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L'Ingénieur et le Bibliothécaire et note sur la pédagogie des médias.

A propos de la Mission du professeur documentaliste1

La question du rapport scolaire aux médias constitue paradoxalement un nœud problématique :

Alors même que les efforts des années pionnières ont abouti peu à peu en France à l’introduction officielle de l'image, de la presse puis des moyens d'information et des médias dans leur ensemble, loin d'être tranchée de manière rassurante, elle donne toujours lieu à malentendus, aux termes desquels s’organisent les études.

Le fait de fondre une générale « éducation aux médias » dans la fonction documentaire en est une des applications.

En termes de média, il n'est pas absurde de faire du pôle documentaire, qui constitue en soi un média (et quand il en aurait les moyens réels et les ressources ; une fois effacés les travaux fondateurs2 - pas seulement en France -, il est difficile de refaire le chemin) la plaque tournante de l'activité d'un établissement ou d'une zone.

A cela s'applique nécessairement une méthodologie.

Ce qui serait fâcheux, ce serait le fait de confiner l'activité, voire l'isoler ou la traiter comme superfétatoire, comme de la confier exclusivement à une fonction donnée, voire à un enseignement particulier3. Il faut s'interroger sur l'esprit qui préside à cette orientation restrictive. « Il faut bien faire « de [l’éducation à] l’éducation aux médias ? »

Plus clairement ; soit le rapport aux médias est une annexe « car il le faut bien », soit il est aujourd'hui au cœur de la situation éducative. Dans ce cas, il serait logique de prendre des moyens en conséquence : il s'agit en effet d'une question massive, difficile, complexe (mais non compliquée4) qui nécessite un effort approprié et une « intelligence commune ».

Ou bien la pédagogie des médias est un luxe, et peut constituer quelque option pour passionnés, soit elle est replacée au cœur, au milieu de l'activité scolaire. Elle fait milieu.

Version optimiste : le projet de texte cité laisse toutefois entrevoir une telle possibilité. Mais s'il était une volonté de « médiatiser » le cursus, elle se heurte le plus souvent au fonctionnement réel d'établissement (à partir du second degré jusqu'à l'Université) et reste lié à l'absence de travail d'équipe décloisonné et constant. A défaut, l'équation proposée ici paraît insoluble.

Or, la pédagogie des médias est éminemment transdisciplinaire. Elle est d'un autre niveau que celui d'un objet d'enseignement donné, et encore moins de « compétences » particulières. Elle ne se comprend qu'en traversée d'ensemble.

Pour répondre au triple procès d’informatisation, de médiatisation et de réticularisation (les réseaux) de la société, qui travaille le texte de la mutation liée aux techniques, la logique PMR (Programme Médias Réseaux, 19945) distinguait pédagogiquement les plans logique, médialogique6, plexologique, et dissociait les approches correspondantes. Mais, en même temps les associait7 dans une démarche où la notion de média reste centrale ; elle est aussi l'apport discursif8 à l'ensemble du dispositif des nouvelles donnes.

Selon cette interprétation, la pédagogie des médias est alors conçue comme pivot entre les activités.

Elle opère ainsi à trois niveaux différents.

  • Comme plaque tournante dans l'articulation PMR.
  • Comme lieu de tension entre compréhension/étude et réalisation/production
  • Comme reliance dans la communauté, entre disciplines scolaires (y compris dans l'état, même si leur partition pourrait utilement être reconsidérée!).

Elle est en quelque sorte « le milieu », au titre de sa position dans la trame disciplinaire, voire dans le curriculum, comme de sa situation : nous « appartenons à ».

Ces fonctions habilitent quelques attributions décisives.

Ainsi d'une pédagogie du détour (les apprentissages ne se réalisent pas de manière volontariste ou transitive) ; d'une pédagogie intégrée (ce qui suppose le rapport aux médias dans toute pratique d'enseignement) ; d'une pédagogie de l'effort (de « maîtrise », de « construction »). Plus généralement, nous rejoignons ici la notion de pédagogie muable9 (aussi bien du fait du « monde en mouvement » où nous sommes - et pour de nombreuses raisons liées à la culture « en train de se faire » que sur le plan des « translittératies »10).

On trouvera aussi dans le riche patrimoine de l' « Éducation nouvelle » de quoi éclairer et alimenter la question ici posée. Singulièrement chez Freinet, dont la conception inclusive (espace de l'école, pédagogie du travail, articulation du journal et de la correspondance scolaires) est toujours d'actualité. Il y aurait là, dans un travail collectif d’actualisation, matière à la renouveler, dans le sens d'une « nouvelle éducation nouvelle ».

L'arrière-plan de cette question est évidemment la conception scolaire en vigueur. Au moins sur le triangle « forme scolaire », « délimitation des matières », « pédagogie ». Tant que l'on ne s’attaque pas aux problèmes de fond, les mêmes difficultés perdureront. La situation somme toute bien faible de la pédagogie des médias, voire le sort piteux qui lui est fait, est l'indice d'un malaise plus général et constant sur l’organisation des études.

A l'inverse, demandons-nous si ce débat peut être repris à frais nouveaux, ou si le dossier est définitivement bouclé.

1 Je saisis cette occasion de convoquer quelques souvenirs de nos travaux antérieurs. J'ai aussi été un temps documentaliste.

2 L'effacement est double : d'une part, de nombreuses considérations et maints travaux de l'époque antérieure n'ont pas donné lieu à publication ; d'autre part la « crise de la transmission » a purement et simplement nié une grande part des avancées des années 80-90. Outre que l'enrichissement patrimonial est pris en défaut, il semble que manque aujourd'hui un chantier de production pédagogique ad hoc.

3 Cette question était débattue au Clemi (alors Centre de Liaison de l’enseignement et des moyens d’information) il y a un quart de siècle. Certains membres de son Conseil d’orientation suggéraient d'en faire une discipline. Malheureusement, plus à la sauvette qu’autour d'une table de travail associant praticiens, chercheurs, administrateurs...

4 Par exemple, la lecture des médias ne s'improvise pas. Elle requiert des connaissances, une méthodologie, du temps.

5 Il s'agissait au fond d'une approche de type mésologique. v. L’espace de la pédagogie aux temps d’Internet https://leportique.revues.org/1513

6Rappelons qu'un temps la médialogie – qui est pour nous l'étude des médias - a désigné un temps la science documentaire. Profitons-en pour rappeler le terme de « médiatique », qui associe les techniques de l'information et de la communication.

7 A la fois donc, dissocier et associer. C'est toute la question du sens discriminatif, qui s'applique en toutes choses. Dans la pratique technique, le développement des objets amalgamés, hybrides, composites, suscite des habiletés d'usage, non des termes de compréhension et d’analyse de ce qu'ils sont.

8Se référer aux « théories du Cyberespace ».

9Toutes considérations datées. Pour autant, paraissant encore neuves... ou distinctes des dispositions programmatiques actuelles.

10Je n'utiliserais ce terme à la mode que s'il recouvrait un chantier d'ingénierie pédagogique.effectif.

Dernière modification le lundi, 09 janvier 2017
Jean Agnès

Domaines de recherche actuels : principes d’une philosophie de l’éducation (transmission, soin éducationnel, « nouvelles donnes » pour l’éducation scolaire, espace de la pédagogie). 

Philosophe, écrivain, il a été responsable associatif et éducatif.  A enseigné "à tous niveaux" et exercé des missions nationales et internationales comme formateur de formateurs et de cadres, et concepteur et animateur de programmes en pédagogie des médias. Il a été membre de divers conseils et comités de rédaction scientifiques. Auteur de nombreux travaux et publications, il est spécialiste en philosophie de l’éducation et fondateur du sitephileduc