« A l’île Maurice, trois groupes humains se côtoient mais ne se rencontrent jamais…Mais l’école est un moyen de rencontre. Donc nous (La Fédération pour l’Interculturel et la Paix, FIP) essayons de faire en sorte que les écoles européennes, celles des écoles indiennes aillent visiter les écoles d’origine africaine, c’est-à-dire créoles. Nous distribuons des livres et essayons d’inciter ces enfants à échanger. »
J.MG. Le Clézio, Identité Nomade, éd. Robert Laffont, janvier 2024, p.117.
S’il est possible que les auteurs, un universitaire sociologue reconnu, François Dubet, et une élue ancienne ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Najat Vallaud-Belkacem, aient par leur renommée attiré de nombreux auditeurs, le nombre des participants souhaitant une dédicace montre tout l’intérêt suscité par la conférence.
Le ton des exposés de l’universitaire et de la femme politique fut donné par la réponse de Najat Vallaud-Belkacem à l’animateur de ce débat. Celui-ci présentant l’ouvrage comme un écrit à quatre mains, l’auteure enchaîne par « on écrit avec une main ». Le ton de la conférence était donné. Si le thème traite de l’avenir des enfants et des adolescents, il est nécessaire que la rigueur des propositions politiques et des hypothèses scientifiques sur un sujet aussi sensible soit mis en perspective, et n’évite pas un peu d’ironie à l’encontre des oppositions que décision politique et résultats d’études sociologiques suscitent.
Les conférenciers veulent convaincre le public que la mixité sociale et cognitive est positive pour l’ensemble des scolaires.
L’intérêt de ce thème est confirmé, à titre d’exemple, par la fréquentation du site Educavox de l’Association nationale des @cteurs de l’école, An@é, qui a abordé ce thème en particulier à propos du « multilinguisme » et du « métissage ».
En effet, il existe un débat contradictoire sur cette hypothèse quand la thèse inverse est soutenue en attribuant la réussite scolaire à l’homogénéité sociale et cognitive des élèves ce qui a pour conséquence le séparatisme ; elle faciliterait à la fois la construction intellectuelle des jeunes et leur promotion sociale individuelle.
Le débat entre ces deux hypothèses fait référence à un des rôles de l’école publique et de l’école privée sous contrat.
S’agit-il pour une collectivité de reconnaître les savoirs de chacun et de chacune et d’en faire le ciment d’une société politique ou s’agit-il de donner à chacun et chacune un accès à l’acquisition d’un savoir institutionnalisé pour lui permettre de réaliser un projet personnel ? Dans le second cas, la proximité sociale du jeune avec le savoir institutionnalisé est une des causes du séparatisme et de la formation d’une communauté souvent qualifiée d’élite.
Si les propos des conférenciers peuvent conduire à cette interrogation, leur volonté pragmatique les oriente vers la présentation de plusieurs exemples qui prouvent l’importance de concevoir une mixité sociale à l’école ; celle-ci évite le séparatisme au sein de la société et la création de situations dans lesquelles « les moins favorisés fuient l’établissement réputé difficile pour aller dans un collège mixte. Ils refusent d’être enfermés dans l’école d’un quartier qui les enferme déjà … ».
Dans ce compte-rendu, nous retiendrons deux exemples présentés par les auteurs pour donner la preuve qu’une mixité sociale à l’école est possible.
Le premier est historique : « l’instauration de la coéducation filles-garçon, à partir du XXe siècle, a été vilipendée par ses contempteurs en des termes qui rappellent notre débat éducatif … » Pourtant, comme l’écrit l’historien Antoine Prost, « de toutes les révolutions pédagogiques du siècle, la mixité (filles-garçons) aura été l’une des plus profondes. Elle oppose l’école de notre temps à celle de tous les siècles précédents ».
Le second concerne le retour sur les expériences lancées en 2015 en particulier à Toulouse au cours desquelles avec l’impulsion du département, « des collèges du centre-ville ont accueilli environ 1200 élèves issus de quartiers populaires, à la suite du redécoupage de la carte scolaire et de la fermeture d’un quartier particulièrement ségrégé. »
La lecture des statistiques et de l’étude sociologique complète les résultats présentés par les conférenciers : cette expérimentation née de la volonté politique de créer la mixité sociale dans des établissements a montré qu’elle améliore « la réduction des inégalités », « le bien-être et la capacité à coopérer », qu’elle est un levier pour vivre « dans un monde solidaire » et qu’elle participe à « un projet global de réduction des inégalités ».
Ces conclusions ne suffisent pas pour mettre en cause une hypothèse qui suppose que la mixité sociale serait un handicap pour les meilleurs élèves et n’aurait aucun impact sur la progression des élèves qui, issus des quartiers ségrégés, ne possèdent pas les codes sociaux nécessaires à la réussite scolaire.
Les conférenciers insistent sur le fait qu’au cours de cette expérience la mixité n’a pas fait baisser le niveau des meilleurs élèves ou des plus favorisés et que le niveau moyen des élèves a évolué positivement ce qui s’est traduit, pour les élèves les plus faibles, par une émulation et un effet d’exigence et d’entraînement liés à la plus grande diversité des camarades fréquentés .
Si ces résultats académiques peuvent expliquer que les parents ne sont pas allés chercher d’autres établissements publics, privés sous contrat ou privés pour leurs enfants, ils ne prennent pas en compte les bénéfices extra académiques que les enquêtes ont mis en évidence : elle renforce la confiance des enfants dans leurs propres capacités, elle enrichit les relations sociales et amicales, elle modifie positivement la perception de l’équipe pédagogique et accroît la capacité des élèves à coopérer …
La scolarité devient une culture de la mixité en plus de la transmission des connaissances, elle est un espace de la rencontre de tous et de toutes, base de la démocratie.
Comme les conférenciers s’en font l’écho, ils poursuivent une action et une réflexion qui a alimenté des expérimentations qui, depuis la création du « Collège unique » en 1975, ont renouvelé à plusieurs moments l’espoir en une école qui souhaite en finir avec le séparatisme.
En 1977, des études linguistiques, produites dans une collaboration entre l’EPHE et l’IPN, mettent en évidence que les processus de verbalisation des élèves, quand ils représentent une mixité sociale, sont plus riches que le modèle de la rédaction traditionnelle.
En 1984, un rapport de l’inspection générale « La rénovation des collèges », suite au défi de l’hétérogénéité conséquence du collège unique, propose des méthodes pédagogiques qui adaptent la pédagogie à l’enfant et aux adolescents.es.
Le rappel de ces deux expérimentations montre qu’avant qu’émerge l’hypothèse « d’une culture de la mixité », les études sur l’hétérogénéité des élèves produisent deux hypothèses.
Pour l’une, la confrontation des verbalisations sur un même thème démontre la richesse des processus que les enfants échangent, loin du modèle unique de la « rédaction ».
Pour l’autre, la solution apportée à l’hétérogénéité, que les élèves représentent, « tend, sous des formes diverses, à promouvoir une pédagogie différenciée » dont « le concept d’individualisation »semble être la forme la plus aboutie. Ce concept de l’individualisation suivant la doctrine de référence décline des pratiques différentes. La philosophie humaniste conduit à la pédagogie personnalisée, l’approche psychosociale au tutorat, le behaviorisme à l’enseignement programmé qui a précédé les offres des sites de la société numérique destinés au public scolaire.
Ces différentes propositions tentent de rendre acceptable la création du « collège unique » qui réunit un public scolaire aux critères scolaires hétérogènes dans un même établissement en fonction de la carte scolaire. Dans un cas l’hétérogénéité permet une dynamique pédagogique dont le collectif est un élément fondamental, dans l’autre elle nécessite d’adapter une approche pédagogique pour chaque individu ou chaque groupe homogène.
Les résultats des enquêtes citées dans Le ghetto scolaire, pour en finir avec le séparatisme montrent que « le collège unique » n’a pas atteint sa finalité qui était un début de la reconnaissance de l’hétérogénéité du public scolaire comme ressource pour l’évolution de l’enseignement en prenant en compte la multiplicité des approches possibles dans un échange collectif ; la carte scolaire a reproduit les mécanismes de peuplement qui « regroupent les plus pauvres et les immigrés dans les mêmes quartiers qui deviennent des enclaves subies par leurs habitants mis à l’écart et qui se sentent discriminés ou exclus ».
L’établissement scolaire est alors fréquenté par une population homogène, la mixité sociale n’existe pas.
François Dubet et Najat Vallaud-Belkacem produisent des preuves et ils proposent les orientations d’une politique publique.
Elle a pour objectifs de rassembler chercheurs, responsables administratifs et élus locaux, d’associer les parents d’élèves pour concevoir et mettre en œuvre des politiques publiques et d’en mesurer leurs effets pour développer une culture de la preuve et de la recherche de l’efficacité.
Elle nécessite un temps long pour que la conception de « la mixité scolaire » soit crédible. Cette finalité nécessite que la production des preuves installe un climat de confiance et que l’ensemble des acteurs soit concerné, des « habitants des quartiers défavorisés » aux instances institutionnelles et associatives.
Il donc nécessaire que les expérimentations se fassent sur un temps long qui offre une liberté de formation et un rôle d’acteurs aux personnels de l’Éducation Nationale pour qu’ils aient l’esprit militant et créatif des pionniers nécessaire à la réalisation du projet de « mixité sociale ».
Cette conférence à deux voix, suivie de la lecture de l’ouvrage est un message d’espoir pour l’avenir du « Collège démocratique ».
De ce message d’espoir, nous retiendrons deux résultats parmi d’autres : « L’évaluation des expérimentations lancés en 2016 a permis qu’au-delà des bénéfices académiques, la mixité sociale à l’école renforce la confiance des élèves dans leurs propres capacités, notamment celle d’influer sur leur destin, grâce à leurs efforts … » et « En bref, la mixité bénéficie aux élèves les plus fragiles, sans tirer les autres vers le bas. Magnifique leçon, source de fierté, mais aussi d’encouragement pour l’avenir ».
Pr. Alain Jeannel.
François Dubet et Najat Vallaud Belkacem à la librairie Mollat - Le ghetto scolaire : pour en finir avec le séparatisme
Dernière modification le lundi, 22 avril 2024