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Pédagogie centrée sur l’apprenant, dites-vous ? Le formateur en contexte B to B a rarement le choix... Vous vous souvenez peut-être que depuis quelques semaines je suis en train d’user mes fonds d’e-culottes sur les e-bancs du mooc eLearn²... On nous y encourage notamment à analyser nos propres pratiques pédagogiques à la lumière des enseignements qui nous sont apportés, et pour ma part je bénis cette nouvelle occasion d’apprendre (oui, je sais, de ce côté-là je suis indécrottable).

Bien entendu, j’ai particulièrement à cœur de "jouer le jeu" autant que faire se peut, tant le sujet me passionne. Mais force m’est de constater qu’il y a pour ce qui me concerne une difficulté de taille : dans ma pratique professionnelle je n’ai en effet pas affaire à des "étudiants", mais à des adultes en formation continue, et qui plus est dans un contexte "B to B", ce qui change pas mal la donne.

Vous avez bien dit "Comment vais-je vérifier..." ?

Dans le Slideshare qui accompagne unediscussion filmée (avec Christophe Batier) dans le cadre de ce mooc, Marcel Lebrun prend bien la précaution de différencier les trois univers que sontl’enseignement, l’apprentissage et la formation. Or, dans de nombreux contextes de formation, il est assez ardu de poser les choses dans les termes qui nous ont été proposés, et que j’ai repris ci-dessous (j’ai juste rajouté le point d’interrogation) :

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En effet, un formateur n’est pas toujours en situation de vérifier lui-même ce que ses apprenants sont capables de faire à l’issue du dispositif. Cet aspect-là reste souvent de leur entière responsabilité, même si cette responsabilité-là n’est pas toujours très clairement établie, et qu’elle s’en trouve parfois "diluée" dans les arcanes de l’organisation à laquelle appartient l’apprenant (parfois, c’est même carrément les oubliettes !). Ainsi il m’est arrivé plusieurs fois de retrouver une même personne assistant au même cours à quelques mois d’intervalle. A mes débuts je trouvais cela très inquiétant... pour moi ! Mais l’expérience m’a appris qu’il s’agit la plupart du temps de personnes "qu’on avait envoyées suivre cette formation"... mais "...qui n’ont pas eu l’opportunité de la mettre en pratique", et ceci pour des raisons diverses et variées. Prenons juste deux exemple, histoire de montrer qu’il y en a pour tous les goûts :

Dans certains cas c’est la hiérarchie qui a donné trop d’autres tâches à abattre aux participants pour permettre à l’action de formation de porter ses fruits, dans d’autres c’est l’apprenant a usé de son propre "pouvoir d’inertie" pour éviter soigneusement de faire bouger ses propres pratiques... la liste est immense. De quoi parle notre actualité en ce moment ? De réforme de la formation professionnelle ?.... Ben tiens, tu m’étonnes...

Ainsi, afin de permettre à chaque participant de vérifier lui-même tout ce qu’il juge bon de vérifier, voici comment j’ai l’habitude de procéder (...et je suis loin d’être le seul !) : A chaque fois que lors d’une session de formation je lance une activité de type travaux pratiques, ou études de cas, je laisse chacun de mes apprenants entièrement libre de communiquer ou non au groupe (...et au formateur) le fruit de ses grattages de tête. Dans le cas contraire ce serait là une manière de les infantiliser, et même une maladresse, du moins à mes yeux.

 

Curieusement, cette pédagogie si particulière est "forcément" centrée sur l’apprenant...

Quand on pense à une "pédagogie centrée sur l’apprenant", c’est ainsi qu’ mes yeux les choses se passent déjà le plus souvent, je dirais "par la force des choses", dans le contexte la formation continue sur le secteur marchand, B to B, dans les cas (somme toute assez fréquents) où il n’existe pas ce qu’il faut bien appeler des moyens de "coercition du haut vers le bas", de type examen, certification, homologation, etc.

 

Mis en examen

Car on dira ce qu’on voudra, mais même en y mettant toute la bienveillance du monde, un examensera peu ou prou forcément vécu par ceux qui le passent comme un moyen de coercition, qu’on le veuille ou non. Dans tout élan de partage et d’apprentissage collectif comme celui que constitue notre mooc, il y en a bien toujours un (l’enseignant) qui se retrouve du côté du manche (...pour les apprenants plus jeunes, cela alimente notamment les situations de friction avec les parents d’élèves, par exemple). Qui dit examen dit qu’il y en a un qui "examine" et un autre qui "se fait examiner", c’est ainsi. Or, nous sommes de très nombreux formateurs à œuvrer dans les étranges soutes d’un tout autre navire, que ce soit en tant que salariés, ou travailleurs indépendants (aaah, ce merveilleux statut d’autoentrepreneur...). A tort ou à raison, je me dis qu’il en existe forcément un certain nombre dans le mooc eLearn²... Dans notre contexte de travail, nous avons rarement d’autre choix que de "tout centrer sur l’apprenant", justement, sous peine de graves déconvenues, souvent immédiates et sans appel. Dès 1973, Bertrand Schwartz déclarait d’ailleurs ceci à propos des adultes : (dans son célèbre "théorème") :Un adulte ne se formera que s’il trouve dans la formation une réponse à SES problèmes, dans SA situation.

Je puis témoigner sans réserve qu’à la moindre occasion, les adultes me le rappellent sans détour, ce qui peut être une excellente chose, on ne peut plus "formatrice" pour les formateurs :-) ... Ainsi, la formation continue en entreprise se distingue de la formation initiale (y compris universitaire) sur plusieurs points : Bien souvent, pour ce qui concerne les systèmes de formation dits "en salle" (mais pas uniquement), la mission telle qu’elle est assignée au formateur consiste à maintenir un public en haleine, à le faire participer, et à faire en sorte qu’à la fin de la session, ce public se déclare globalement satisfait, avec si possible l’impression d’avoir appris quelque chose.

 

Beaucoup de monde sur le pont

N’allez pas imaginer que pour mener à bien cette périlleuse mission, le formateur soit nécessairement en possession de tous les éléments d’information nécessaires en amont… et ceci pour une raison très simple : entre lui et ses participants, il y a parfois un grand nombre d’intermédiaires, comme le montre l’illustration qui suit :

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 Les deux extrémités d’un "U" qui se réunissent…

Dans cet exemple, participant et formateur sont réunis dans une unité de temps et de lieu à l’occasion d’une session de formation. Mais pour que cette session existe, il a fallu que plusieurs personnes entrent en jeu. Prenons un exemple :

  • Le participant est employé dans une entreprise de taille moyenne. Constatant qu’il ressent un manque pour mener à bien sa mission… par exemple pour s’adapter à l’évolution de son poste de travail (mais il peut en exister beaucoup d’autres), il en réfère à son supérieur direct, que nous appellerons "Intermédiaire 1" ;
     
  • L’intermédiaire 1 prend bonne note de la demande de son subordonné, et, n’ayant aucune raison de s’y opposer, va en référer à une personne de son organisation en charge des ressources humaines (Intermédiaire 2) ;
     
  • L’intermédiaire 2 instruit un dossier qu’il transmet à une personne de son service plus particulièrement chargée des questions de formation (Intermédiaire 3) ;
     
  • L’intermédiaire 3, après s’être assuré que la demande est recevable et conforme à la politique de formation de son organisation, valide la demande, se met en demeure de trouver parmi le personnel d’autres participants apparemment concernés par la même problématique, puis en réfère à une autre personne qui jouera le rôle de commanditaire (Intermédiaire 4) ;
     
  • L’intermédiaire 4 (ici le commanditaire) va se mettre en quête d’un organisme de formation susceptible de fournir la prestation souhaitée, puis d’identifier une personne qui sera son interlocuteur dans cette affaire (Intermédiaire 5) ;
     
  • L’intermédiaire 5 traite la demande…
     
  • Quelques intermédiaires plus loin, nous retrouvons une personne, que nous appellerons "Intermédiaire N", et dont la mission consistera à missionner le formateur tout en lui donnant les éléments dont il dispose afin que celui-ci puisse préparer sa session ;

Le formateur est enfin saisi du dossier, il peut commencer à se mettre au travail. Vous pouvez faire varier le nombre de ces intermédiaires à l’infini, rajouter ou supprimer des couches à tous les étages selon les cas de figure, mais une chose est certaine : entre vous et vos participants, il y aura toujours eu en amont "du monde sur le pont"… et il y aura encore en aval. C’est mathématique. Dans certains cas (mais pas toujours), le formateur peut tenter de remonter la chaîne avant le début de la session en prenant contact avec certains des intermédiaires (voire le participant lui-même) pour recueillir des informations qu’il juge nécessaires. Mais quand bien-même c’est techniquement possible, et qu’on l’y autorise (ce qui est loin d’être toujours le cas), il est aisé de constater que plus vous augmentez le nombre de participants (lesquels n’ont pas forcément des profils semblables, et n’appartiennent pas nécessairement à la même organisation) pour une même session de formation, plus la tâche sera ardue. Sans parler du participant qui vous annonce tout de go en arrivant "Euh, moi je remplace Madame Untel parce qu’elle a eu un empêchement de dernière minute"

Homme-orchestre, dites-vous ? Et pourquoi donc ?

C’est pour cette raison que pour ma part je n’entre jamais "dans le vif" d’une session de formation sans avoir entamé un bref échange avec l’ensemble des personnes présentes (nous y reviendrons dans un prochain billet). En tout cas, il est facile de constater que tout formateur plongé dans un session en contexte "B to B" est le plus souvent mis dans une situation qu’on pourra qualifier d’obligation de résultat, étant entendu qu’il doit faire avec les moyens du bord tout en faisant son affaire personnelle de la manière dont il s’y prendra pour mener à bien sa mission, et que par la suite, nombreux sont ceux qui, à tort ou à raison, s’estimeront en situation de lui demander des comptes…

Ici, c’est plutôt le formateur qui est continuellement "mis en examen"...

Du coup, un tel formateur développe le plus souvent ses aptitudes pédagogiques à la manière du cowboy qui apprend à danser quand le méchant du saloon lui tire dans le pattes en s’esclaffant"Allez, danse, coyote !". C’est une sorte d’épreuve du feu permanente dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle forge le caractère... En plus, dans mon cas, à cette époque-là je sortais à peine de l’Education Nationale... Vous voyez un peu le tableau ! En général y’a pas photo, ça passe ou ça casse... Un homme-orchestre, je vous dis !

(Cet article sera en partie repris dans ouvrage de conseils aux formateurs, à paraître en avril 2014 aux éditions DUNOD).

Lamailloux Bernard

Bonjour et Bienvenue !
Passionné par tout ce qui touche à l’ingénierie de formation, je travaille dans ce secteur depuis une bonne trentaine d’années maintenant. J’ai commencé par des interventions en informatique, et par la suite j’ai rajouté d’autres cordes à mon arc, qui me permettent aujourd’hui d’intervenir dans les domaines de la communication, du management et du développement personnel.
Côté pedigree, j’ai suivi un cursus en ingénierie de formation multimédia et obtenu mon master professionnel de responsable de formation multimédia en juin 2009, à l’âge de 52 ans.
Je suis passionné par mon métier (formateur et concepteur de formations e-learning). J’aime aller vers les gens, et je dois dire qu’en général ils me le rendent bien. Il y a une quinzaine d’années j’ai découvert les théories du « Mieux-apprendre », qu’on appelle encore pédagogies décalées, et j’en suis devenu un fervent adepte.
Je suis également musicien (auteur compositeur interprète, guitariste, pianiste, arrangeur, chef de chœur…), bon vivant, et vous réserve encore bien d’autres surprises !
Si vous voulez jeter un œil sur mes activités (professionnelles, musicales, perso…), le plus simple est de vous rendre ici :
Bien à vous,
Bernard