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Par Anne Lehmans, Professeure en sciences de l’information et de la communication, IMS-RUDII (UMR 5218), associée au MICA : " Le FabLab peut être considéré comme un dispositif sémio-socio-technique qui aide les élèves à (re)trouver des sources de motivation pour les apprentissages scolaires, ou reprendre un cursus de formation quand ils l’ont quitté. Le projet e-FRAN Persévérons a permis d’étudier les processus de construction de la motivation et de la persévérance dans la réorganisation des espaces-temps des apprentissages dans les FabLabs."

Des FabLabs comme espaces de construction de la motivation

Le FabLab, “fabrication laboratory”, est un espace de travail et de formation, « physiquement situé où des personnes ayant un intérêt pour les techniques se rassemblent pour travailler sur des projets tout en partageant des équipements (machines-outils, wifi…), des connaissances et des valeurs communes issues de l’éthique hacker » (Lallement, 2015 : 525). Lieu ouvert où toutes sortes d’outils sont mis à disposition du public, ainsi que des plateformes en réseaux qui permettent de s’échanger des fichiers dans le monde entier, le FabLab vise la conception et la réalisation d’objets.

Il s’adresse à tous les publics, entrepreneurs.euses, designers, artistes, bricoleurs.euses, étudiant.e.s, élèves, qui peuvent passer de la conception au prototypage puis de la mise au point à la réalisation d’objets. Il constitue un espace de rencontre et de création collaborative pour, entre autres, fabriquer des objets uniques. Un FabLab peut être considéré comme un tiers-lieu, qui inclut la rencontre entre des individus et avec des objets dans une « épistémologie du bricolage » (Vallat, 2015) qui valorise le faire dans une perspective de mise en commun de la connaissance.

 

Le FabLab n’est pas spécifiquement innovant : il mobilise des compétences techniques dans une démarche de projet, ou plus précisément un apprentissage basé sur la conception (design-based learning).

Dans le FabLab, on ne peut pas tout apprendre, mais seulement des connaissances techniques, qui peuvent servir de levier psycho-social à l’envie d’apprendre. Des compétences liées à la gestion de l’information et des ressources documentaires sont également en jeu, à travers la lecture ou la création d’une documentation technique, l’association de la fabrication d’objets avec des ressources culturelles nécessitant des recherches d’informations ou de documents, des formes de réécriture voire de ré-éditorialisation ou redocumentarisation. C’est l’organisation spatiale des apprentissages qui est questionnée, ainsi que la création d’un système d’information complexe.

Dans le cadre du projet E-Fran Persévérons porté par l’INSPE (université de Bordeaux), les équipes de chercheurs (RUDII de l’IMS) qui ont travaillé sur trois FabLabs, Coh@bit à l’université de Bordeaux, 127° à Cap Sciences, et Eirlab à l’Enseirb Matmeca de Bordeaux, ont cherché à :

– déterminer des indicateurs de la motivation et de la persévérance à partager pour évaluer l’impact de la pratique de projets dans les FabLabs ; 

– créer une communauté de pratique, une dynamique collective, et un écosystème partagé pour un projet collaboratif et transversal entre équipes d’enseignants, de chercheurs, de praticiens ;  

– diffuser des pratiques, des ressources et des projets pédagogiques ;

– développer in fine une forme de culture de la donnée.

Les recherches ont porté sur des projets menés par des élèves avec les FabLabs, classes de collèges en REP et milieu rural, classes de lycée avec des élèves de seconde, mais aussi élèves ou jeunes en stage.

Étudier la motivation et la persévérance scolaire dans les FabLabs

L’équipe a cherché à identifier ce qui, dans les projets menés au FabLab par des groupes d’élèves, peut constituer un facteur de persévérance, en partant des facteurs affectifs, cognitifs, conatifs et sociaux : ce qui concerne la volonté, l’engagement, le désir d’accomplir correctement son travail, et qui se traduisent par la satisfaction dans les tâches, le sentiment de réussite personnelle et scolaire.

Une telle perspective s’inscrit dans la prise en compte des besoins de l’individu considérés dans leur complexité. Le développement du sentiment d’auto-efficacité (Bandura, 2019) est lié à l’agentivité, d’un point de vue socio-cognitif qui prend en compte l’interaction entre la personne et son environnement, son comportement, ainsi que des situations formelles ou informelles (discussions avec les pairs, loisirs…). Il se nourrit de l’expérience active qui inclut la démarche par essais-erreurs, de l’observation et du dialogue avec d’autres personnes, et des émotions, de l’estime de soi. D’un point de vue communicationnel, la valorisation des expériences positives et la facilitation des échanges sont importantes.

La possibilité de s’engager dans une activité, de l’inscrire dans un collectif à travers des pratiques de communication ou de participation est également un facteur de motivation et d’”empowerment”.

On la retrouve dans la communauté de pratique qui suppose entreprise conjointe, engagement mutuel et répertoire partagé (Wenger, 2005). Du point de vue communicationnel, l’engagement (Chi et Wylie, 2014) peut se traduire, par exemple, par la prise de parole ou la participation à la production de contenus à communiquer. Enfin, la reconnaissance des difficultés réelles qui existent dans les apprentissages (résilience), la possibilité de les exprimer et de les partager, peuvent être contrebalancées par la valorisation d’éléments positifs : des expériences positives sur des points précis, l’engagement dans des activités constructives et altruistes, notamment collectives, le guidage de membres du groupe sur un point particulier, le soin et l’attention portés aux autres, qui permettent d’établir une attitude positive, créative, multitâche et orientée vers les pairs. La valorisation de ces éléments dans la communication au niveau du groupe permet de surmonter tout ce qui peut être interprété comme échec ou erreur et d’en faire des éléments positifs.

Une ethnographie de FabLabs

L’équipe de recherche a observé les élèves et les adultes (managers, animateurs, médiateurs, enseignants) sur place, dans le cadre de plusieurs projets, réalisant leurs objets avec l’ensemble des machines du FabLab.

Plus précisément, elle a focalisé son attention sur le travail de groupe, de la conception du projet à la production d’objets, en passant par la réalisation de plans, dessins et brouillons de prototypes, les mesures, etc. Les discussions entre les élèves et enseignants et les médiateurs ont été enregistrées, parfois filmées et photographiées. Le but était de comprendre les logiques de construction de l’activité et de circulation des connaissances. Les matériaux recueillis constituent  des documents qui témoignent de l’investissement des élèves dans l’activité de fabrication des objets, dans certaines conditions. La réflexion porte sur les pratiques réelles, la façon dont elles sont décrites, analysées et partagées de façon formelle et informelle entre les apprenants. Au niveau du groupe de travail et de la classe, voire à un niveau plus large, la fluidité de la communication sur les pratiques est importante et permet de prendre conscience de ses propres qualifications en les valorisant.

Doublée d’entretiens d’explicitation menés dans le déroulement de l’activité, l’observation a été suivie d’entretiens semi-directifs, individuels ou collectifs (focus group), des personnes observées en amont dans leur activité. Le but était d’obtenir des éléments portant sur la motivation et la persévérance dans le projet à partir des critères reposant sur l’implication dans la tâche, le ressenti sur le projet, les représentations de l’espace et du travail à réaliser, les habitudes, l’environnement socio-culturel, les compétences et connaissances acquises au cours du projet. Une analyse des corpus de traces et de documents produits a complété ces données.

Des espaces de projets documentés

Les observations montrent un bousculement/basculement de la relation dans la pédagogie de projet.

Les enseignants changent leur point de vue sur les élèves et sur leurs pratiques pédagogiques, les élèves changent leur point de vue sur les autres, sur les enseignants, sur eux-mêmes : l’espace encourage ce changement, par un processus de médiation qui ne repose pas spécialement sur les outils mais beaucoup plus sur la façon de travailler à la production concrète d’un objet ou d’un dispositif souvent ancré dans un besoin social réel et partagé. La réalité du besoin ciblé et le caractère tangible des productions réalisées collectivement portent les bases d’un engagement. Celui-ci doit s’incarner dans des traces qui permettent de le transformer en apprentissage : en inscrivant une activité dans une trace documentaire, en lui donnant comme perspective d’être communiquée, le geste doit être réfléchi, expliqué, donc compris.

Enfin, l’espace du FabLab s’organise autour du collectif qui habite l’espace et porte une diversité de pratiques entre prescription, bricolages et braconnages. Le projet Persévérons a permis de mettre en lien le FabLab Coh@bit avec une université au Mali et d’explorer les potentialités de communication dans un espace de bricolage et d’apprentissage étendu et partagé.

 https://edunumrech.hypotheses.org/3550 (CC)

Carnet de veille et de valorisation des travaux de recherche sur le numérique dans l’éducation soutenus par la Direction du numérique pour l’éducation

 

Persévérons – Un projet e-FRAN. (s. d.). Persévérons – INSPE Bordeaux. http://perseverons.inspe-bordeaux.fr/

Références

BANDURA, A. (2019). Auto-efficacité: comment le sentiment d’efficacité personnelle influence notre qualité de vie. de Boeck supérieur.

BURRET, A. (2017). Étude de la configuration en Tiers-Lieu – La repolitisation par le service.  Thèse de Sociologie et Anthropologie, Université des Lumières Lyon 2.

CHI, M. T. H., & WYLIE, R. (2014). The ICAP framework: Linking cognitive engagement to active learning outcomes. Educational psychologist, 49, 219-243.

LALLEMENT, M. (2015). L’âge du faire. Hacking, travail, anarchie. Paris, Seuil.

LEHMANS, A. (2018). Le projet de FabLab en bibliothèque et le développement des apprentissages : une utopie réaliste ? Documentation et Bibliothèques. ⟨hal-01791770⟩

LEHMANS, A., LIQUETE, V. (2019). Le Fablab comme communauté apprenante. XVe Conférence Internationale EUTIC 2019, Oct., Dakar, Sénégal. ⟨hal-02568932⟩

LEHMANS, A., LIQUETE, V., & COULIBALY, M. (2020). Robotique éducative et constitution de communs de la connaissance dans les FabLabs : un enjeu fondamental pour le développement. Communication, technologies et développement, (8).

LIQUETE, V., COULIBALY, M. (2021). Le fablab comme espace d’apprentissage situé et contextualisé. Un exemple à l’Université de Ségou. Communication au colloque LUDOVIA n°18, août 2021, Ax-les-Thermes – Colloque scientifique international 2021 : « Culture numérique. Le numérique est-il social ? »

VALLAT, D. (2017). Que peut-on apprendre des tiers-lieux 2.0 ? XXVIe conférence de l’AIMS (Association Internationale de Management Stratégique). Lyon, France. halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01512929/document.

WENGER, E. (2005), La théorie des communautés de pratique : apprentissage, sens, identité, Les presses de l’Université Laval, Québec, Canada.

Documents à télécharger

Support de présentation « FabLabs et persévérance »

Ouvrir les espaces-temps des expériences d’apprentissage : les FabLabs et la persévérance

A consulter aussi

Colloque PERSEVERONS – Le numérique pour la persévérance. (2021). Sciencesconf.org. https://perseverons.sciencesconf.org/resource/page/id/5

DNE-TN2. (2020a, novembre 10). LIttératie et NUMératie Emergentes par le Numérique : Le projet e-FRAN LINUMEN [Billet]. Éducation, numérique et recherche. https://edunumrech.hypotheses.org/2256

DNE-TN2. (2020b, novembre 30). Modèles et Traces au service de l’Apprentissage des Langues : Le projet e-FRAN METAL [Billet]. Éducation, numérique et recherche. https://edunumrech.hypotheses.org/2314

DNE-TN2. (2020c, décembre 17). Vivre le confinement pour les élèves des lycées professionnels : Enquête ProFan (avril 2020) [Billet]. Éducation, numérique et recherche. https://edunumrech.hypotheses.org/2432

DNE-TN2. (2021, août 24). Recherche et éducation : Colloque e-FRAN Persévérons (#Ludovia18) [Billet]. Éducation, numérique et recherche. https://edunumrech.hypotheses.org/3284

Lehmans, A. (2017, mars). Le projet e-FRAN Persévérons : Numérique et persévérance a l’école. Le Printemps de la recherche en éducation 2017https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01710552

Colloque du projet e-FRAN Persévérons à l’université d’été Ludovia (août 2021).

affiche_colloque_juin_2021_4.png

Présentation du colloque du projet e-FRAN @eF_perseverons à l’université d’été #Ludovia18

(24 et 25/08/21).

YouTube channel=LUDOVIAMAGAZINE

LUDOVIAMAGAZINE. (2021, août 24). Colloque Persévérons.

Université d’été Ludovia#18. (2021). Ludovia.Fr. https://www.ludovia.fr

 

Dernière modification le mercredi, 08 décembre 2021
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