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« Eduquer à l’intelligence artificielle » Comment préparer les enseignants, les élèves et les étudiants à la généralisation de l’IA ? Le mercredi 13 novembre de 10h30 à 11h30, @Educatechexpo a donné la parole à 4 expert(e)s du numérique et de l’IA, lors d’une table ronde sur les possibilités d’accompagnement à mettre en oeuvre au quotidien, pour tous les publics : Jean CATTA, Secrétaire Général, CONSEIL NATIONAL DU NUMÉRIQUE, Margarida ROMERO, Maîtresse de conférence, Universités Côte d'Azur et Laval au Canada, responsable du GTNum #Scol_IA, Jean-François LUCAS, Directeur Général RENAISSANCE NUMÉRIQUE et Axel JEAN, Chef Du Bureau du Soutien à l'Innovation Numérique et à la Recherche Appliquée, DNE-  MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE ET DE LA JEUNESSE.

Lors de cette rentrée des classes 2024, les lycéens en classe de seconde ont découvert MIA : un programme utilisant l’intelligence artificielle pour les accompagner dans leur apprentissage du français et des mathématiques. Cet outil a été développé suite à la demande des équipes pédagogiques d’avoir accès à un outil sécurisé et respectueux des données personnelles des élèves.

L'animatrice : Je vous propose de parler de littératie en IA, du développement des compétences numériques à l'heure de l'intelligence artificielle.

On a réuni quatre intervenants qui ne viennent pas que du monde de l’éducation. Je vais les laisser se présenter en quelques mots, afin que vous nous disiez ce que vous faites et pourquoi sur le sujet de votre propos est particulièrement adapté.

Jean Cattan, Secrétaire Général du Conseil National du Numérique. Le Conseil national du numérique a lancé cafe-ia dont on reparlera.

 

Margarida Roméro, professeur des universités à l’universités Côte d'Azur et professur associée à l’université Laval, au Canada s’intéresse aux enjeux éducatifs de l’IA en éducation et aux compétences transversales. 

 

Jean-François Lucas : je suis délégué général de Renaissance numérique. On est un think tank indépendant et non partisan. On a été créé en 2007 et notre raison d'être c'est de débattre et d'éclairer les décisions pour une société numérisée responsable, c’est-à-dire plus juste du point de vue des droits et des libertés fondamentaux, plus démocratique, plus inclusive.

 

Axel Jean : je suis chef du Bureau du soutien à l'innovation numérique et à la recherche appliquée. Dans mon équipe on a la chance de travailler avec des gens comme Margarida Romero, des chercheuses, des chercheurs, des Edtechs, des entreprises et évidemment avec des professeurs, pour essayer de répondre au mieux aux besoins des usagers. Dans une approche donc centrée utilisateur, avec des services basés sur l'IA, pour trouver le juste milieu entre ce que peut faire l'IA et ce que doit faire l'IA, subtilité déterminante en démocratie.

On va commencer avec un éclaircissement de notre sujet et une question à priori assez simple mais qui mérite d'être posée :

Pourquoi aujourd'hui l'intelligence artificielle et en particulier générative remplit les salles à l'occasion des conférences d’Educatech. Finalement, elle peut-être aujourd'hui plus qu'un sujet de société.

Jean Cattan

Comme beaucoup de technologies, l’IA va être un élément structurant de notre cadre social. Donc j'entends « sujet de société » ici posé comme sujet non anecdotique. En réalité c'est un vrai sujet de société dans le sens où c'est quelque chose qui va contribuer, comme beaucoup de technologies, à modeler nos relations sociales, notre relation au savoir, la façon dont on construit les savoirs. Pour cela il est important et primordial de mettre l’IA au centre de la table de notre conversation démocratique de proximité.

 

Margarida Roméro  

C'est un sujet déjà parce que les élèves comme la société en général se sont approprié ces différents outils des IA génératives et du fait qu'il y a des usages. On doit se poser la question de savoir quels sont les outils avec lesquels on travaille, quels sont les usages que l'on considère pertinents ou pas en éducation et aussi comment on arrive à accompagner des enseignants pour qu'ils soient capable de décider quelles sont les intégrations qui sont les plus pertinentes en classe.

 

Jean-François LUCAS 

Avant de répondre je vais juste dire que je ne suis pas spécialiste de l'éducation des questions pédagogiques. Je représente un think tank qui réunit une quarantaine de structures adhérentes, petites et grandes, des gens qui ne sont pas d'accord : notre but c'est de débattre. 

 

Aujourd'hui je suis là parce qu'on a un groupe de travail sur des questions d'inclusion de littératie et d’IA. On fait beaucoup d'auditions et de revues de littérature ; je vais plutôt vous faire part de ce qu'on entend, de ce qu'on nous dit. Pourquoi c'est un sujet de société ? peut-être quelques chiffres : chat GPT 3 sort en janvier 2023 : 100 millions d'utilisateurs d'actifs. On n’a jamais connu un tel engouement pour un service informatique. En septembre- octobre 2024 donc cette année les chiffres nous disent 200 millions d'utilisateurs, plus de 3 milliards de personnes qui ont testé l'outil ou le service. C'est quand même quelque chose de phénoménal.

 

Après on est aussi dans cette phase intéressante où il y a des gens qui commencent à nous dire : « on s’est peut-être un peu enflammé, on est peut-être dans une bulle spéculative ». Il y a des choses extrêmement structurantes du point de vue des usages ; mais on est en train de de se poser la question aussi de savoir si vraiment on est dans cette bulle ou pas On est dans un rapport de force très intéressant entre les usages prescrits actifs et imaginaires.

 

Un point très rapide : je lisais hier la newsletter d'un journaliste qui s'appelle Hubert Guillaud (« dans les algorithmes, DLA ».) Hubert faisait référence en fait au taux de chute des usages. Une étude qui est sortie, je crois que c'est aux États-Unis, montre en fait qu'après 10 jours les gens commencent à beaucoup moins utiliser chat GPT ou d'autres outils et après 40 jours ils les délaissent. Donc il va falloir prendre le temps de regarder ce qui se passe du point de vue des usages. Il y a cette question des usages qui est importante. 

 

On est sur quelque chose qui percute la question de la connaissance et du rapport à l'information, qui percute la question de la démocratie, la question environnementale enfin tous les plans de la société. Donc on est quand même sur quelque chose de très massif du point de vue des questions que ça pose et du point de vue des usages prescrits.

 

Axel Jean

Plantard, un chercheur, très tôt, dit que le numérique est un pilier de société totale : un phénomène total. L'IA c'est la même chose, ça impacte tous les points de la cité. L’école étant au cœur du projet de société, de l'actuel et de l'avenir, il est normal que l'école s'en empare.

 

C'est d'autant plus normal et urgent que nos enfants, nos élèves, sont exposés en permanence aux réseaux sociaux, par l'imagerie, par la messagerie, par leurs jeux, par leur choix culturel, liées à des propositions pensées par des gens qui ne rendent de compte à personne. Les élèves utilisent cela massivement, sans avoir le recul nécessaire, l'esprit critique de l'adulte qui lui permet d'avoir ce pas de côté. Je force le trait :  les enseignants se disent que c'est peut-être un effet de passage, un effet de mode. Il y a une sorte de scission, une séparation possible entre des usages massivement pratiqués par les jeunes publics et des adultes qui s'en servent beaucoup moins, qui se disent je m'en suis passé jusque là donc c'est un effet de mode, un passage.

 

Il y a une urgence absolue à ce que les enseignants, les formateurs d'enseignants, les inspecteurs, les ministres comprennent qu'il y a une urgence à se former et l'essentiel c'est de former des citoyens. Former des citoyens actuellement ça ne peut pas être sans intégrer les évolutions technologiques qui relèvent d'une révolution industrielle très rapide et très violente. Une particularité c’est qu’elle touche cette fois les cols blancs, qui va impacter les classes autour du savoir, et pas seulement les cols bleus. On n’est pas bien armé pour cela ; et j’élargis cela à l’Europe.

Je vous propose de poser très rapidement la question des compétences.

Si on parle des élèves d'aujourd'hui alors évidemment un élève, il peut avoir 6 ans et il peut avoir 17 ans, et on peut imaginer que l’on ne répond pas de la même manière en fonction de son âge.

Qu'est-ce qu'on devrait normalement réussir aujourd'hui du point de vue du développement des compétences numériques de ces élèves, mais surtout dans quelle finalité ; et on se posera ensuite la question de qui cela relève, parce que là-dessus on n’est pas clair.

Margarida Roméo

Au niveau des compétences des études montrent que l’on est en train d’impacter l’éducation, mais à des niveaux bien supérieurs qu’antérieurement. Certains des travaux pourront être réalisés avec une faible formation et pourront être automatisés. On a besoin d’une société avec de plus en plus de compétences et pas uniquement à l’école.

 

L’école a en fait énormément d’exigences avec ces changements. Il y a également le développement de la pensée critique. Je pense que c’est en France un aspect sur lequel l’éducation est forte, cette capacité à avoir un esprit critique face à différentes technologies, à la fois de fournir des solutions et fournir des services qui puissent être utilisés de manière éthique.

 

Mais l'autre chose, c'est être capable de comprendre l'informatique et la collaboration entre les sciences de l'éducation et les sciences de l'informatique. On a besoin également que les niveaux de culture générale informatique s'améliorent pour que l'on comprenne qu'est-ce que la donnée, que l'on comprenne ce que sont les algorithmes et l'empreinte numérique qu'on laisse quand on utilise des services numériques.

 

Un de mes rêves c'est que les gens puissent réclamer avoir des machines à laver open source. Mais pour qu'un jour les gens puissent avoir ce type de rêves cela demande que les personnes sachent comment fonctionne un système technologique, comprendre la modularité des systèmes et puissent, comprendre que cela est possible en ayant les compétences clés.

 

On a beaucoup de travail et en même temps beaucoup d'acteurs et de partenaires, aussi bien au niveau des institutions qu’au niveau des académies, mais aussi des acteurs comme Numerica, la maison de l’IA et d'autres font aussi un travail extraordinaire.

Je vais volontairement poser une question un peu piquante.

Une étude récente réalisée autour de la question des compétences numériques montre que dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignants, le développement de leurs compétences pour qu'ils puissent eux-mêmes intervenir dans le développement des compétences numériques des élèves représentait en moyenne autour de 3%. Est-ce que cela va suffire compte-tenu des enjeux ?

Axel Jean

On est devant un mur de besoin de formation que l’on n’a jamais connu. On doit penser une formation systémique, de ministre jusqu'à futur professeur. Le besoin de formation pour un inspecteur ou pour un chef d'établissement est le même que pour un jeune professeur. Parfois il y a une inversion, le jeune professeur est au moins usager, donc il sait à peu près de quoi on parle. C’est très compliqué ça ne s'est jamais produit

 

Comment on forme de manière systémique 1 million d'agents en 2 ans n'est pas documenté. Il faut que l’on fasse feu de tout bois, qu'on utilise des multicanaux. Si c'est pour appliquer des méthodes d'avant les IA génératives c'est se condamner à échouer, car les choses vont trop vite du fait du phénomène d'accélération.

 

On a besoin de démarches très simples du type café-ia, d’acculturation, d’ouverture au plus grand public. Il y a des dispositifs, il y a des modalités et chacun doit à son niveau enclencher des formations associations, chercheurs entreprises. Au pays de Descartes, on doit rester dans le champ de l'exigence, de l'esprit critique, de la logique et d'une exigence absolue scientifique. Le sujet est le même pour tous les européens.

 

On a fait un projet qui s’appelle « artificial intelligence for by teachers (ATI) » dont le but est de faire des communs numériques, un Mooc hébergé sur France université numérique pour les Français et un open textbook porté par la chaîne ressources éducatives libres et IA de Colin de la Higuera à Nantes, centrés que les essentiels, donc sur l’IA .

 

Ce n'est pas parfait mais c'est disponible. On s'est mis d'accord pour définir l'indispensable à savoir quand on est professeur. Que peut-on faire et que ne doit-on pas faire avec l’IA ne doit-on pas faire avec l'IA.

 

Il ne faut pas accepter de répondre à des questions générales du type : qu'est-ce que doivent savoir les élèves sur l’IA ? Il y a des moments où c'est trop tôt et la France et le Ministère Français suivent la préconisation de l'UNESCO de ne pas exposer trop tôt les élèves de l'école maternelle élémentaire -en gros avant 13 ans- à des IA génératives sans le contrôle de l'enseignant pour un projet pédagogique.

 

Pourquoi ? Parce que les jeunes publics sont en train de construire leur relation à l'autre, leur altérité, leur propre personnalité. Il est trop tôt parce que les jeunes n'ont pas la pensée critique suffisamment développée. En revanche, dès qu'on est au collège, il faut passer la 2e, 3e, 4e, 5e vitesse et accélérer parce qu' on doit donner les clés de l'avenir à nos élèves. Nous ne connaissons pas les métiers qui seront là dans 5 à 10 ans, par contre nos élèves doivent se former sur l'esprit critique, la pensée logique, la pensée algorithmique, la pensée informatique pour aller vers ces métiers-là.

Qu’est-ce que doivent aujourd’hui comprendre les élèves ?

Jean Cattan

 

Je pense qu’il y a beaucoup de compétences qui doivent être différenciées au fur à mesure des âges. Mais il y a quand même quelque chose de fondamental qui recouvre je pense tout ce que vous avez dit et toutes les compétences que l’on doit acquérir tout au long de notre existence : comment est-ce qu'on prête attention à nous-mêmes.

 

Demain, il sera très difficile de se détacher de ce réflexe du premier brouillon que l'on va écrire dans le chat GPT et qui finalement sera aussi le produit d'une machine statistique. Pour les élèves, maîtriser et dans quelle finalité c'est avant tout d'être capable de prêter attention à ce qui vient d'eux et à avoir confiance en eux-mêmes à valoriser ce qui vient d'eux.

 

Ce qui a de la valeur c'est finalement cette estime de soi-même, cette capacité à s'interroger, à explorer l’inconnu (selon la formule de François Taddei). Si on oublie cela, si on se considère comme étant seulement des êtres machiniques, dotés d'une aptitude à manipuler une machine, des machines utilisant des machines, bombardés d’informations statistiques, on est foutu.

Jean-François il se trouve que vous travaillez aussi sur la question de la littérature en  IA .

Jean-François Lucas

Il faut peut-être préciser que le point de départ est de nous dire qu’aujourd'hui il existe entre 13 et 16 millions de personnes dites en difficulté avec le numérique. On voit toutes les promesses qu'on nous fait du côté de l'IA. On dit : ok, mais comment on fait en sorte pour que l'IA, notamment générative, soit une réelle opportunité pour réduire les inégalités. Comment on s'assure que demain on n’a pas 20 millions de personnes et notamment des enfants qui vont être largués avec ces nouvelles technologies.

 

On sait que les inégalités dites numériques, dans l'usage, dans la pratique, sont liées aux inégalités sociales, économiques et culturelles. Cela a été notre point de départ. Je vais revenir rapidement sur différents points qui ressortent. Le premier point c'est que le monde éducatif nous dit : la bonne nouvelle c'est qu'il y a déjà des référentiels de compétences et ce n’est pas l'IA qui vient transformer tout ça ; il y a déjà des choses qui existent.

 

On n’a pas besoin de tout réinventer, il faut sans doute les faire évoluer. Au niveau français, au niveau européen, il y a quand même des choses solides qui existent, et là où il va falloir travailler, c'est pour partager ces référentiels qu'on ait une vision commune de de ces compétences. La deuxième chose c'est qu’ on nous dit que l'enjeu aujourd'hui ce sont les compétences informationnelles et réflexives. Il a fallu faire du chemin, notamment dans le monde éducatif : il fallait sans doute passer par là pour se dire que l'enjeu ce n’est peut-être pas de maîtriser une tablette d’ordinateur mais pouvoir avoir un point de vue critique dans le monde informationnel qui est celui qu'on partage tous et notamment les enfants. Il y a des grosses inquiétudes par rapport à la désinformation pour les enfants et par rapport aux deep fake. 

 

On m'a partagé hier soir une étude de la Fondation pour l'enfance qui est parue récemment et qui dit que 52% des consommateurs de contenus pédopornographiques estiment qu’ils pourraient agir, de fait, de la consommation de ces contenus. Ce qui se passe en IA générative, c’est l’augmentation phénoménale de la production des contenus : l’étude ne reflète que les inquiétudes d'un certain nombre de personnes. Qui doit désormais développer les compétences ?

 

Un exemple en Suisse : des gens de l'Université de Lausanne, de l'École polytechnique fédérale de Lausanne, de l’université Genève ont produit plusieurs rapports qui s’appellent « D »-codages ». Cela va de 4 ans à 16 ans. En Suisse dès 4 ans, en fait, on peut commencer à parler d'algorithme à des enfants bien sûr. Un exemple,  celui du jeu de la grue, qui dit en gros, vous avez trois coupelles ; on dit à l’enfant tu vas lever ton bras, tu vas avancer ton bras tu vas baisser ton bras, tu vas prendre le cube et tu vas le déposer. C'est une suite d'instruction, c'est soi en soi un algorithme et donc petit à petit, à petite dose, on peut avancer dans la compréhension. Daniel Andler, mathématicien et philosophe français, parle du bilinguisme numérique. C'est-à-dire qu'il faut apprendre autant à se saisir de ces outils numériques que de s'en séparer, de ne pas les utiliser. Mais pour ne pas les utiliser il faut les comprendre.

Axel Jean

Sur l’objet technologique on a affaire en fait à un  pharmacon : l’agent ou IA générative en fait peut le meilleur et peut le pire. A nous d'éduquer suffisamment les élèves pour qu'ils en fassent un usage au service des humains.

 

Je te rejoins sur une IA qui sert les humains et ne surtout pas faire des humains des opérateurs d'une machine. L’impact pédagogique : zéro doute. C'est l'humain parce que l'humain apprend mieux au contact d'autres humains. Gardez en tête qu'on a un objet qui en lui-même n’a pas d'intention initiale, malheureusement. On est dans un monde où il n'y a pas que des démocraties. L’enjeu des démocraties c'est d'éduquer suffisamment nos professeurs et les élèves pour leur donner les clés de l'avenir, parce que si ça n'est pas fait à l'école, je réponds tout de suite ça ne peut pas être fait dans le cercle familial qui ne suffit pas parce que les parents sont en très grande difficulté devant des évolutions technologiques qui les dépassent.

 

Je ne dis pas que les profs ne sont pas dépassés, mais nous on peut se former, et on doit se former ce n’est pas qu'on peut c'est qu'on doit. Les industriels s’adressent en permanence à nos enfants parce que ce sont des consommateurs. Nous on exige d'avoir une surcouche de citoyens ; après ils feront des choix éclairés libres. Donc un pharmacon dont on doit se débrouiller pour tirer vers le haut avec de la culture. Eduquer c'est un long cheminement à faire ; le problème c'est qu'on est impacté sur un temps très concentré.

Du coup évidemment j'ai envie de poser la question : qu'est-ce que doivent réussir à faire les enseignants ? Et on parle de quels enseignants

On avait déjà bataillé aux États généraux du numérique pour avoir un peu plus de temps assuré de formation, de faire que ce soit un élément qui fasse même partie des concours (de recrutement) à un moment donné, parce que le nerf de la guerre cela reste les concours. On peut espérer que les maquettes de formation des enseignants suivent. Mais, en attendant, il y a quand même beaucoup d'opportunités.

 

Je pense qu'un élément qui change tout est la production de la connaissance. Auparavant on pouvait aller à l'école et aussi bien les enseignants que les élèves savent que les manuels et toutes les informations étaient de qualité. On commence à avoir beaucoup d’images qui représentent des faits historiques dans lesquelles on peut arriver à générer des éléments sur lesquels même des personnes qui ont des connaissances disciplinaires ont des doutes.

 

On est obligé d’avoir aussi cette compétence métacognitive qui est celle de comprendre comment les humains génèrent la connaissance pour que face à une image on soit capable de faire la démarche de comprendre comment cette image ou ce texte a été généré. Faire tout un travail qui auparavant n’était peut-être pas nécessaire parce que l’on pouvait avoir confiance en l'ensemble des sources qui nous arrivent.

 

Aujourd'hui on doit former à la génération des connaissances, à la démarche scientifique, à tous les processus, à considérer comment l’histoire est construite à partir des évidences historiques et qu'est-ce qui est une bonne démarche. L'état de l'art dans les différentes disciplines devient un jeu clé pas uniquement pour les enseignants parce qu'ils doivent pouvoir vérifier aussi eux-mêmes les sources, mais aussi pour les élèves au moment de produire les différents travaux et contenus.

Je retiens globalement, en tout cas, sur les enseignants du premier degré c'est assez manifeste, la peur.

Ils sont terrifiés par ce qui est en train de se passer : est-ce que la peur est mauvaise conseillère et, en tout cas qu'est-ce qu'on fait aussi des craintes légitimes qu’ils ressentent, et comment est-ce qu'on peut les aider à être plus en maîtrise.

 

Jean Cattan 

Il y a une compréhension de ce que fait le lien technique dans la société, qui nous divise à l'intérieur de nous-même, qui crée une forme d’automatisation de nos êtres.

 

Il est fondamental de comprendre que partout où il y a un lien technologique il faut redoubler par le lien social.

 

Pour moi, la question vraiment méta à se poser c'est que je suis en présence d'un outil technologique : comment je vais faire pour redoubler de lien social en présence de ce lien technologique. C'est vraiment la première chose et c'est pour ça qu'on a lancé cafe-ia. C'est pour se dire, en réalité, qu’un objet technologique va être là, et qu'on le refuse ou non, dans notre société, il sera là. A partir de ce constat comment on fait pour redoubler de lien social, comment est-ce qu'on fait pour en parler, pour se poser, pour apprendre ensemble, pour combattre nos peurs, qui peuvent être tout à fait raisonnables, en se mettant ensemble autour de la table tout simplement.

 

Accepter de se poser les questions aussi à soi, qu'on soit enseignant, manager, dirigeant, accepter cette marche d'incertitude. C’est de la discussion collective que beaucoup de réponses vont venir. Beaucoup de choix vont être opérés là où on a des technologies qui peuvent fracturer notre tissu démocratique. Notre proposition à travers cafe-ia est de redoubler par des liens de démocratie de proximité le lien technologique. Ça veut dire penser la démocratie dans la classe, penser la démocratie dans l'école, dans les entreprises, à l'échelle du téléphone, à l'échelle de l'agent conversationnel, au plus proche de nous dans notre relation intime. Mon seul encouragement finalement est de croire en notre capacité, qu'on soit enseignant ou autre, à aborder ces questions collectivement, à accepter de prendre ce temps. 

La vidéo réalisée par François Détrée

 

Dernière modification le lundi, 25 novembre 2024
Morandi Franc

Professeur émérite de l'université de Bordeaux
Cognition, modélisation des systèmes et des fonctions mobilisés par les apprentissages
Epistémologie de l'information, ingénierie et construction de connaissances
Humanités numériques
Didactique professionnelle
CNRS, UMR-5218 IMS/ISCC, Équipe RUDII (Représentations, Usages, Développement des Ingénieries de l'Information), Groupe Cognitique, Bordeaux, France.

Membre du conseil d'administration et du conseil scientifique de l'An@é