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Il peut paraître curieux de ne pas avoir parlé de ce livre avant Noël. C’est en fait un choix réfléchi. Dans la frénésie de cadeaux qui entoure les enfants en cette période, Ada et Zangemann risquait de passer inaperçu. Plutôt qu’une petite place au pied du sapin, il méritait d’être rangé parmi les bonnes résolutions de l’année. Car Ada et Zangemann n’est pas qu’un conte à propos de logiciels, skateboards et glace à la framboise : il ouvre en effet la porte de l’univers du logiciel libre, de l’open source, du hacking et du Do It Yourself en racontant des histoires.

Tel est le défi relevé par l’auteur, Matthias Kirschner, président de la FSFE (Free Software Foundation Europe), et l’illustratrice, Sandra Brandstätter, salué notamment par deux grands noms de la culture libre : l’auteur Cory Doctorow et le professeur Lawrence Lessig, créateur des licences Creative Commons.

« Un récit enthousiasmant sur l’autonomie, la communauté et la lutte contre les brutes. » Cory Doctorow

« J’aime ce livre et j’aime qu’il puisse être partagé, traduit et adapté facilement parce qu’il est lié à une licence Creative Commons (BY-SA). » Lawrence Lessig, professeur à la Harvard Law School

Zangemann est un innovateur, un génie, une sorte de Mark Zuckerberg ou d’Elon Musk, un passionné, ayant cependant peu à peu oublié ce qui animait sa passion (comme les deux précédents). Zangemann rythme la vie des gens grâce à ses outils et gadgets électroniques. De sauveur, il devient peu à peu dictateur, ne laissant aux utilisateurs de ses dispositifs que les usages qu’il a autorisés. Un fort semblant de déjà vu pour qui scrute le paysage numérique actuel…

Zangemann a tout pour réussir mais c’est sans compter sur Ada, une petite fille dont le prénom est inspiré par Ada Lovelace, première personne à avoir développé un algorithme.

C’était au XIXème siècle. À ce sujet, je ne parle plus d’Ada comme de la première « programmeuse » de l’histoire de l’informatique car un vague sexisme ambiant peut laisser entendre qu’elle n’est que la première femme à avoir programmé après que des hommes s’y soient essayés. Que nenni ! Ada Lovelace (1815-1852) est à l’origine du tout premier programme, développé à l’époque en se basant sur la machine analytique de Charles Babbage (1791-1871). Pour plus d’informations, je vous invite à vous reporter à l’excellente conférence (en anglais) de Steven Goodwin lors du FOSDEM 2021 qui s’était déroulée en ligne à cause de la pandémie.

Mais revenons à la jeune Ada du conte.

Celle-ci va s’ingénier à contourner les règles édictées par Zangemann pour redonner la liberté aux usagers en entraînant ses amis dans une quête technologique où l’on retrouve l’esprit hacker « contourner pour augmenter ». Je n’en dis pas plus pour ne pas trop dévoiler du livre, hormis le petit résumé ci-dessous issu directement du site du livre :

Zangemann est un inventeur mondialement connu et immensément riche. Enfants et adultes adorent ses fabuleuses inventions. Mais soudain, gros problème : les skateboards électroniques des enfants buggent et les glaces ont toutes le même parfum. Que se passe-t-il ?

Ada, jeune fille curieuse, va découvrir comment Zangemann contrôle ses produits depuis son ordinateur en or. Avec ses amis, elle va bricoler des objets informatisés qui échappent aux décisions de Zangemann.

 

J’ai eu le plaisir de le lire en quasi avant-première en français et ce conte m’a fait fortement pensé au livre Madame Brisby et le Secret de Nihm de Robert C. O’Brien, où une communauté de rats vient en aide à Madame Brisby, une souris, et ses enfants. Celle-ci va peu à peu découvrir le passé de son mari, malheureusement décédé, échappé d’un laboratoire où il a acquis des capacités sur-ratiennes.

L’ouvrage m’avait fortement impressionné à l’époque et je pense qu’il a du largement influencer mes passions et ma vie.

Pour l’anecdote, la rencontre avec ce dernier a été assez curieuse. C’est mon père qui m’a emmené pour la première fois à la bibliothèque de ma ville vers l’âge de 7-8 ans. J’y ai pris un abonnement et, comme mon père était le trésorier de la ville en question, j’ai eu droit de la part d’une bibliothécaire à une visite « VIP ». Veinard, me dira-t-on ? En fait, non car en sus de la visite celle-ci m’a fait une sélection de classiques de la littérature jeunesse. Je me souviens des Contes de la Rue Broca dont j’ai lu 3 lignes avant de le refermer, de la bande-dessinée TomTom et Nana que je n’ai jamais apprécié, enfin d’un dernier ouvrage dont j’ai oublié le nom mais pas la couverture. Si quelqu’un se souvient d’un livre pour enfants datant du milieu des années 80 et représentant un enfant avec une tête de monstre, je suis preneur. Merci ! Je n’ai donc pratiquement pas touché à ces ouvrages et, lorsque nous sommes revenus une semaine plus tard, je me suis rapidement éclipsé pour échapper à la bibliothécaire, malgré son envie de bien faire.

C’est en fouillant au hasard des rayonnages que j’ai rencontré Madame Brisby et le Secret de NIHM. Une communauté de rats, adeptes de la bidouille, passionnés par la technologie et l’utilisant pour le bien de tous, fonctionnant suivant des règles proches de l’anarchie (au sens véritable du terme) : il n’en fallait pas plus pour que ce soit le coup de foudre. On n’y parlait pas encore d’ordinateur mais l’atmosphère était proche de la philosophie hacker que je découvrirais bien plus tard.

(Digression : oubliez complétement le dessin animé sorti en 1982. Il trahit totalement l’esprit du livre pour retomber dans une simplissime histoire avec de la magie venue d’on ne sait où et un traditionnel méchant sans rapport avec l’histoire initiale. D’ailleurs, le personnage choisi pour ce rôle existe bel et bien mais a un rôle bien plus complexe et plus subtil que dans le dessin animé.)

Ada et Zangemann est donc une pépite, un de ces ouvrages quasi-initiatiques, qui peut susciter des vocations et, à ce titre, je pense qu’il constitue un cadeau pas comme les autres.

Un cadeau qui ne s’offre pas seul mais s’accompagne d’une invitation à visiter un hackerspace, un fablab, à participer à un atelier pour commencer à mettre la main à la pâte et à regarder d’un autre oeil les jouets reçus à Noël, des jouets à bidouiller, analyser, réparer, augmenter…

Je me souviens ainsi d’un enfant tout fier lors d’un atelier d’avoir pu réparer un jouet électronique, un petit clavier musical, que ses parents allaient jeter. Ce n’était pas l’objet de l’atelier mais il me l’avait amené pour que l’on puisse regarder ensemble. Je lui ai donné les outils pour l’ouvrir et, une fois la « bête » désossée, nous avons constaté qu’un simple câble s’était déssoudé. Il a testé avec un câble crocodile : tout fonctionnait à merveille et une petite soudure a permis de réparer le jouet. Qui plus est, nous avons pu faire un peu de toy bending et ainsi apporter des fonctions et sons supplémentaires au jouet. Je pense qu’il aurait été heureux à l’époque de lire Ada et Zangemann et s’y serait peut-être reconnu.

Vous trouverez un extrait illusté du livre à cette adresse : https://cfeditions.com/ada/ressources/Ada_Specimen.pdf

Et pour plus d’informations et commander le livre : https://cfeditions.com/ada/

(Initialement publié sur Upcycle Commons)

Dernière modification le dimanche, 28 janvier 2024
Cauche Jean-François

Docteur en Histoire Médiévale et Sciences de l’Information. Consultant-formateur-animateur en usages innovants. Membre du Conseil d'Administration de l'An@é.