Les élèves sont de futurs entrepreneurs du numérique de demain. On comprend bien que le fondateur de cette école, même de façon désintéressée, espère un retour sur investissement afin de doter le pays de startups performantes, à l’instar de la sienne à ses débuts. Mais ce qui peut être envisagé et expérimenté à toute petite échelle peut-il s’appliquer à notre système éducatif tout entier ?
L’école en France qui regroupe l’élémentaire et le secondaire (les écoles, les collèges et les lycées) comptabilise plus de 800 000 élèves. Le vocable « numérique » est plus difficile à définir : sorte d’auberge espagnole où chacun peut mettre des outils, des pratiques, des séquences, des usages, des logiciels…
Pour cet article, nous resterons dans le cadre du numérique éducatif, à savoir les outils pouvant s’intégrer dans les apprentissages pour nous permettre de répondre à différentes questions dont la principale concerne l’utilisation des outils numériques dans la salle de classe ou au CDI (Centre de Documentation et d’Information) lors de séquences pédagogiques : Ces usages modifient-t-ils notre façon d’enseigner ou de transmettre ? D’après Dominique Wolton[1] dans un article de la revue Hermès, « La technique ne fait pas un projet d’éducation » mais elle peut éventuellement y contribuer.
Nous nous intéresserons d’abord à la manière dont les outils modifient les rapports interpersonnels avant de considérer l’utilisation qui en est faite dans les enseignements et les différents lieux que les élèves fréquentent.
Les réseaux collaboratifs : une aide pour les enseignants
L’entrée dans le métier d’enseignant n’est pas une chose aisée.
En effet, la réussite au concours basée sur des savoirs ne présume pas une aisance dans les savoir-faire ni une affectation dans un établissement « facile ».
C’est pourquoi les réseaux collaboratifs entre enseignants d’une même discipline aident les néo titulaires à trouver leur place dans la « Grande maison » et leur permettent de demander conseil auprès des professeurs plus expérimentés. Le mouvement national de mobilité ne permet pas quand on débute d’être affecté dans une académie relativement privilégiée comme peuvent l’être Lyon ou Paris. Il faut souvent commencer dans ce que l’on appelle le « croissant nord », c’est-à-dire les académies du nord de la France : Caen, Lille ou Nancy-Metz. Les académies du « croissant sud et sud-ouest », Bordeaux, Toulouse et Montpellier sont très difficiles à obtenir.
C’est toujours le même système de points basé sur l’ancienneté, la situation personnelle (rapprochement de conjoint, enfants…) et le travail en zones difficiles qui perdurent. Un stagiaire en situation peut se retrouver, après avoir été lauréat au concours, dans un établissement parisien et l’année suivante, après sa titularisation, dans une zone difficile de l’académie de Créteil ou de Versailles. Ce ne sont pas les mêmes conditions de travail, il faut savoir s’adapter rapidement. C’est pourquoi les enseignants s’informent de plus en plus, à l’instar de ce qui se passe dans la société avec les réseaux sociaux mais aussi avec les listes de messagerie professionnelle.
Comme le souligne Anne-Françoise Gibert dans un Dossier de veille [2]de l’Institut français de l’éducation : « L’enseignant en difficulté fait l’expérience du mépris de l’institution à son égard malgré les efforts de l’administration, elle-même soumise à la montée de la critique, pour développer aide et conseil ». C’est pourquoi, les collectifs d’enseignants sont souvent plus efficaces et plus proches des pratiques du terrain. L’auteure d’ajouter : « Internet a facilité l’émergence de nombreux collectifs au sein des réseaux sociaux d’enseignants, qui constituent à la fois des espaces d’information et d’échanges et des lieux de ressources. Ces sites peuvent être produits par des associations à vocation disciplinaire[3] ou professionnelle ».
Des outils de communication de plus en plus présents
On peut maintenant échanger, poser des questions, retrouver un numéro d’une revue grâce aux messageries électroniques. E-Doc et Cdidoc[4] réunissent toute une communauté de professeurs documentalistes qui peuvent s’exprimer avec ou sans modération suivant les listes, sur des sujets très variés[5]. Des thèmes très techniques, comme la difficulté de paramétrer le connecteur e-sidoc jusqu’aux sujets de société, peuvent circuler sur ces médias. C’est une caisse de résonnance de toute une profession et il est de plus en plus aisé de trouver une solution à de nombreux problèmes rencontrés. La technique, dans son acception la plus large, met en relation de manière plus simple et rapide des individus, qui par le passé auraient communiqué beaucoup plus laborieusement. Il faut ajouter à ce panorama les sites Internet institutionnels du ministère ou des différentes académies.
Ces derniers sont d’une grande richesse et sont régulièrement consultés.
Même si un trop plein d’informations, de données, de ressources risque de perdre celui qui entreprend une recherche sur un sujet donné. Le professeur documentaliste est, pour sa part, bien armé pour séparer le bon grain de l’ivraie dans sa quête de la bonne information. Par exemple, à Paris, le site des professeurs documentalistes[6] donne des informations sur l’actualité du métier (conférences, expositions, animations, ateliers de pratique, conseils de lecture…). Il met aussi à disposition des séquences pédagogiques, le résultat des travaux des TraAM (Travaux Académiques Mutualisés) Documentation[7].
Mais tout cela ne remplace pas l’expérience individuelle, les conseils d’un collègue, la bienveillance d’un chef d’établissement ayant une vision positive de la profession et débloquera un budget ad hoc permettant au professeur documentaliste d’acheter les ressources nécessaires pour le bon fonctionnement du CDI et dans une moindre mesure pour les projets interdisciplinaires.
Rien ne remplace l'expérience des "anciens" …
Le tutorat et le conseil pédagogique font partie de ces pratiques coopératives qui contribuent à aider les nouveaux enseignants à trouver leur place.
A.-F. Gibert le remarque dans son article : « Les enseignants ayant plus d’expérience accompagnent sur le plan pédagogique, didactique, fournissent des astuces de métiers… On se forme par et avec les autres, en analysant les intentions, les émotions, tout ce qui se joue dans les interstices de l’action ».
Ce qui n’exclut pas l’utilisation de toute la palette des outils à disposition maintenant dans les établissements scolaires et notamment les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication).
A.-F. Gibert le note : « La place de l’Intranet et des échanges de documents au sein de l’établissement peuvent être un facteur facilitant, aidant à multiplier les modes de collaboration ». Même si, comme beaucoup de chercheurs le soulignent, il n’est pas facile de montrer son travail, ses séquences pédagogiques, son projet documentaire. C’est l’essence même du métier d’enseignant, quelles que soient les disciplines, ce travail « d’artisanat », on s’aide du manuel mais on construit sa séance.
Le professeur documentaliste gère le CDI à sa façon et a une grande liberté pour les séquences pédagogiques tout en respectant les directives officielles du ministère et les orientations de son académie.
En effet, il peut nouer des partenariats pédagogiques avec les enseignants. La grande plage horaire dans l’établissement fait de lui l’enseignant le plus présent, il peut ainsi s’accorder avec les professeurs de disciplines pour organiser des séquences communes. De nombreux exemples le montrent comme en lycée professionnel avec des élèves de seconde. Une partie du programme de cette classe est consacrée à la construction de l’information. Il peut travailler sur les Fake News[8] ou les rumeurs et prendre une demi-classe au CDI pendant que le professeur de lettres-histoire prendra l’autre moitié pour aborder l’argumentation ou développer les différentes formes d’articles journalistiques.
Cette mutualisation des actions est bénéfique pour l’élève qui peut avoir des approches différentes pour comprendre une notion ou un concept. C’est la même chose en ce qui concerne les classes européennes, l’élève peut être dans une classe avec anglais renforcé par exemple, suivre un cours d’histoire dans la langue de Shakespeare et pour finir discuter d’une recherche ou analyser un document avec le professeur documentaliste en anglais dans le CDI si celui-ci a obtenu la certification DNL (Discipline Non Linguistique). Une collaboration active de l’équipe éducative se met ainsi en place pour faire réussir l’élève dans sa pratique d’une langue étrangère. De plus, la communication est facilitée par l’utilisation des ENT (Environnement Numérique de Travail).
Les ENT (Environnement Numérique de Travail)deviennent incontournables
Les ENT permettent d’accéder à distance aux ressources numériques et de communiquer à différents niveaux. On utilise cet acronyme mais on trouve aussi, moins couramment, d’autres termes comme : Le bureau virtuel, Le cartable numérique…
Ces ENT sont maintenant disponibles de l’élémentaire à l’université.
« C’est le point d’accès au système d’information de l’établissement et il assemble les services numériques adaptés aux catégories d’utilisateurs : s’informer, produire des informations, consulter des ressources, organiser son travail, communiquer, travailler seul ou en groupe, apprendre, accompagner la scolarité… » [9].
Même si, comme le précisent Franck Amadieu et André Tricot[10], sur les mythes et les réalités de l’utilisation du numérique à l’école :
« Il ne suffit pas d’avoir toutes les ressources à portée de clic… croire que rendre les connaissances disponibles suffit est une illusion dramatique et dangereuse ».
L’arrêté du 30 novembre 2006 précise bien les objectifs des ENT dans leurs fonctions principales de communication et de mise à disposition de ressources, le tout étant accessible en permanence grâce au réseau des réseaux, c’est-à-dire le Web. Cela permet de prolonger la classe hors de l’établissement, dans l’espace et dans le temps. Les élèves peuvent, par exemple, avec les dispositifs de classe inversée, travailler le sujet avant la rencontre avec le professeur. Cette façon, ex ante, de procéder peut, dans une première approche, être un temps de questionnement et d’éclaircissement pour l’élève.
Comme le souligne Catherine Becchetti-Bizot[11], inspectrice générale de l’Education nationale, dans la préface d’un ouvrage sur les classes inversées : « Les possibilités offertes par les technologies numériques pour s’informer, se cultiver et apprendre en dehors de la classe, avant ou après le temps scolaire, ont pour conséquence une dé-linéarisation de l’espace et des temps d’apprentissage, un décloisonnement et une plus grande ouverture de l’Ecole sur le monde extérieur ».
L’ENT est le support de toutes les autres façons de procéder, il fédère, il complète les conditions de travail des enseignants. La salle de classe ou le CDI ne sont plus des lieux fermés et hors le monde. Ils sont en support, en interaction, dans un continuum qui va du bureau personnel de l’étudiant chez lui jusqu’à tous les lieux disponibles dans l’établissement. De plus en plus, les élèves consultent le portail documentaire e-sidoc pour rechercher des informations sur un livre ou des articles pour compléter leurs TPE (Travaux Personnels Encadrés) de leur maison et en dehors de l’établissement, souvent depuis leur smartphone. C’est une évolution majeure pour rechercher des informations dans la base documentaire dans et hors de l’établissement.
Cependant, la mise en place des ENT dans les établissements scolaires a demandé un investissement de tous les personnels.
Une personne de la communauté éducative a suivi une formation et est en capacité de former ses collègues. Les ENT ont évolué et ils sont maintenant plus ergonomiques et conviviaux. Le temps est fini où la plateforme était austère et peinait à la connexion. Aujourd’hui, avec un financement assuré par les collectivités locales (les régions pour les lycées et les départements pour les collèges), des sociétés privées conçoivent des ENT[12] de grande qualité et en assurent la maintenance.
Petit à petit, les professeurs de toutes les disciplines utilisent ces outils et plateformes. La communication, par la messagerie ou par le biais des actualités, reste la partie essentielle de son utilisation. Quelques uns s’aventurent aussi avec des outils collaboratifs comme les blogs ou les murs participatifs (Pad) et même parfois les pages Wiki.
Le professeur a dorénavant une palette d’outils à sa disposition pour exercer pleinement ses missions et pour faire participer ses élèves.
Et comme l’analyse Joël Guignolet[13], principal de collège, « Avec la création de l’ENT, on renoue ou on crée une communication avec les familles. On leur offre la possibilité de voir ce qui a été fait dans la journée, ce qui est à faire, ce qui peut être partagé, y compris lorsqu’un cours est en ligne. C’est une forme de coéducation et de co-connaissance. Cela permet, quel que soit le rapport au savoir des familles, de créer un lien beaucoup plus positif entre les familles et l’enseignant parce que tout le monde sait de quoi on parle ». Il s’agit aussi de s’interroger sur les pratiques et les séquences qui sont mises en place.
Apprendre par l'utilisation des outils
Marie-Hélène Fasquel[14], professeure agrégée d’anglais, férue de nouvelles technologies et forte d’une expérience avec des publics très variés, construit ses séquences pédagogiques dans le souci de la réussite de l’élève.
En effet, que ce soit avec le dispositif de classe inversée ou la rédaction de nouvelles littéraires en ligne (et en anglais), elle intègre le numérique éducatif à ses séquences pour l’appropriation de connaissances par l’élève. Le moyen (le numérique éducatif) est au service de l’objectif (maîtriser l’anglais). C’est par l’utilisation d’outils ou de logiciels variés comme Padlet ou de Skype, qu’elle motive ses élèves. Et à propos de la classe inversée, elle souligne : « La classe inversée n’est qu’une approche parmi tant d’autres, un simple outil. De mon point de vue, il faut au mieux l’utiliser de manière complémentaire… ». M.-H. Fasquel réussit à intégrer les outils numériques dans sa progression pédagogique.
De plus, il faut aussi prendre en compte les changements sociétaux que cela implique.
Le numérique fait partie de nos vies, les pratiques sont quotidiennes (messagerie, recherche documentaire, réseaux sociaux…). Dans les cours de lettres, autre exemple, il s’agit de mettre en pratique son écriture : dans la dissertation ou le résumé, et aussi pour argumenter une critique d’une pièce de théâtre ou d’un film.
Comme le soulignent Cécile Perret et Vincent Massart-Laluc[15] dans un ouvrage sur les cours de français : « Les résultats montrent que les activités d’écriture ont, du fait du numérique, augmenté de manière considérable » et d’ajouter de manière plus générale : « Les élèves, vis-à-vis de l’écriture et de l’écriture numérique surtout, arrivent dans nos classes comme arrivent les enfants en classe maternelle face au langage oral : ils savent déjà ! ». Même si certains élèves, comme ceux scolarisés en lycée professionnel, ont l’impression de ne pas savoir ou d’être relégués dans une écriture qui ne respecte pas les canons officiels. Les outils numériques leur permettent de pratiquer une écriture collaborative et personnelle. Elle dédramatise le rapport à l’écrit, le rend plus ludique avec par exemple l’utilisation des émoticônes ou avec la saisie prédictive qui permet de suggérer des mots et aussi d’éviter, au passage, les fautes d’orthographes…
On peut envisager que ces nouvelles pratiques numériques soient mieux prises en compte car elles font émerger des nouveaux savoirs.
Cécile Perret et Vincent Massart-Laluc remarquent : « L’écriture numérique permet aux élèves d’accéder à certaines fonctions bien spécifiques de l’écriture : explicitation et stabilisation des compétences pratiques acquises en atelier par l’écriture d’un texte collaboratif relu par les pairs et donc corrigé en fonction de la compréhension du groupe ». Ces pratiques au sein de la classe sont un bon moyen d’aider certains élèves en difficulté, c’est en tout cas, ce que montrent des expérimentations.
On peut aussi vouloir travailler différemment et dans un autre espace comme le CDI qui, en général, est un lieu agréable. Le professeur documentaliste peut ainsi collaborer avec le professeur de lettres dans des co-animations avec des séquences pédagogiques sur l’écriture d’articles de presse, par exemple lors de la traditionnelle Semaine de la presse et des médias. Les différents journaux participent à la réalisation d’une bonne démocratie et le travail peut s’étaler sur toute l’année, pas uniquement sur une semaine. Le site LireLactu[16] fournit une pluralité d’articles provenant d’organes de presse riches et variés. Il peut être le support à des séquences pédagogiques au CDI ou en classe.
Tout se joue dans la salle de classe ou au CDI
Et c’est toujours le professeur qui décide dans sa salle et cette dernière n’a pas beaucoup évolué. Si tout le monde connaît la fameuse photographie de Robert Doisneau avec l’élève songeur, le jeune d’aujourd’hui se retrouve plus ou moins dans la même situation. Le mobilier a légèrement changé, le professeur n’est plus sur son estrade. Il ne l’est plus dans la société non plus, c’est une profession qui attire moins de candidats au concours et les clichés sur le métier perdurent… Mais là n’est pas la question.
Le tableau est passé du « noir », (vert plutôt), au blanc et l’enseignant utilise le TNI (Tableau Numérique Interactif) quotidiennement. Le manuel numérique s’installe dans la classe malgré des prix souvent dissuasifs. Néanmoins, avec celui-ci, on peut accéder à des vidéos déjà présélectionnées, agrandir des cartes géographiques, écouter des reportages sonores… Les professeurs l’utilisent sans en exploiter toutes les possibilités par manque de formation et aussi, peut-être inconsciemment, pour ne pas bouleverser l’ordonnancement de leurs cours.
L’utilisation des outils numériques comme les téléphones, les ordinateurs portables n’étant pas rentrée dans les mœurs pour diverses raisons (et même interdits maintenant au collège pour les smartphones), l’enseignant peut organiser sa séquence pédagogique avec l’aide de la classe mobile : ordinateurs portables ou tablettes mis à disposition dans l’établissement et sur réservation.
On assiste alors à une séquence où l’on peut travailler de manière plus individuelle avec chaque élève sans se déplacer en salle informatique. Ce qui évite de perdre du temps. Les méthodes sont plus actives que la simple écoute d’un cours magistral. L’élève est moins passif et se sent en phase avec son environnement personnel, en général, peuplé de terminaux connectés.
Mais la manipulation d’outils ne se traduit pas forcément par un enrichissement intellectuel. C’est au professeur d’adapter sa séance, la rendre active et productive pour l’élève. Ce n’est pas une révolution technologique, tout juste une simple évolution. La salle de classe n’est plus un huis clos mais rompt un isolement informationnel séculaire. Le numérique ne transforme pas l’école, il en modifie les contours, les supports d’information.
Il avance à petits pas grâce à des professeurs motivés. Peut-on aller plus loin ? Certainement et les professeurs documentalistes ont leur rôle à jouer dans cette partie. Fortement présents dans l’établissement de par leurs conditions de travail, ils peuvent nouer des relations durables et surtout travailler de manière plus libre dans les CDI. Comme le remarque Bruno Devauchelle dans un article de la revue Projet[17] : « L’institution scolaire ne peut rester étrangère ni à ces évolutions (dont elle subit déjà conséquences au quotidien), ni à ces formes nouvelles qui touchent à l’essentiel de sa mission, la transmission et le vivre ensemble ».
L’exemple des tablettes dans les établissements
La distribution des tablettes à l’école a-t-elle résolu les problèmes d’éducation, a-t-elle fait progresser les élèves et réduit, ce que certains nomment, « la fracture numérique » ?
Les gouvernements successifs ont essayé de « coller » à leur époque. De la distribution d’ordinateurs Thomson du gouvernement Fabius en 1985 dans le cadre du plan « Informatique pour tous » au « Grand plan numérique pour l’école de la République » de l’ancien président Hollande, le système éducatif a « accueilli » bon nombre d’appareils technologiques. Les professeurs ont souvent été réticents, avançant le manque de formation, un équipement inadapté à leurs besoins, des classes nombreuses et surchargées. Quelques enseignants, comme les professeurs de technologie ou les professeurs documentalistes, se sont emparés des outils et ont réalisé des séquences pédagogiques avec des demi-groupes.
Pascal Plantard souligne dans un article de la revue Projet[18] en 2015 : « La distribution d’ordinateurs portables ou de tablettes ne transforme pas l’école… il faut éviter une nouvelle distribution d’équipements et de manuels numérisés, sans modification des formats et des contenus ». La lourdeur des programmes, le manque de formation, les exigences des examens encore à l’écrit manuscrit, n’encouragent pas une utilisation intensive. Sauf, peut-être, dans le primaire où beaucoup de maîtres[19] mettent à disposition des tablettes dans le cadre de leurs activités pédagogiques et font même, par exemple, des activités pédagogiques à l’aide du réseau social Twitter.
Cependant dans certains établissements motivés par les expérimentations, de réelles réussites sont apparues. Par exemple, dans un lycée parisien[20] des séquences pédagogiques ont été réalisées dans le cadre d’une collaboration entre professeurs de discipline et professeur documentaliste. Le français, l’anglais et les arts appliqués ont été les trois matières où les élèves ont utilisé intelligemment la tablette numérique, soit pour une étude de la presse en ligne, soit pour la compréhension d’une vidéo en langue étrangère, soit pour un projet artistique dans l’enceinte du lycée. On constate qu’une équipe motivée, consciente des enjeux avec un effectif réduit ou partagé, souhaitant la réussite du projet et surtout des élèves, est la condition sine qua non pour une telle entreprise.
Rendre l’élève plus responsable de son apprentissage est une bonne chose que certaines écoles ne manquent pas de souligner. Dans un premier temps, l’élève se prépare au cours à la maison pour être aidé individuellement par la suite par son professeur. Comme l’a expérimenté Pascal Bihouée[21], professeur de sciences physiques en collège : « Dans une situation de classe, je ne suis plus simplement un transmetteur de savoirs, je deviens le plus souvent possible un accompagnateur, un guide et un animateur. Modifier le scénario pédagogique des séquences suppose un changement radical de posture : consacrer moins de temps à l’enseignement magistral afin de se rendre davantage disponible auprès de chaque élève ». Quand l’outil ou le dispositif sont bien utilisés, l’élève progresse et c’est vraiment une motivation pour toute l’équipe pédagogique qui l’encadre.
Le numérique contraint à faire évoluer les pratiques des enseignements.
La formation est essentielle et elle doit être étendue aux aspects économiques et sociaux des techniques. Qui sait ce que c’est qu’une « ferme numérique » (qui nécessite souvent d’être située près d’un fleuve pour des problèmes de refroidissement) ? Comment est transmis l’information et le réseau entre les continents et qui fabrique ces fameux câbles sous-marins si nécessaires ? Quelle est la différence entre Internet et le Web ? La nouvelle discipline SNT (Sciences Numériques et Technologie) pourra apporter certaines réponses.
Quand les politiques abordent le numérique à l’école, ils font souvent référence à l’apprentissage du code et aux algorithmes[22] omniprésents mais ce ne sont que des aspects. Certes on doit les prendre en compte mais il faut bien comprendre que l’on est dans une dynamique qui ne s’arrête pas. C’est cette combinaison entre nouveaux outils et séquences pédagogiques innovantes qui permet de faire réussir nos élèves. C’est notre but ultime, faire acquérir des connaissances et développer leur intelligence pour en faire des citoyens responsables et épanouis dans leurs futurs emplois.
Certains postulats de base ne changent pas. La société évolue, la technique impose des temporalités courtes, il faut être réactif et préparer les élèves à avoir cette attitude qui consiste à « apprendre à apprendre »[23]. L’école ne peut pas transmettre tous les savoirs mais elle peut, grâce à tous les enseignants, donner envie aux élèves de réfléchir, de s’informer, de rédiger, de douter aussi, bref d’avoir un esprit critique. Il reste peut-être, à mieux communiquer sur ces expérimentations et à diffuser ces savoir-faire à l’ensemble de la communauté éducative.
Difficile d'apporter une réponse définitive…
Sans contestation le numérique change le système éducatif. Les nouveaux outils apportent un plus dans l’organisation du travail. Les enseignants évoluent dans leurs usages et leurs pratiques. Ils échangent avec leurs élèves bien sûr, avec leurs parents, mais aussi entre eux avec toujours ce souci de faire réussir l’apprenant. Ils intègrent de plus en plus le numérique à leurs séquences pédagogiques, ils individualisent les apprentissages, l’apprenant avance son rythme et le professeur le corrige personnellement.
Il semblerait qu’une partie soit même moteur dans le basculement technologique. La télévision n’a été que très partiellement utilisée, et ne parlons pas de la radio, pourtant un média qui perdure et grâce au numérique sait se transformer et est une source de connaissances et de découvertes, notamment dans l’apprentissage des langues étrangères. De plus, les professeurs documentalistes dans leurs séquences pédagogiques réalisées au CDI, n’hésitent pas à utiliser le réseau des réseaux. Internet est une ressource où il faut savoir quel chemin prendre pour arriver à la « bonne information » qui sera utile et permettra d’enrichir son dossier, ses TPE et tout autre document pendant la scolarité.
La technique chère à Dominique Wolton, a donné un véritable coup d’accélérateur à tout ce qui peut mettre en relation les élèves mais aussi les enseignants et les professeurs documentalistes en particulier.
Au-delà des aspects techniques et financiers, qui sont certes importants, on peut conclure à un changement de paradigme. Rien ne sera plus comme avant. Le tableau numérique ou la classe inversée, par exemple, changent le rapport des professeurs aux élèves. On constate un engouement de certains élèves et des nouvelles façons de travailler. Le CDI, comme lieu d’accueil de ces expérimentations, se prête bien et les professeurs documentalistes peuvent s’emparer de ces actions de formation. L’essentiel étant, bien sûr, de ne pas oublier tous les élèves et notamment les plus défavorisés. En tirent-ils vraiment de réels bénéfices ? Ne sont-ils pas sous l’emprise des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ? Ce serait peut-être une question à approfondir et un débat au sein de la communauté éducative à proposer ou à actualiser. Les questions sont nombreuses, le débat loin d’être terminé…
Philippe CHAVERNAC, professeur documentaliste au lycée Gustave Ferrié, Paris (75).
BIBLIO/SITOGRAPHIE :
- « L’identité professionnelle », in InterCDI, n°238, 2012.
- « La pensée critique », in InterCDI, n°268-69, 2017.
- ABITEBOUL, Serge. DOWEK, Gilles. Le temps des algorithmes, Editions Le Pommier, 2017.
- CORDIER, Anne. « Ados en quête d’infos : De la jungle à la steppe, cheminer en conscience », Revue de Socio-Anthropologie de l'adolescence, n°3, 2019.
- FASQUEL, Marie-Hélène. L’élève au cœur de sa réussite, Les éditions François Bourin, 2017.
- LEBRUN, Marcel. LECOQ, Julie. Classes inversées, enseigner et apprendre à l’endroit ! Canopé éditions, 2015.
- LE DEUFF, Olivier (dir.). Le temps des humanités digitales, FYP éditions, 2014.
- MAURY, Yolande. KOVACS, Susan. CONDETTE, Sylvie (dir.). Bibliothèques en mouvement : innover, fonder, pratiquer de nouveaux espaces de savoirs, Presses universitaires du Septentrion, 2018.
- REVERDY, Catherine. « La coopération entre élèves : des recherches aux pratiques », Dossier de veille de l’IFE, n°114, décembre 2016.
- ZAKHARTCHOUK, Jean-Michel. Apprendre à apprendre, Canopé éditions, 2015.
- « Les Biens Communs de la connaissance. Savoirs partagés et citoyenneté : quelles pratiques pédagogiques ? », Journée inter académique des APDEN d'Ile-de-France - mercredi 18 octobre 2017-Paris, lycée Janson de Sailly. [En ligne] http://fadben.free.fr/profession-apden-paris-fadben.htm.
- GIBERT, Anne-Françoise. « Le travail collectif enseignant, entre informel et institué », Dossier de veille de l’IFE, n°124, avril 2018.
[1] WOLTON, Dominique. « La technique ne fait pas un projet d’éducation », in Hermès, La Revue, février 2017 (n°78).
[2] GIBERT, Anne-Françoise. « Le travail collectif enseignant, entre informel et institué », in Dossier de veille de l’IFE, n°124, avril 2018.
[3] Le site Docpourdocs permet aux professeurs documentalistes d’avoir des informations sur l’actualité de la profession et notamment sur les événements importants en toute indépendance. [En ligne] http://www.docpourdocs.fr/. Il publie aussi les sujets de CAPES et aide ainsi les étudiants à se préparer au concours et comprendre les rouages d’une profession qui n’est pas forcément facile d’accès.
[4] Vous pouvez rejoindre les listes suivantes : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. et Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser..">Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.. Toute une communauté se mobilise pour répondre à vos interrogations et envisager l’avenir de la profession. Cela peut aller de la numérisation d’un numéro manquant d’une revue aux problématiques des Learning Centres en passant par la diffusion d’informations culturelles.
[5] Lire la thèse de Florence Thiault : « Communauté de pratique et circulation des savoirs : la communauté des enseignants documentalistes membres de la liste de discussion Cdidoc », [En ligne] https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00643005.
[6] Vous pouvez consulter le site des professeurs documentalistes de l’académie de Paris à l’adresse suivante : [En ligne] https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/piapp1_58856/disciplines-documentation-portail.
[7] Lire aussi l’article de Laureline Lemoine sur les TraAM dans le dossier « Pratiques participatives » du numéro 274-75 d’InterCDI de septembre-octobre 2018.
[8] Lire le numéro spécial d’InterCDI, n°268-69 de septembre-octobre 2017 sur la pensée critique et notamment les différents articles sur les Fake News et la rumeur et vous pouvez consulter la séance à faire avec les élèves de lycée qui est disponible sur le site de l’académie de Paris : [En ligne] https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_1889287/sequence-sur-les-fake-news.
[9] Vous pouvez consulter la page Wikipédia sur les ENT pour avoir une définition exhaustive à l’adresse suivante : [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Espace_numérique_de_travail.
[10] AMADIEU, Franck. TRICOT, André. Apprendre avec le numérique, Retz, 2014.
[11] LEBRUN, Marcel. LECOQ, Julie. Classes inversées, enseigner et apprendre à l’endroit, Canopé Editions, 2015.
[12] Pour l’Ile-de-France, il s’agit de la plateforme monlycée.net pour les lycées.
[13] François Bocquet, Eric Bruillard, Bernard Cornu, Joël Guignolet, Daniel Moatti et Jean-Pierre Vernant. « Le numérique à l’école : évolution ou révolution pédagogique ? », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 2014. [En ligne] https://journals.openedition.org/ries/4129.
[14] FASQUEL, Marie-Hélène. L’élève au cœur de sa réussite, Editions François Bourin, 2017.
[15] MASSART-LALUC, Vincent. PERRET, Cécile. « Prendre en compte les pratiques personnelles d’écriture numérique des élèves en lycée professionnel » in Le français aujourd’hui, 2013/2014 (n°183).
[16] A consulter uniquement dans les établissements scolaires pour avoir l’intégralité des articles : [En ligne] http://lirelactu.fr/.
[17] DEVAUCHELLE, Bruno. « Un modèle scolaire à réinventer » in Revue Projet, n°345, 2015.
[18] PLANTARD, Pascal. « Contre la fracture numérique, pas de coup de tablette magique ! » in Revue Projet, n°345, 2015.
[19] Voir les expérimentations d’Alexandre Acou et notamment son compte Twitter qui présente ses activités : [En ligne] https://twitter.com/alex_acou?lang=fr.
[20] Il s’agit du lycée Gustave Ferrié à Paris X. Pour en savoir plus, vous pouvez lire l’article des Cahiers Pédagogiques : « Apprendre avec le numérique, outils nomades », Philippe Chavernac et Fabrice Comte, [En ligne] http://www.cahiers-pedagogiques.com/outils-nomades et écouter l’émission de France Culture : Rue des écoles de Louise Tourret « L’école et les nouvelles TICE » avec P. Chavernac, E. Bruillard et E Allouche. [En ligne] https://www.franceculture.fr/emissions/rue-des-ecoles/lecole-et-les-nouvelles-tice-avec-pchavernac-ebruillard-et-eallouche-ecole.
[21] BIHOUEE, Pascal. « Quand l’école apprivoise l’écran » in Revue Projet, n°345, 2015.
[22] Lire le livre de Serge Abiteboul et Gilles Dowek : Le temps des algorithmes, Editions Le Pommier (2017) qui aborde ce thème de manière très transversale et non technique et aussi le n°273 d’InterCDI, « Comprendre les algorithmes », mai-juin 2018 et l’article de Sonia Desmoulin-Canselier, « L’emprise des algorithmes », La Vie des idées, 20 juin 2018, [En ligne] http://www.laviedesidees.fr/L-emprise-des-algothmes.html.
[23] ZAKHARTCHOUK, Jean-Michel. Apprendre à apprendre, Canopé éditions, 2015.
Dernière modification le vendredi, 14 février 2020