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C’est le titre de la conférence interactive présentée en visio par Thomas Huchon ce 26 mars 2024 à l’atelier Canopé 47 à Agen dans le cadre du Printemps du numérique éducatif. Le Printemps du numérique éducatif vise à réunir la communauté éducative pour échanger et partager autour des pratiques pédagogiques liées au numérique. Il  s’adresse aux  enseignants, collectivités, éducateurs, animateurs, parents d'élèves…

Sous le thème " Création numérique et médias, ça s’apprend ! ", cette édition met l’accent sur le développement de compétences essentielles à la compréhension et à la production d’information. 

Lire, analyser et produire de l’information sont des compétences clés, développées à l’école et au-delà, grâce à des pédagogies de projet concrètes. L’objectif est d’aider les jeunes à devenir des créateurs d’information à travers des activités comme écrire, filmer, photographier, dessiner, ou enregistrer des contenus sur des sujets d’actualité ou de leur environnement proche. 

Cette démarche inclut également la publication de leurs productions sous divers formats médiatiques (articles, photos, vidéos, dessins, podcasts, etc.) et l’accompagnement à la création de médias scolaires (journaux, webradios, webTV).

Thomas Huchon a eu la lourde charge d’introduire cette journée par une conférence diffusée et suivie à distance par cinq cent personnes et retransmise sur place aux quatre vingt auditeurs de l’atelier Canopé47.

Thomas Huchon est journaliste, auteur, réalisateur, consultant et enseignant, spécialiste du web, de infox et théories complotistes.

Le titre complet de son intervention :

Fake news, un péril démocratique : une urgence à éduquer au décryptage de l’information.

Thomas Huchon s’intéresse aux fausses informations pour les déconstruire, expliquer à quoi elles servent et par qui elles sont utilisées, analyser les perturbations qu’elles créent avec la pleine conscience du danger qu’elles font courir à nos démocraties.

L’univers de la désinformation nous semble loin alors qu’il se trouve dans nos poches. Il nous plonge dans un désordre informationnel dans lequel nous sommes tous perdus, bousculés, comme suspendus tant devient floue la frontière entre virtuel et réel, entre vrai et faux, entre les croyances et le savoir.

Dans cet univers la fausse information (traduction approximative de fake news)  n’est pas une information erronée produite par inadvertance, c’est une information fabriquée intentionnellement pour nous tromper avec l’intention de nuire. De la même façon, un complotiste n’est pas quelqu’un qui adhère à une contre vérité mais quelqu’un qui croit en permanence qu’on lui dissimule la vérité…c’est là sa vision du monde.

Dans cet univers, le numérique crée un enfermement qui prive de l’accès à d’autres sources d’information et les informations négatives impactent plus le cerveau humain que les autres. Qui plus est, le contre discours destiné à les combattre se diffuse plus difficilement et pâtit du rejet des médias traditionnels par une partie de la population.

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Pour illustrer son propos et susciter les questions de son auditoire Thomas Huchon s’appuie sur les USA à l’ère du trumpisme.

Ainsi pour imager le temps venu de la « Post vérité », il s’appuie sur un cliché de la désastreuse entrevue de Donald Trump et du président ukrainien Volodimir Zélinsky dans le bureau ovale. Une monstrueuse inversion de la réalité fait que la victime d’une agression étrangère est présentée comme l’agresseur.

Les élections américaines de novembre 2024 constituent un cas d’école de l’influence des fake news et de l’ampleur de la désinformation. Quelques chiffres pour comprendre, chiffres publiés par l ‘agence Brandwatch.

-          Dans les discours de Donald Trump, 3% de propos vrais en 2024.

-          En moyenne chaque citoyen américain a vu passer 300 fake news sur la campagne au cours des 100 derniers jours.

-          La fake news sur les migrants mangeant des chiens et des chats  a généré 2 millions de tweets pour une audience de 3 milliards de vues.

-          L’idée d’une fraude (orchestrée par les démocrates) a été publiée 24 millions de fois sur twitter pour une audience de 181 milliards de vues

-          Les fake news représentent moins de 3% des contenus au total ; pourtant 85% des gens ayant publié autour de la campagne ont mentionné au moins une fake news.

Ces chiffres ne mesurent pas le degré d’adhésion aux fake news mais montre l’ampleur de la désinformation : les citoyens américains sont manipulés et l’Amérique vit un moment de bascule extrêmement brutal.

Le conférencier fait remonter ce moment au 21 janvier 2017, jour de la première prise de pouvoir de D Trump. L’équipe du président annonce que l’investiture a vu le plus grand nombre d’américains massés devant la maison blanche jamais enregistré dans l’histoire…information aussitôt démentie par la presse, photos satellites à l’appui. Qu’à cela ne tienne, l’équipe au pouvoir a inventé alors le terme de fait alternatif pour s’affranchir de la notion de fait et imposer leur vision du monde, largement copiée par tous les autocrates de la planète. On peut certes interpréter les faits de façon différente mais de là à les nier…

Comment en est-on arrivés là ? Infobésité et infodémie.

L’infobésité est l’overdose d’info. Trop d’informations tout le temps crée de la fatigue informationnelle : on ne supporte pas de prendre une info de plus, on ne veut plus rien entendre ni plus rien voir…on peut alors tomber dans le piège des fake news.

L’infodémie est un terme créé par l’OMS pendant la pandémie pour qualifier les effets du virus de la désinformation qui se propage majoritairement via les réseaux sociaux.

Un exemple : en mars 2024, en Iran, l’info circule que pour combattre le virus du covid 19, il faut consommer de l’alcool très fort…cela conduit au décès de 700 personnes intoxiquées par de l’alcool frelaté.

Infobésité et infodémie amènent l’ère de la post vérité.

Les faits qui nous permettent d’établir la vérité ont disparu. Or, les faits sont ce que nous avons en commun ; ils nous permettent de discuter et de débattre et en définitive de vivre ensemble.

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Attention et émotion :

Nos modes d’information ont changé avec les outils numériques et les réseaux sociaux et on assiste à une véritable offensive numérique contre nos cerveaux : on regarde en moyenne 240 fois notre téléphone par jour ; la multiplication des notifications affecte ainsi momentanément nos capacités de réflexion. Quand on joue sur les émotions d’un individu, celui-ci éprouve  des difficultés à mener une réflexion (et vice versa d’ailleurs). Or les réseaux sociaux jouent sur l’émotion et captent l’attention.

Il y a une véritable économie de l’attention. Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1 disait déjà avec cynisme « Mon travail c’est de vendre du temps de cerveau disponible à Coca Cola ».

Il existe une prime à l’émotion. Elle est encore renforcée lorsqu’on ne voit que des gens qui pensent comme nous et que l’on ne nous soumet que des idées en accord avec les nôtres.

Sur internet à l’inverse de ST Thomas qui ne croit que ce qu’il voit, on ne voit que ce que l’on croit !  C’est là illusion et tromperie.

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Notre cerveau nous joue des tours : Les biais cognitifs et l’effet Dunning-Kruger

Il n’est pire sot que celui qui croit savoir !...et l’on a tendance à surestimer nos connaissances. C’est Coluche paraphrasant Descartes  « l’esprit est la chose la mieux répartie chez l’homme car, quoiqu’il en soit pourvu, il a toujours l’impression d’en avoir assez. »

Quand on s’intéresse à un sujet, on a très vite l’impression de le maîtriser…cette illusion d’avoir très bien compris ce que l’on n’a pas compris du tout nous fait atteindre le sommet de la « montagne de la stupidité » et le danger est d’en rester là. Si l’on continue l’étude, on se rend compte que l’on n’a pas compris (humilité) et si l’on consent les efforts nécessaires on aborde la lente remontée vers le plateau de la consolidation.

Cet effet est accentué par les réseaux sociaux où l’on a accès à l’info sans avoir le temps de la maîtriser, où l’info est souvent assénée par des « sachant » qui en réalité ne savent pas grand chose.

Alors que faire ?

Les  réponses aux nombreuses questions des internautes connectés et de la salle ont permis à Thomas Huchon d’aborder quelques pistes souvent sous forme de conseils.

-          Savoir qu’il existe un vrai potentiel de manipulation est un premier rideau de défense.

-          S’informer, cela s’apprend : on avait autrefois une approche collective de l’info. C’était le 20h à la télé, le journal sur la table du salon…Il y a besoin pour l’enfant de consommer de l’info de façon collective, en variant les sources avec mélange, nuances, modération, dans des moments de partage.

-          Prendre le temps et donc ne pas sur réagir en permanence.

-          Combattre l’inacceptable et dénoncer ce avec quoi l’on n’est pas d’accord, sur les réseaux comme dans la « vraie vie ». Il ne s’agit pas de parler pour les complotistes, ceux-là ne changeront pas d’avis, mais de faire entendre aux autres une voix différente.

Et en conclusion :

Faites la différence entre vos croyances et votre savoir. C’est de votre capacité à rétablir cette frontière, à faire cette différence, que naitra la capacité à replacer les faits au centre du débat pour nous permettre à tous de vivre ensemble.

Dernière modification le dimanche, 30 mars 2025
Puyou Jacques

Professeur agrégé de mathématiques - Secrétaire national de l’An@é