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Les quatre temps de l’éducation - L’éducation est en passe d’être bouleversée par la mutation de civilisation. La crise actuelle montre le début d’un effondrement qu’il est temps de pallier par une renaissance. Quatre écoles vont y contribuer, correspondant aux quatre âges de l’évolution humaine. L’éducation tout au long de la vie réclame une révolution des contenus des méthodes et des structures.
L’éducation c’est le développement de la maîtrise de la conduite dans l’existence.Apprentissages, formations, instruction, enseignements, études en sont différentes modalités correspondant à des contextes différents mais l’enjeu est le même. Déjà opposer une modalité à l’enjeu central ou les opposer entre elles est la source de bien des erreurs et des immobilisations.
 
 
On notera que l’éducation concerne au premier chef les personnes et par extension on pourrait parle d’éducation d’une population plus précisément d‘une communauté de personnes. En outre cela concerne les métiers qui visent à cet enjeu et les pratiques qui sont les leurs. Educateurs, pratiques éducatives, mais aussi institutions, politiques éducatives, méthodes, moyens, tout cela contribue au phénomène et à l’éducation des hommes.
 
 
On notera en second lieu que contrairement à des traditions classiques, l’éducation concerne toute la vie. Si on parle déjà de formation on devrait parler d‘éducation tout au long de la vie. Cela permettrait de sortir de ce schéma réducteur et destructeur qui voudrait que l’enfance et la jeunesse soient consacrées à l’éducation préparant un âge adulte qui s’inscrirait dans un paysage stable. La vieillesse consistant à quitter toute responsabilité n’aurait plus besoin de progresser dans son développement. Ce schéma est en passe de disparaitre mais le temps approche où derrière les symptômes, ses carences apparaitront clairement.
 
 
L’Humanisme Méthodologique propose une anthropologie qui éclaire ce qu’est l’évolution possible des hommes, leur développement personnel et culturel et donc les enjeux d’éducation et les processus favorables. C’est bien une des conditions pour penser l’éducation que de préciser quelles conceptions de l’homme et de son devenir sont mobilisées. Si ce n’est pas le cas en général malheureusement, il faut se targuer d’un empirisme forcément localisé et historique et dont l’universalisation est forcément abusive. Ou bien encore d’une idéologie basée sur des idéalités posées à priori sans identifier les fondements anthropologiques qui pourraient les justifier. Les tenants de ces idéologies ou prétentions à l’universel n’ont évidement pas de prédisposition pour faire leur autocritique ou même prendre les distances nécessaires. L’éducation concerne aussi tous ceux qui veulent participer à l’éducation des autres.
 
 
L’axe principal de cette anthropologie est celui des âges, d’une échelle de progression, de développement et d’accomplissement humain. C’est donc une échelle de maîtrise des conduites et des affaires humaines et ainsi d’éducation.
 
 
En première lecture on pourra distinguer quatre stades de développement qui correspondent à quatre niveaux de maîtrise, de soi, des conduites et des affaires humaines et donc aussi quatre stades d’éducation avec quatre types de pratiques d’éducation. On pourra associer à cette échelle de progression quatre types d’écoles symbolisant le type d’éducation correspondant.
 
 
Il faudra considérer que ce sont des périodes de la vie successives qui correspondent à ces quatre âges et réclament un certain type d’école. Cependant, c’est à tous les âges que ces écoles sont utiles. En effet, si dans certains domaines nous sommes à un certain stade d’avancement dans d’autres nous sommes moins avancés et dans d’autres en avance.
 
 
On étudiera ici les quatre écoles de l’éducation tout au long de la vie et, pour chacune, l’enjeu de progression et ses bénéfices, des méthodes et pratiques à titre indicatif, et aussi les déviances qui sont possibles. 
 
 
Comme on le verra cette échelle de progression est inhérente à l’humanité de l’homme. La consistance des écoles dépend d’abord des cultures où elle s’inscrivent, du niveau d’évolution ou de civilisation où elles en sont. En outre elles sont en relation avec des ensembles communautaires et au-delà la mondialisation de la civilisation qui est en cours.
 
 
Il s’agit ainsi de sortir des illusions de l’universalisme avec la reconnaissance des communautés culturelles et en même temps sortir de l’idée d’un différentialisme radical qui les enfermerait dans des enjeux et des modalités coupés du monde extérieur ?
 
 
Les quatre écoles sont identifiées par des termes qui sembleront bien traditionnels. Ils correspondant aux âges de la vie que l’on reconnaitra peut-être. Elles pourront être identifiées de toutes sortes de manières selon les cultures et peut-être les domaines et les moments de l’existence.
 
 
Ces quatre écoles sont les suivantes :
 
 
L’école maternelle où se fait l’apprentissage sécurisé d’une maîtrise des affects dans les relations avec les autres.
 
 
L’école primaire où se fait l’apprentissage des comportements et des pratiques qui font la trame de la vie collective dans une société donnée.
 
 
L’école secondaire où s’acquièrent, les modèles, les représentations, les savoirs qui correspondent aux multiples fonctions sociales, à leur évolution, et leur maîtrise dans la et les cultures concernées.
 
 
L’école tertiaire ou supérieure où se développe la maîtrise des situations et des affaires communes qui suppose un niveau de maîtrise de soi à la mesure des responsabilités à assurer.
 
 
 
L’école maternelle 
 
 
De la considération de l’école maternelle dépend la considération des personnes tout au long de la vie et pas seulement leur adaptation à des conditions exogènes. Elle présage des façons dont les autres âges et leurs écoles seront considérés par toutes les parties prenantes.
 
 
L’école maternelle concerne au premier chef la prime enfance mais aussi à tout âge des moments où la maturation affective est en jeu. Prétendre qu’elle est parfaitement assurée est une illusion dommageable et l’école maternelle va devoir prendre la forme d’environnements maternants aux moments où des passages ou des épreuves affectives seront en jeu.
 
 
L’école maternelle fait vivre les situations relationnelles et les situations collectives dans des conditions de sécurité qui permettent de traverser les épreuves qui ne manquent pas de se rencontrer. Toutes sortes de situations avec leurs objets transactionnels sont données à vivre avec aussi la présence symbolique d’une autorité paternelle qui dit la loi au travers de disciplines élémentaires. C’est comme cela que se contrôlent des émotions, souvent débordantes, et qui permettent des relations saines.
 
 
Les enfants naissent en général de deux parents eux-mêmes inscrits dans un milieu familial et social de proximité avec ses propres règles relationnelles, ses propres solutions au contrôle de l’affectivité selon des circonstances familières, culturelles aussi.
 
 
L’école maternelle n’est pas forcément une institution mais elle peut être un dispositif organisé dans une communauté de proximité avec l’aide ou le soutien des instances locales, régionales ou nationales.
 
 
Les enjeux sont importants. Les dimensions archaïques de la personnalité conditionnent la vocation personnelle, la possibilité de cultiver ses potentiels ou au contraire des problématiques ou tendances psychotiques qui peuvent handicaper, sauf ré-éducation ou résilience, toute une existence. C’est pour cela que tout l’édifice de l’éducation tout au long de la vie repose sur cette » école maternelle » trop souvent négligée. Il ne s’agit pas d’enlever les enfants à leur famille ou leur milieu mais de contribuer à jeter des bases éducatives essentielles pour l’avenir des personnes et de la communauté.
Deux écueils sont en effet à éviter, les relations fusionnelles avec la mère ou même l’entourage ou bien, à l’inverse, des formes d’abandonisme qui dans les deux cas résultent d‘un problème relationnel pathogène.
Au-delà de la prévention que représente l’école maternelle celle-ci permet de structurer les capacités relationnelles qui vont bénéficier à l’enfant et à la communauté par la suite.
 
 
Au cours de cette phase d’évolution rien n’interdit que l’école primaire commence son action mais à condition de ne pas entrer dans des apprentissages prématurés qui ne seraient pas étayés par un début de socialisation des dits apprentissages. Inversement l’école primaire ne sera fructueuse que si l’école maternelle a fait son travail. Quels ravages et quels échecs sont constatés par la suite. Il va sans dire que les conceptualisations prématurées souhaitées par des intellectuels d’âge secondaire, souvent affligés de quelque immaturité affective sont catastrophiques à l’école maternelle.
 
 
Du travail d’éducation initial de l’école maternelle dépendent l’amour de la vie ou au contraire des déséquilibres affectifs régressifs ou agressifs. Tout au long de la vie il y a des situations où cette éducation peut être utile sous des formes appropriées lors de certains passages importants ou certaines épreuves et le procès éducatif reste à poursuivre.
 
 
L’école primaire et la leçon de choses
 
 
L’enfance est cet âge où se font des apprentissages des comportements, des gestes, des pratiques et où se cultivent des savoir faire utiles pour la vie personnelle et collective et aussi la participation à la vie en société y compris sur le plan professionnel. Il y a une difficulté liée à l’emprise de « l’école secondaire » et des idéologies intellectualistes c’est d’ignorer le caractère empirique de ces apprentissages et d’y substituer une logique rationaliste, l’intellection de la raison étant sensée se substituer à l’expérience et celle-ci étant réduite au conditionnement réflexe par la répétition. L’apprentissage des langues en est l’exemple, moyen de communication empirique ou système linguistique à comprendre.
 
 
L’école primaire est centrée sur l’apprentissage du faire, pas du savoir qui ne serait pas un savoir faire ou un savoir d’expérience. C’est ainsi que le modèle de la leçon de choses en est le principe. On remarquera que, même en sciences, un prix Nobel de physique Georges Charpack a développé la méthode de « la main à la pâte » pour l’apprentissage des sciences et l’éducation populaire. Le titre dit tout. Le principal obstacle a été l’intellectualisme des enseignants.
 
 
La leçon de choses commence par celle du langage parlé puis écrit mais au travers de l’usage courant, pas des concepts. Elle est aussi celle du corps lorsqu’elle n’est pas empreinte d’idéologie. Les jeux sont un vecteur majeur de l’apprentissage considérable qui est celui de l’enfance qui doit être accompagné par tous les moyens de découverte, d‘expérimentation et d’évaluation sociale pragmatique. C’est le rôle des éducateurs d’en fournir les moyens, de montrer et d’encadrer les expériences. Les élèves qui s’élèvent ainsi acquièrent des habiletés et des compétences empiriques pour leur existence. Il est certain que ces acquis permettent d’abord l’intégration sociale dans le milieu culturel mais qu’ils sont à poursuivre tout au long de la vie. En effet deux paramètres justifient la prolongation de l’école primaire et de la leçon de choses sous des modalités adaptées. D’une part la progression et les changements personnels et d‘autre part l’évolution du contexte culturel et la mutation accélérée du monde actuel.
 
 
La leçon de choses porte sur les choses de la vie d’une communauté culturelle. Or dans les bouleversement actuels les leçons de choses se sont de plus en plus réduites si bien qu’aujourd’hui des pans entiers de la jeunesse vivent leurs leçons de choses en dehors de l’école. L’apprentissage de rapports au temps à l’espace, au contrôle de situations inconnues, à des modes relationnels nouveaux se fait au travers de jeux et d‘échanges par SMS ou par internet. Souvent les adultes en ignorent tout et en ont ni l’expérience ni la connaissance et encore moins la compréhension intellectuelle. Dans les écoles, l’écart entre un enseignement intellectualisé prématuré et de plus en plus inadapté et les réalités empiriques de la vie est catastrophique.
 
 
La leçon de choses est faite justement pour que soient intégrées les choses de la vie au fur et à mesure qu’elles se développent. C’est pour cela que nombre d’adultes sont handicapés devant les nouvelles conditions et possibilités et qu’ils auraient besoin d’en acquérir de façon empirique les usages. Une école primaire adaptée serait nécessaire, éducation populaire certes mais éducation pour toutes les catégories sociales et professionnelles.
 
 
L’école primaire est le lieu où se fait la jonction entre les pratiques culturelles existantes et les changements qui s’opèrent, tradition et modernité, mutation de civilisation sur le terrain des communautés culturelles.
 
 
Si dans l’enfance l’école primaire, débarrassée de ses parasitages intellectualistes et du culte du savoir est la grande affaire elle le reste tout au long de la vie sous des formes adaptées à institutionnaliser. Les systèmes éducatifs ont aussi à reprendre la main sur cette école primaire délaissée et dévaluée alors que son rôle est décisif surtout en période de grands changements.
 
 
Il est vrai que l’école primaire et la leçon de choses ont leurs limites et ne remplacent pas la vocation de l’école secondaire et même tertiaire que nous allons voir. Elle constitue cependant un socle indispensable sans lequel c’est à des effondrements de civilisation auxquels il faut s’attendre ou à des paupérisations en milieux économiquement avancés, comme cela se produit dans les pays occidentaux par exemple.
 
 
La leçon de choses et l’école primaire constituent un nouveau pilier de l’éducation dans l’enfance et tout au long de la vie. Leur développement peut jouïr d’une grande souplesse s’appuyant sur un empirisme et un pragmatisme qui permet à la fois des initiatives en milieux traditionnels et la prise en compte des évolutions les plus avancées dans une grande diversité de solutions.
 
 
A suivre : L’école secondaire et l’enseignement de modèles.
 
 
Roger NIFLE
Nifle Roger

69 ans chercheur indépendant.

Fondateur de l’Humanisme Méthodologique

Auteur du livre "Le Sens du bien commun" éditions du Temps Présent. Travaille sur la prospective d’une mutation, sur les plans politique, économique, éducatif, celui de la gouvernance communautaire, du développement approprié etc. sous l’angle d’un humanisme radical à contre courant des anti-humanismes contemporains.