L’Europe et l’économie de la connaissance
Dès 2000, la stratégie de Lisbonne visait à faire de l’Union européenne l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. La notion d’éducation et de formation tout au long de la vie s’installe dans les recommandations européennes. Lors de la Conférence PETRA, à Rome en novembre 1994 une définition de l’orientation avait été établie : « un processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formation ». Remarquons que cette définition n’a pas grand-chose à voir avec nos procédures d’orientation.
En 2008, sous la présidence française, l’Union européenne fait le lien entre la formation et l’orientation tout au long de la vie. Elle insiste auprès des États membres pour qu’ils favorisent l’acquisition de la capacité à s’orienter tout au long de la vie. L’orientation « européenne » conçue comme une activité de la personne et non pas comme un processus institutionnel gérant la circulation des individus.
Le parcours de découverte des métiers et des formations (PDMF)
À la même période (juillet 2008), la France met en œuvre le parcours de découverte des métiers et des formations (PDMF) (ministère Darcos). Il y a des ressemblances entre l’EAO (1996) et le PDMF (2008) :
- pas de programme ni de programmation imposés ;
- tous les enseignants sont impliqués (infusion) ;
- le conseiller d’orientation-psychologue est conseiller technique de l’établissement scolaire et des équipes éducatives.
Les différences résident dans l’accent mis sur la coordination des actions, qui doit être renforcée, et on intègre aussi la question du conseil dans ce dispositif, ce qui « permet » d’éliminer l’objectif de la « construction d’une représentation positive de soi », trop « psychologique » pour la majorité des acteurs.
Le parcours individuel d’information et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP)
En 2013, le PDMF ne suffit plus, et l’on passe au PIIODMEP (Le parcours individuel d’information et de découverte du monde économique et professionnel). A remarquer l’imprononçable et l’impossibilité de dénommer en totalité cet activité ! Demandons-nous ce qui se passe quand une activité ne peut être verbalisée, dénommée facilement…
Dans le texte de préparation de la rentrée 2014, on trouve cette explication : « Il s’agit donc d’engager une nouvelle dynamique pour renforcer la compétence à s’orienter, développer une culture économique et l’esprit d’entreprendre.
Et en 2014, dans le Projet de programme du PIIODMEP par le CSP (Conseil supérieur des programmes) du 11 décembre 2014 on trouve les objectifs suivants :
- permettre à l’élève de découvrir le monde économique et professionnel ;
- développer chez l’élève l’esprit d’initiative et la compétence à entreprendre, l’initier au processus créatif ;
- permettre à l’élève d’élaborer son projet d’orientation scolaire et professionnel ;
- renforcer la compétence à s’orienter ;
- développer la culture économique, l’esprit d’entreprise et l’initiative ;
- élaborer son projet d’orientation.
Et voilà le retour de l’orientation scolaire !
Le sparadrap des procédures
On veut s’en défaire, mais elles sont toujours là, comme http://fr.tintin.com/albums/show/id/18/page/0/0/l-affaire-tournesol&h=591&w=590&tbnid=hMmIU1wkYzwygM:&zoom=1&tbnh=101&tbnw=101&usg=__jHOvH30GCr8eFF0uR1zZ4PrMwxQ=&docid=5fbKNI2rYS3CRM&client=ubuntu" target="_blank" style="text-decoration: none; border-bottom-width: 1px; border-bottom-style: dotted; border-bottom-color: rgb(153, 153, 153); color: rgb(10, 10, 10);">le sparadrap du Capitaine Haddock ! Voir aussi ce petit article :
« Avant Tintin et l’Affaire Tournesol (1956), on retenait d’autres expressions pour tourner autour de la même idée : le caillou dans la chaussure, les bâtons dans les roues, etc… En gros ces choses, voire ces personnes, qui nous empêchent d’avancer. Sauf que le caillou s’enlève de la chaussure et qu’une fois les bâtons ôtés des roues, on peut repartir, espérer avancer…
Le sparadrap du Capitaine Haddock prend une acception un tout petit peu différente : il désigne ce dont on n’arrive pas à se défaire… jamais ! »
A l’instar du PDMF rattaché au socle commun, le PIIODMEP est lui aussi rattaché au socle commun des connaissances, de compétences et de culture. Mais quand on regarde le texte décrivant le socle commun de connaissances, de compétences et de culture (cf. Décret du 2 avril 2015), la question de l’orientation a totalement disparu.
On va donc devoir faire face au paradoxe qu’on annonce le rattachement du PIIODMEP au socle alors que le socle ignore totalement le PIIODMEP… et l’orientation d’ailleurs ! Au fond, je pense que nous allons devoir faire le choix entre le maintien des actuelles procédures d’orientation et la démarche éducative, car elles marchent toutes les deux à contre courant.
Les procédures d’orientation sont un frein majeur au développement des conceptions éducatives dans la mesure où l’on est toujours sur la préoccupation majeure du contrôle sur autrui, alors que la conception éducative a pour but, tout au contraire, d’amener les gens à se contrôler eux-mêmes, deux objectifs nettement contradictoires. Et, en plus on attribue aux mêmes personnes – essentiellement les enseignants ─ la responsabilité de ces deux questions. Moi, je veux bien, mais on appelle ça la schizophrénie… Pour éviter d’être schizophrène, on choisit, en général, l’un des deux éléments antinomiques et la plupart du temps celui des deux qui donne le pouvoir, et donc les procédures. À mon avis, là est le nœud de l’affaire. Ce n’est pas joué : dans ce qu’on voit actuellement dans les débats sur la note, l’évaluation, etc. on voit bien qu’on n’est pas encore sur la rupture avec le principe des procédures.
Dernière minute
Mais une nouveauté vient de tomber ! La circulaire de rentrée 2015 semble plus claire et se trouve centrée sur l’objectif de la compétence à s’orienter et s’appuyer sur une progression disciplinaire, voire interdisciplinaire : « Pour permettre aux élèves de construire progressivement, tout au long de leurs études secondaires, une véritable compétence à s’orienter, notamment en connaissant mieux le monde professionnel, le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel est généralisé de la sixième à la terminale. Ouvrant un accès pour tous à une culture économique et professionnelle, il vise à développer l’esprit d’entreprendre et l’ambition sociale, à mieux faire connaître les différentes voies d’accès à la qualification (sous statut scolaire, d’étudiant ou d’apprenti), à encourager la diversification des parcours d’orientation des élèves et toutes les formes de mixité des filières de formation et des métiers, en veillant à favoriser l’égalité, en particulier entre les filles et les garçons. Il se distingue de l’ancien parcours de découverte des métiers et des formations (PDMF) en ceci qu’il s’inscrit dans une progression disciplinaire, voire interdisciplinaire, et qu’il suscite les initiatives permettant de développer, à l’échelle d’un territoire, des projets partagés avec des partenaires extérieurs. »
Affaire à suivre donc…Et la suite de ma conférence bientôt.
Bernard Desclaux