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L’évènement « air » et la mission éthique de la CNIL. La loi pour une République numérique a confié à la CNIL la mission de conduire une réflexion sur les enjeux éthiques et les questions de société soulevée par l’évolution des technologies numériques.

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En réponse, la CNIL propose chaque année un évènement thématique ancré dans le paysage de l’innovation et dénommé « air » comme avenir, innovations, révolutions.

Table ronde de 16 h 00 : « Les apports des Edtech à l’éducation : réalités et prospective »

Participants :

Béatrice PIRON, Députée des Yvelines, membre de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation, membre du groupe d’étude sur l’illettrisme et l’illectronisme.

Anne-Charlotte MONNERET, Déléguée générale de l’association EdTech France.

Jean-Yves HEPP, Président et fondateur de la société Unowhy (tablettes, SQOOL TV, incubateur Edtech).

Modérateur : Georges-Etienne FAURE, Directeur du programme numérique,

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Georges-Etienne FAURE (GEF), Directeur du programme numérique, Secrétariat général pour l'investissement lance le débat :

Edouard Geffray parlait de « grand continent du numérique éducatif » :  cette table ronde vise à cartographier, ou tout au moins à explorer ce grand continent avec nos trois experts.

Tout d’abord, Anne-Charlotte Monneret, vous regroupez 450 entreprises spécialistes du secteur ; vous avez une vue panoramique sur ce grand continent. Est-ce que vous pouvez nous dresser un petit panorama d ce secteur, en particulier sur les logiciels d’apprentissage, et nous donner des chiffres clés ?

Anne-Charlotte MONNERET, Déléguée générale Edtech France

Avant de donner quelques chiffres je tiens à revenir sur deux points sur la monétisation des données.

Moins de 2 % des entreprise françaises monétisent leurs données de l’éducation. Mais la plupart des entreprises se trouvent néanmoins dans l’obligation de signer des contrats pour survivre : de vrais contrats avec du vrai argent.

Le chiffre d’affaires généré par ces presque 500 entreprises du secteur est d’environ 1 milliard d’euros, porté à plus de 70% par les acteurs de la formation professionnelle. 

Ces entreprises créent 10 000 emplois sur le territoire français. On assiste à une création record depuis le Covid, pratiquement une centaine d’entreprises ont été créées depuis deux ans pour filière Edtech, dont la moitié ces cinq dernières années. La plupart ont des modèles d’affaires en « B to B » (Businees to Business). Elles concentrent sur la vente aux organismes de formation et les établissements d’enseignement supérieur.

Pour celles qui ont affaire aux établissements scolaires elles travaillent avec les collectivités. Si on se concentre sur les levées de fonds, l’année 2021 est une année record, près de 500 millions d’euros ont été levés par ces entreprises. Mais la réalité est que 60 % ont un chiffre d’affaires qui avoisine les 500 000 euros et trouve difficilement du financement en amorçage, sont donc dans l’obligation de trouver des contrats. Une Edtech sur deux depuis sa création a bénéficié en France de subventions publiques (PIA, PICS). Cela montre la capacité du privé et du public de travailler ensemble, mais cela montre aussi que le financement en direct auprès des établissements reste complexe.

Béatrice PIRON, Députée des Yvelines, membre de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation, membre du groupe d’étude sur l’illettrisme et l’illectronisme

GEF : Aujourd’hui, pour vous, quels en sont les usages et quels sont les freins au développement du numérique en classe ?

BP : Je ne me considère pas tout à fait comme experte des Edtech. Je suis parlementaire depuis 5 ans, à la commission des affaires culturelles et contribués aux missions sur le numérique éducatif. Je n’étais ni enseignante, ni dans les Edtech, mais ingénieur en informatique.

Ce qui a beaucoup changé, ce qui a été déjà dit, est que la crise sanitaire a fait faire un pas énorme au numérique éducatif. Je remercie tous les enseignants qui n’étaient pas forcément tous bien préparés ou équipés ou outillés, et qui ont beaucoup donné de leurs personnes. Mais le résultat est là : il n’y a pas un enseignant qui peut nier ou refuser d’intégrer le numérique dans sa palette d’outils éducatifs. Ceci a été très positif. Un pas un peu contraint et forcé mais une avancée.

Différentes formations ont été proposées avec des technologies et des méthodologies différentes selon niveaux et les départements, même si tous les enseignants ne sont pas encore passés à la formation. En formation initiale on a adapté très rapidement les programmes. Beaucoup de professeurs ont eu une formation initiale qui n’intégrait pas encore le numérique : il y a encore un gros effort à faire sur la formation continue

Il y a des expérimentations très positives.

Dans mon département il y a des BINS (Brigades d’Intervention du Numérique) qui permettent de former en même temps tous les enseignants d’une même école ; et en même temps que les enseignants partent en formation, ils prennent les élèves aussi pour initier les élèves. On a vu aussi des territoires numériques éducatifs, des TNE. On fait des grands pas en avant ; on en tirera les conclusions dans quelques temps.

Depuis que je suis sur ce sujet j’ai été un petit peu étonnée de la multiplicité des acteurs dans tout ce qui est financement du numérique éducatif.

Il y a les régions, il y a les départements, les communes, l’éducation nationale. Il y a des acteurs différents qui ne se parlent pas toujours entre eux. Le seul point commun c’est parfois l’élève. Il est à un seul endroit, mais par contre les familles doivent coordonner à leur domicile une politique numérique qui peut être différente dans sa commune, son département, dans son lycée, lorsque on a des enfants sur plusieurs niveaux scolaires.

Les parlementaires lors des états généraux avaient proposé d’avoir un environnement numérique de travail unique et unifié. On n’y est pas encore. Les identifiants uniques vont peut-être arrivés et représentent un petit module Aujourd’hui il s’agit de promouvoir les Edtech, mais du côté des familles et de la simplification d’usage un certain regroupement peut être utile aussi.

On a vu PIX aussi : pas loin de 4500 0000 élèves ont passé PIX l’année dernière. On a encore des points difficiles : j’ai parlé de la formation, de l’ENT qui n’est pas national, du flou du financement. Le risque des données est à prendre en compte, mais c’est infime par rapport à tout ce que le numérique peut apporter aux élèves et aux enseignants notamment sur l’individualisation des cours surtout à l’école élémentaire. Pour les classes multiniveaux, il est bien plus simple d’organiser des groupes de travail indépendants dans la classe, chacun ayant son outil et peut suivre le programme de sa journée. L’individuation peut être intéressante pour une école inclusive, pour des élèves qui ont besoin d’outils particuliers.

GEF : on a bien noté les limitations que vous évoquez, l’espèce de balkanisation des systèmes et des organisations et le mille-feuille administratif.

C’est peut-être votre expérience Jean-Yves HEPP.

Première question à un entrepreneur français ; pouvez jouer à armes égales avec pour concurrents les géants de l’Edtech ; comment vous faites pour réussir ?

Jean-Yves HEPP, Président et fondateur de la société Unowhy

Quelques mots d’abord On s’est donné comme mission de réenchanter l’école pour redonner l’envie d’école. On a lancé le projet www.sqooltv.com, il y a 10 ans.

J’insiste sur la particularité française qui est la co-construction, la capacité de faire travailler ensemble le privé et le public.

SQOOL aujourd’hui c’est quoi ? C’est un écosystème incluant des tablettes, des ordinateurs portables, des logiciels qui vont permettre de gérer avant, pendant et après la classe, un catalogue de contenus et d’applications avec 300 partenaires. On est adhérent d’Edtech France et on essaie de mobiliser tous les partenaires d’Edtech France pour qu’ils accèdent aux enfants et aux enseignants ; et enfin un cloud souverain pour héberger les données en France (non répliquées aux Etats-Unis). C’est un sujet fondamental. La question est plutôt a-t-on la capacité de livrer une prestation de qualité lorsque les géants américains ou chinois ont forgé les modèles numériques éducatifs.

Aujourd’hui Unowhy propose des solutions utilisées par plus d’un 1 million d’élèves et plus de 100 000 enseignants. 27 % de part de marché attribué font de Unowhy la première Edtech de France.

On aime la compétition, car cela nous oblige à toujours chercher l’excellence. Pour faire face à ces géants on construit non pas des produits grand public mais des produits qui ont été construits essentiellement et exclusivement pour l’éducation, avec les profs et les élèves, et pour eux. A l’époque où l’on sait parfaitement que les géants de l’EDtech (les GAFA) cherchent à rentrer dans l’éducation pour recruter leurs futurs consommateurs, on n’a rien à vendre chez Darty ou Boulanger, ou après l’école. On ne s’occupe que de l’école ; on ne va pas chercher de futurs consommateurs.

La difficulté pour moi ne vient pas tant de la taille des géants mais plutôt de l’engagement de la France et de l’Europe dans une véritable politique pro-européenne du numérique éducatif, respectueuse de nos valeurs, et notamment de la liberté pédagogique qui est si chère aux enseignants. Je ne reviendrai pas sur les modèles américains de sélection des contenus : je ne suis pas sûr que Proust existerait dans un Kindle tant les phrases sont longues et les contenus pourraient être censurés. On va au contraire simplifier le travail des enseignants dans l’utilisation de ces contenus.

Ce dont on souffre le plus c’est peut-être de porter éternellement le poids du plan Informatique pour tous des années 80, le TO7 et le MO5 pour ceux qui s’en souviennent, la France est un peu dans cette logique d’autoflagellation. On ne sait pas faire, c’est un travail d’américains ou de chinois que de produire du numérique et du numérique à grand échelle. La vraie question à se poser est qu’est-ce que veulent les pouvoirs publics quand les collectivités rédigent des appels d’offre réservés aux GAFA, C’est plutôt cela mon souci.

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DEBATS ET QUESTIONS A RETROUVER :

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Dernière modification le dimanche, 12 février 2023
Morandi Franc

Professeur émérite de l'université de Bordeaux
Cognition, modélisation des systèmes et des fonctions mobilisés par les apprentissages
Epistémologie de l'information, ingénierie et construction de connaissances
Humanités numériques
Didactique professionnelle
CNRS, UMR-5218 IMS/ISCC, Équipe RUDII (Représentations, Usages, Développement des Ingénieries de l'Information), Groupe Cognitique, Bordeaux, France.

Membre du conseil d'administration et du conseil scientifique de l'An@é