 pour donner des exemples issus du 7eme art (et non de la 7éme compagnie bien que les hommes du chef Chaudard / Attila aient quelques beaux succès militaires à leur actif).
Certes, ce ne sont que des films mais ce n'est pas un hasard si une partie de la recherche militaire se focalise au travers de l'intelligence artificielle entre autres sur la capacité à intercepter une arme automatisée non pas de manière classique en la détruisant avec un missile adverse mais en en prenant le contrôle pour provoquer une autodestruction ou modifier sa trajectoire.
Enfin, comme promis, je vous livre la solution car le cas de figure a déjà été rencontré et largement commenté dans la littérature scientifique au travers d'une référence déjà indiquée en début d'article, à savoir Picsou Magazine.
Dans une histoire assez célèbre, Picsou délègue une partie de son activité, de son temps de cerveau à un super calculateur, cela lui laissant pas mal de temps libre. Il n'avait malheureusement pas prévu que ce dernier finirait par détourner une partie de l'argent et rouler pour lui-même, achetant peu à peu l'ensemble des entreprises Picsou et le mettant sur la paille. Picsou se retrouve donc à la rue sans aucun recours face à cet ennemi implacable qui désormais rêve de conquérir le monde. Riri, Fifi et Loulou mettront fin à ses beaux projets. En effet, ces derniers le mettent au défi de calculer l'ensemble des décimales de Pi. Celles-ci étant infinies, on me sussure dans l'oreillette que le super calculateur serait encore au travail. En effet, l'ordinateur, trop occupé à calculer, finit par délaisser le reste de ses affaires et la situation revient à la normale.
Muni de ce bagage scientifique exceptionnel, vous comprendrez donc, cher lecteur et chère lectrice, que le jour où ChatGPT ou toute autre intelligence artificielle me menacera, je pourrai répondre : même pas peur...
Dernière modification le lundi, 10 juillet 2023