Une histoire suisse
Mais qui pourrait tout autant être belge ou française…
J’ai entendu cette histoire racontée par Etiennette VELLAS (Chargée d’enseignement à l’université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation) au cours d’une conférence au Colloque de la FCPE les 30 novembre et 1er décembre : « QUEL ENSEIGNEMENTS POUR QUELS SAVOIRS, pour quel citoyen et pour quelle société ? » Claude Lelièvre et François Dubet faisaient également partie des intervenants.
En 1967, les Suisses ont eu l’opportunité de doubler le budget de l’éducation. Plusieurs décisions et modifications du système ont donc été prises, afin « d’organiser la lutte contre l’échec » au cours du primaire :
- Division par deux du nombre d’élèves par classe, de 32 à 18.
- Diminution de la fréquence des notation et développement de l’évaluation formative.
- Création de « cours d’appui ».
- Et pour cela création de nouvelles professions de spécialistes de l’intervention auprès des élèves.
Après vingt ans Walo Hutmacher[1] a décidé de vérifier les résultats. Or les résultats de cette recherche sont restés bloqués dans une armoire pendant trois ans. Mais qu’y avait-t-il de si « bouleversants » ? En fait on constatait un accroissement des inégalités, et le nombre des redoublants avait doublé ! Et la question intéressante bien sûr, c’était pourquoi ?
Le bon enseignant est celui qui fait redoubler 2 ou 3 élèves. En créant deux classes à la place d’une, on double les occasions en fait de repérer des « doublants ».
Il semble que la « réduction » de la fréquence de la notation a fait que les enseignants se sont concentrés sur ceux qui suivaient.
La multiplication des « appuis » ont renforcé la stigmatisation des élèves en difficultés.
Et bien sûr, les professions de spécialistes, pour se maintenir ou se développer, se trouvent avec la nécessité de « produire de l’échec ».
Je rajouterais pour ma part que la Suisse[2] a tenté là une changement de type I[3]. L’ajout ou le retrait n’a pas modifié en fait le fonctionnement du système car sa réglementation n’a pas été changée, le statut du redoublement comme remédiation normale de la difficulté n’a pas été modifié.
C’est pourquoi il faudra, pour revenir à la politique scolaire française, observer les effets de la mesure phare du ministre J.M. Blanquer : le dédoublement des classes de CP en éducation prioritaire renforcée[4]. Cette réforme est arrivée avec pour contexte une nouvelle règlementation du redoublement[5]. Le Figaro présentait le décret de cette manière[6] : « Alors qu’il était cantonné depuis 2014 à des cas exceptionnels, le redoublement est de nouveau autorisé pour les enfants ayant des difficultés scolaires. La mesure devant restée exceptionnelle, le nombre de possibilités de refaire une deuxième année dans la même classe est limité. » Donc d’un côté on reste dans « l’exceptionnalité » en passant des cas exceptionnels à la mesure exceptionnelle, mais de l’autre « le redoublement est de nouveau autorisé pour les enfants ayant des difficultés scolaires »
Donc quels effets auront le dédoublement d’une petite partie des classes dans le contexte d’une autorisation du redoublement dans l’ensemble du système ?
Une réponse pédagogique ou organisationnelle ?
Le redoublement se défini comme le fait de recommencer l’enseignement du même niveau de classe. Faut-il encore que les élèves soient regroupés selon le niveau et dans une même classe. On a donc trois notions.
Le niveau suppose l’identification d’étapes dans une succession, l’idée d’un programme d’enseignement organisé sur une unité de temps, l’année scolaire, et qui serait nécessaire pour pouvoir bénéficier du programme suivant. C’est à la fois une question pédagogique, relevant des professionnels de l’enseignement, mais également une question politique, il s’agit de définir les contenus et les objectifs de l’enseignement.
Le regroupement, suppose de définir le critère qui rassemble les éléments à regrouper. On peut en repérer quelques-uns, le sexe, l’âge, le niveau, la matière de l’enseignement. Et il y en a sans doute d’autres. Petit rappel d’Antoine Prost, au XIXe siècle, les élèves de lycée suivaient des enseignements par unité de deux heures puis se retrouvaient en « études ». Ils n’étaient pas regroupés en classe[7].
Pour la classe, il faut remonter au XIXème siècle où on assite à la fin de l’enseignement individuel ou successif. Apparaît alors le modèle mutuel après la révolution française (modèle importé d’Angleterre) puis le modèle simultané développé en fait par les frères des écoles chrétiennes. Et c’est ce dernier modèle qui s’impose. J’avais découverts cette histoire dans la recherche d’Anne Querrien « L’ensaignement » publiée dans la revue de Recherches en 1976[8]. La classe est donc ce qui se fait et comment, mais aussi l’espace architectural, sa forme, sa taille, et cet espace pose certaines contraintes au regroupement pour un temps long.
La classe unique
La classe unique dans le primaire fut pendant longtemps l’organisation majoritaire dans la France rurale. A-t-elle disparue sûrement pas[9], le réseau CANOPE propose un dossier spécifique sur le thème École rurale et réussite scolaire . On y trouvera notamment ce texte « L’école à classe unique : une réalité en évolution » qui s’ouvre ainsi :
« Les écoles à classe unique (ECU) ont été pendant très longtemps une caractéristique du milieu rural, puisque la volonté d’ouvrir une école dans chaque commune (objectif qui ne fut d’ailleurs jamais atteint) a conduit à multiplier les petites structures. Dès le début du xxe siècle, l’école à classe unique est considérée comme une école par défaut, résultant du manque de moyens ou de la faiblesse des effectifs. Par exemple pour Ferdinand Buisson : « L’école à classe unique est pour ainsi dire l’école en raccourci. C’est l’état embryonnaire de l’école ; elle contient en germe toutes les parties essentielles de l’école, mais on ne verra ces diverses parties acquérir leur développement et devenir des organes complets que dans l’école à plusieurs classes. » (Buisson (F.), Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction publique, Paris, Hachette, 1911. Consulté le 05 mars 2016.) »
Personnellement, je me rappelle aller durant les vacances voir des parents dans un petit village landais. Lui était instituteur et directeur de l’école à deux classes, l’une pour les garçons et l’autre tenue par une institutrice pour les filles[10]. Un même bâtiment, une entrée au milieu, un couloir, les deux classes de chaque côté, et à l’arrière la cour de récréation, ombragée par des platanes, et au fond le jardin-potager.
Retour à l’origine
Dans le primaire le livre de Jérome Krop[11], (La méritocratie républicaine : élitisme et scolarisation de masse sous la IIIe République, Presses universitaires de Rennes, 2014, ISBN 978-2-7535-3403-2) place sa formalisation avant les lois républicaines.
« Le modèle scolaire républicain est né dans la Seine à la fin du Second Empire quand Octave Gréard impose dans tous les cours l’enseignement simultané en 1868. Il créé un cursus divisé en trois cours (élémentaire, moyen et supérieur). Le passage d’un cours à l’autre est déterminé par des examens de passage. Aussi, l’âge est secondaire et un élève peut rester en cours élémentaire jusqu’à 4 ou 5 ans dans les années 1880. En 1888, 30 % des élèves seulement réalisent le cursus prévu sans redoublement »[12].
Ainsi le principe du redoublement s’installe dans une espace urbain. Il sera ensuite généralisé par les républicains. Notons l’utilisation des examens de passages comme preuve argumentative du passage ou du non-passage.
Dans le secondaire la règlementation se fait avec la circulaire de 1890 dont j’ai souvent parlée[13]qui institue tout à la fois le conseil de classe, le calcul de la moyenne, et un peu plus tard ce seront les examens trimestriels.
Ainsi la conception méritocratique de l’enseignement aussi bien dans le primaire que dans le secondaire se trouve bien encrée dans notre système scolaire.
La méritocratie est-elle culturelle ou politique ?
Bernard Desclaux
[1] A propos de Walo Hutmacher voir le texte de Philippe Perrenoud, Devenir expert en restant sociologue Coup de chapeau à Walo Hutmacher in Lurin, J. et Nidegger, C. (dir.) Expertise et décisions dans les politiques de l’enseignement, Genève, Service de la recherche en éducation, Cahier n° 3, 1999, pp. 7-18. https://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1999/1999_07.html
On pourra lire également un entretien avec le sociologue Walo Hutmacher, l’un des inspirateurs de la rénovation de l’enseignement primaire genevois : Vos enfants redoublent. A qui la faute ? in Construire No 24, 10-6-2003. http://www.foti.ch/Hutmacher%20cycles%20notes.pdf
[2] La Suisse étant une fédération de cantons, il semble que cette réforme fut été réalisée dans le Canton de Genève.
[3] CIO ou orientation ? http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2016/03/16/cio-ou-orientation/
S’agit-il d’un changement de type I ou d’un changement de type II ? L’école de Palo Alto avec Batesonet Watzlawick ont proposé cette distinction.
[4] Dédoublement des classes de CP en éducation prioritaire renforcée : première évaluation. « Le dédoublement des classes de CP en REP+ a commencé en septembre 2017 et a bénéficié à 60 000 élèves durant l’année scolaire 2017-2018. Cette mesure s’inscrit dans la priorité donnée à l’école primaire par le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse : 100% des élèves doivent maîtriser les enseignements fondamentaux à la sortie de l’école primaire (lire, écrire, compter et respecter autrui). Conformément à l’esprit qui préside à l’ensemble des transformations en cours, cette mesure a fait l’objet d’une première évaluation scientifique menée par la DEPP. » https://www.education.gouv.fr/cid138289/dedoublement-des-classes-de-cp-en-education-prioritaire-renforcee-premiere-evaluation.html#Synthese_des_resultats
[5] Décret n° 2018-119 du 20 février 2018 relatif au redoublement NOR: MENE1800673D http://leparticulier.lefigaro.fr/upload/docs/application/pdf/2018-02/decret_n_2018-119_du_20022018_relatif_au_redoublement.pdf
[6] Stéphanie Alexandre, Les règles du redoublement à l’école changent dès 2018 http://leparticulier.lefigaro.fr/jcms/p1_1712981/les-regles-du-redoublement-a-lecole-changent-des-2018
[7] On peut également voir l’article de Annie Bruter, Le cours magistral dans l’enseignement secondaire. Nature, histoire, représentations (1802-1902) Dans Histoire@Politique 2013/3 (n° 21), pages 22 à 38 https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2013-3-page-22.htm
[8] Ce texte fut republié sous un autre titre Anne Querrien, L’Ecole mutuelle, une pédagogie trop efficace ? Paris, Seuil, Les Empêcheurs de penser en rond, 2005, 182p. On pourra lire un compte-rendu plutôt critique de Rémy Pawin https://www.academia.edu/6208986/Anne_Querrien_L%C3%A9cole_mutuelle_une_p%C3%A9dagogie_trop_efficace_et un autre plus positif de Julien Pallotta https://books.openedition.org/europhilosophie/663?lang=fr
[9] Voir cet article « A la rencontre de Virginie, une enseignante qui se démène dans une école à classe unique du Vaucluse » https://www.francetvinfo.fr/societe/education/portrait-de-francais-a-la-rencontre-de-virginie-une-enseignante-qui-se-demene-dans-une-ecole-a-classe-unique-du-vaucluse_3213043.html?fbclid=IwAR32yIf5ls6ElDWEPSsb9dle4i4MwDLAcgckzyJa3TNYr0K7zw6VIqvCfoA#xtor=CS1-753
[10] A moins qu’il s’agisse d’une séparation par deux ensemble de niveau avec mixité des classe. Reste le problème de la récréation, voir Anne Verdet « Quand l’école séparait les filles et les garçons à la récré » https://www.slate.fr/story/124812/long-chemin-mixite-recreation
[11] Jean-François Condette, « Krop (Jérôme). La méritocratie républicaine. Élitisme et scolarisation de masse sous la Troisième République », Histoire de l’éducation [En ligne], 142 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 20 mars 2019. URL : http://journals.openedition.org/histoire-education/2992
Jean-Michel Zakhartchouk en fait un CR sur les Cahiers pédagogiques http://www.cahiers-pedagogiques.com/La-meritocratie-republicaine-Elitisme-et-scolarisation-de-masse-sous-la-IIIe-Republique
Voir également son interview sur le Café pédagogique : Comment est née la méritocratie républicaine ?
[12] Citation extraite du Café pédagogique « Comment est né le redoublement ? »
[13] Bernard Desclaux « Aux origines du conseil de classe »
Dernière modification le samedi, 23 mars 2019