Le déclin du pouvoir
Le principe du tout pouvoir au conseil de classe s’est donc dégradé. C’est le constat que l’on peut faire en observant l’évolution des procédures d’orientation depuis 1959. J’ai décrit le rôle des conseillers qui s’était mis en place à l’époque. Mais avec les nouvelles procédures d’orientation le rôle et la position des conseillers vont se trouver modifiés.
L’orientation devient un choix, en tout cas c’est ce que le ministère voudrait. Mais qui dit choix, dit information sur ce qui est à choisir. Les conseillers vont devenir des informateurs non plus à propos des élèves auprès des enseignants par le biais des tests qui vont disparaitre comme pratique collective systématique au début des années 80, mais des informateurs auprès des élèves et des parents sur les formations, les métiers, les professions. Donc informateurs sur le système scolaire, le conseiller devient un meilleur connaisseur du système que l’enseignant !
Plus grave, le conseiller va informer sur les droits des élèves et des parents, car ils ont des droits désormais, et le rôle des conseillers a sans doute été majeur dans l’application des différentes évolutions des procédures. Mais dans ce jeu, certains n’ont pu ou n’ont voulu prendre des risques. Le ministère lui-même n’a pas toujours recherché l’application de ses directives. Je raconte un épisode personnel dans ce billet : La suppression en 1982 du BEP comme orientation après la seconde.
Le triangle
Le conseiller sera également un intermédiaire entre l’élève parfois sa famille (il n’y a pas toujours accord), et l’établissement. Souvent il se trouve dans une position de messager : il transmet les désirs des parents ou de l’élève, mais aussi il les alerte sur la décision que va prendre le conseil de classe. Parfois on lui demande explicitement de « voir » l’élève ! Ah la magie du « voir » ! Il suffit de… et l’on est débarrassé du problème. Le conseiller pense d’ailleurs lui-même qu’il s’y prendra mieux que le professeur principal pour faire comprendre, faire accepter.
Du coup les conseillers, et souvent chacun d’entre-eux vont osciller entre trois postures, celle de l’avocat, défenseur des élèves et des familles, de l’orienteur, celui qui sait mieux que les autres ce qui est bon, ce qui est plus sûr pour l’élève, ou encore du médiateur, celui qui va permettre la paix dans le conflit d’orientation.
Un triangle s’installe : avocat, orienteur, médiateur. Il brouille les représentations de tous les acteurs. Qui ai-je en face de moi ? Comment l’autre va-t-il me percevoir ? Cette incertitude trouble les relations professionnelles.
Il faut se rappeler également que les conditions d’intervention dans l’établissement sont toujours à négocier avec le chef d’établissement et parfois les enseignants. Une position considérée comme trop critique lui fermera les portes de l’établissement. Lors de ma première année d’auxiliaire conseiller d’orientation en 1978, je remplaçais une collègue qui avait été retirée du collège par le directeur de CIO parce que le chef d’établissement lui interdisait de participer au conseil de classe !
Des pratiques individualisée
Du côté des pratiques, on peut également observer une évolution. Le testing systématique des élèves en classe était l’armature des pratiques. Il fut associé rapidement aux questionnaires de motivation, et toutes les informations ainsi produites et recueillies y compris dans les entretiens convergeaient vers le dossier individuel, enregistré et géré administrativement par le CIO et son secrétariat. Avec la réforme de 1973, on ajoute les séances d’information en classe. Ainsi une grande part de l’activité du conseiller est visible pour les enseignants.
Mais au début des années 80, après une période de critique des tests, les épreuves systématiques sont peu à peu abandonnées. Le débat sur quelle psychologie, la psychologie de la mesure ou celle de la relation (pour dire vite) opte pour celle de la relation. Puis c’est la revendication du titre de psychologue. Du coup on assiste à un retrait des interventions dans la classe (pratique collective et visible) pour un investissement du bureau et de l’entretien individuel (relation individuelle et protégée).
Rajoutons qu’à partir des années 80, le projet d’établissement se développe. A l’individualisation des établissements répond celle des modalités d’intervention des conseillers achevant l’éclatement de la standardisation des pratiques de ceux-ci. L’adaptation des pratiques aux caractéristiques des établissements était nécessaire, mais cela à contribuer à flouter l’image des conseillers.
Sur ce point, voir l’article rédigé avec Jacques Vauloup : Déflouter le travail des professionnels de l’orientation.
Bernard Desclaux
Article publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/10/23/questionner-lhistoire-de-lorientation-et-des-conseillers-en-france-v-des-procedures-dorientation-et-des-roles-professionnels/