e poursuis donc cette série malgré la situation délicate dans laquelle les « services d’orientation » se trouvent suites aux discussions autour de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
A partir des années 95
Je m’engage dans la formation concernant l’éducation à l’orientation. Je constate très vite les freins moteurs à cette innovation[1]. La question de l’insertion s’est institutionnalisée avec les Missions locales, et la Mission générale de l’insertion a des difficultés pour s’intégrer dans le fonctionnement de l’éducation nationale. Enfin l’informatique se développant les remontées statistiques concernant l’orientation se font directement de l’établissement au rectorat. La question de l’utilité des services d’orientation se pose, en tout cas je commence à me la poser.
Des évolutions générales
Une sorte de « balance » se joue.
Du côté de l’éducation nationale on assiste à une lente « débureaucratisation » au cours des années 80. Pas seulement dans le discours, mais aussi dans l’organisation c’est le principe managérial qui se développe. L’établissement devient un EPLE, c’est-à-dire une unité relativement autonome, devant développer un projet, et gérer une « production ». Le principe du partenariat se développe également. L’école reste assurément un dispositif (un appareil d’état[2]) mais un nouveau discours apparait également dans ces années 80 : les enseignants sont au service des élèves et des parents ; « L’élève au centre du système » qui va « résumer » la loi de 89 dite Jospin en est un exemple.
Côté CIO et rôle des personnels on assiste également à de profondes évolutions. Le rôle d’expert nécessaire dans le processus de l’orientation s’amenuise. Avec la réforme Haby, les conseillers ne sont plus « de droit » dans les conseils de classe, et donc, sous-entendus, « nécessaires ». En parallèle le rôle des professeurs principaux est de plus en plus engagé sur ce terrain, pas seulement sur le plan « administratif » du traitement des dossiers, mais aussi sur le rôle informationnel et même de conseil, et cela d’une manière officielle.
L’aide à l’orientation et l’éducation à l’orientation sont de la responsabilité de l’établissement, et les tous enseignants doivent s’y engager. L’affectation est quasiment totalement informatisée. Il reste quelques commissions pour des formations très particulières pour lesquelles les directeurs de CIO sont requis. L’accès à l’éducation spécialisé, transformée en enseignement adapté est de plus en plus « collégiale » et nécessite un processus d’échange entre les acteurs de plus en plus complexe. Le rôle du conseille reste nécessaire mais non exclusif ou quasi exclusif. Enfin l’entrée en apprentissage ne nécessite plus un avis d’orientation délivré par un conseiller d’orientation et signé par le directeur de CIO.
La question de l’insertion s’est imposée comme problème social.
L’ANPE avait été créée en 1967 pour s’occuper des chômeurs adultes. Le chômage se développe avec la crise pétrolière de 73, mais c’est surtout l’insertion des jeunes qui inquiète de plus en pluse. Après de multiples « plans pour les jeunes » avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, Pierre Mauroy, Premier ministre, confie à Bertrand Schwartz une mission sur l’insertion des jeunes. Et suite à son rapport « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes » en 1982, les missions locales et les PAIO sont créées. Je passe sur les détails de cette histoire, mais les missions locales, dispositifs qui devaient être éphémères, deviennent des « ANPE pour jeunes » et exercent cette fonction indépendamment de l’éducation nationale et notamment des CIO, qui y avaient été impliqués dans un premier temps. L’Education nationale tente de freiner le décrochage scolaire avec la Mission générale d’insertion[3] transformée en mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS)[4] en 2013. Les directeurs de CIO seront particulièrement impliqués dans le décomptage (un problème apparemment simple) des décrocheurs et dans l’animation des plateformes.
Globalement, les PAIO et les Missions locales, l’ANPE, aujourd’hui Pole emploi, etc… sont des dispositifs permettant ou non l’accès aux divers stages, bilan de compétences. Ce sont des dispositifs permettant l’accès à des droits définis par diverses lois. Le CIO a perdu tout rôle en ce domaine.
Des interrogations sur l’utilité
Dans le contexte décrit ci-dessus, la Loi d’orientation sur l’éducation (n°89-486 du 10 juillet 1989)[5]est votée avec l’article 8, « Le droit au conseil en orientation et à l’information sur les enseignements et les professions fait partie du droit à l’éducation ». C’est un grand espoir pour les services d’orientation ! Mais lorsqu’on regarde de près la suite de l’article et les apports successifs, on peut remarquer qu’il porte essentiellement sur le fonctionnement des procédures d’orientation. Rien n’est réellement mis en place pour répondre à ce droit, ni en terme de « description » ni en terme de capacité ou de compétence.
En 1990, je suis au SAIO de Versailles, un projet de décret sur les missions est en préparation au ministère, l’article 1 sur les personnels est développé en plusieurs pages, mais l’article 2, celui intitulé « le CIO » est totalement vide ! Mais à quoi sert un CIO ?
On peut également s’interroger sur l’élaboration de l’éducation à l’orientation au ministère. Pourquoi ne pas avoir impliqué l’inspecteur général de l’orientation de l’époque dans l’élaboration de l’expérimentation ? Dans mon article « L’éducation à l’orientation en tant qu’innovation »[6]j’écrivais :
« Au sein du Ministère, existe l’Inspection générale organisée autour d’un pôle disciplinaire constitué par l’ensemble des IG des disciplines, donc très nombreux, et de deux Inspecteurs généraux pour la Vie scolaire, à l’époque Paul Ricaud-Dussarget, à l’origine ancien enseignant, et de Jacques Sénécat ancien conseiller d’orientation quant à lui. Or la rédaction de la circulaire sur l’éducation à l’orientation a été confiée à Paul Ricaud-Dussarget[7]. D’un certain point de vue, c’est sans doute pertinent, puisque la mission est essentiellement dévolue aux établissements et aux enseignants, les conseillers d’orientation-psychogues étant des partenaires dans la mise en œuvre. Mais sans doute, d’une manière inconsciente, cela a pu jouer sur la difficulté de la part des conseillers d’orientation-psychologues à s’identifier à cette mission. En même temps que cet inspecteur rédige cette circulaire qui affirme la nécessité d’introduire le thème de l’éducation à l’orientation dans chaque discipline[8], les autres inspecteurs généraux rédigent les programmes du Nouveau collège, où il n’y est fait aucune mention de ce thème. Unité problématique ? Visiblement non. La problématisation, au sens de la réunion de deux mondes jusque-là séparés, dès sa phase initiale est déjà une opération ratée. »
Dans les années 95-96, le ministère commande à la DEPP une enquête sur les services d’orientation, et je suis invité à participer au groupe de travail. Sa première réunion est ouverte par des indications concernant les attentes du ministère concernant les personnels d’orientation que je liste dans l’ordre de présentation :
- Sont-ils prêts à participer à la mise en œuvre de l’éducation à l’orientation ? A l’époque on peut dire que la résistance vient de partout, enseignants, chefs d’établissement, conseillers d’orientation-psychologues.
- Sont-ils prêts à coordonner la mission générale d’insertion ? Avec l’accentuation de la régionalisation il y a un risque d’éclatement de la politique sur ce thème.
- Enfin sont-ils prêts à s’impliquer dans l’aide à l’orientation des lycéens vers le supérieur, autrement dit à prendre le rôle de conseiller technique ? A l’époque l’investissement des personnels se porte en priorité sur les niveaux d’orientation au collège et en seconde au lycée.
Mais le rapport de la DEPP ne put répondre à ces interrogations du Ministère.
La définition européenne de l’orientation
Dès 1994 une définition européenne de l’orientation était posée (Conférence PETRA, Rome, novembre 1994) :
L’orientation est « un processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formation »
C’est donc du côté de l’idée de « service aux personnes » que l’Europe concevait l’orientation, conception libérale critiquée très souvent. Car la plus part de nos organismes d’orientation mettent en œuvre ou son adossés à des politiques d’orientation des personnes et non pas d’aide aux personnes : le CIO et l’orientation scolaire, la Missions locale et les mesures d’accompagnement des jeunes déscolarisés et sans formation, le Pôle emploi et le traitement du chômage[9].
Or à l’époque, et sans doute encore maintenant, on peut faire le constat que l’Etat n’investit pas dans ses services d’aide à l’orientation, le « droit au conseil en orientation » reste une expression vide, les procédures d’orientation et d’affectation ne sont pas réellement modifiées, la notion de compétence a beaucoup de mal à trouver sa place dans les objectifs éducatifs et celles liées à l’orientation encore plus, enfin l’éducation à l’orientation se marginalise en fait de plus en plus malgré les différentes versions qui se succèdent[10].
2003 et le projet de régionalisation
C’est en 2003, au moment des discussions autour de la régionalisation des services que j’ai pensé à la notion d’ « utilité pour l’état ». A la demande de Dominique Odry, qui était responsable de la formation des DCIO à l’ESEN, je participe à la table ronde ouvrant la dernière semaine de formation initiale des Directeurs de CIO à Poitiers, le 19 mai 2003.
C’est ce que je développerai dans un prochain post.
Bernard Desclaux
Article publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/07/03/le-cio-un-dispositif-ou-un-service-a-la-personne-iii/
[1] Bernard Desclaux : « L’éducation en orientation en tant qu’innovation ». publié en fait en 2005 dans la revue Perpectives documentaires en éducation, n° 60, 2003, L’éducation à l’orientation, pp 19-32.
[2] Louis Althusser disait même « appareil Idéologique d’État ».
[3] Voir dans les Cahiers pédagogiques N°496 – Décrocheurs, décrochés, l’article de Pierre-Yves Bernard « La MGI, une structure de seconde chance ».
[4] Mission de lutte contre le décrochage http://eduscol.education.fr/cid55115/mission-de-lutte-contre-le-decrochage.html
[5] http://www.education.gouv.fr/cid101274/loi-d-orientation-sur-l-education-n-89-486-du-10-juillet-1989.html
[6] L’éducation à l’orientation en tant qu’innovation, publié dans PERSPECTIVES DOCUMENTAIRES EN ÉDUCATION, N° 60 – L’éducation à l’orientation, 2003 (publié en fait en 2005), INRP. http://ife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/perspectives-documentaires/RP060-3.pdf
[7] Ce croisement d’intérêts s’observe dans l’autre sens, puisque Jacques Sénécat intervient plusieurs fois dans les académies sur le thème de citoyenneté au cours de l’année 1997 (SENECAT J. (1998b). Citoyenneté et vécu scolaire In Une école à la conquête de la citoyenneté, Forum de l’Académie de Nancy-Metz, septembre 1997, Académie de Nancy-Metz.).
[8] Thème d’une nouveauté extrême pour la France, mais qui porte un nom depuis le milieu des années 70 dans les pays anglo-saxons, « l’infusion », ainsi baptisée par Kenneth Hoyt, alors directeur de l’Office of Career Education des Etats-Unis à partir de 74. A ma connaissance la première mention de cet auteur apparaissant dans la revue l’OSP se trouve dans l’article de DUPONT (1988).
[9] Voir « Conclusion de mon intervention à l’ANDEV (4) »
[10] Bernard Declaux « Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IX), et l’Europe s’en mêle »