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A l’Université Numérique d’Automne de Dijon : le monde change… et la pédagogie aussi.

Apprendre et enseigner avec le numérique, de la maternelle à l’université.

L’UNA, salon des éditeurs et du numérique éducatif, était organisé le 10 octobre au Palais des Congrès de Dijon par les DANE et les ateliers CANOPÉ des académies de Dijon et de Besançon pour offrir en une seule journée un concentré de réflexions, de démonstrations et de publications permettant de fouiller l’univers foisonnant de la pédagogie via le numérique en 2018.

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Avec 2700 visiteurs, c’est une foule nombreuse d’enseignants, de professeurs en formation à l’Espé, d’étudiants, de curieux qui se pressait pour assister aux deux grandes conférences, aux 30 ateliers animés par des pédagogues présentant des activités via le numérique (pratiques actives, création de vidéos, robotique, dessin, jeu vidéo, scénarios pédagogiques, réseaux WiFi privés, création de livres numériques, parcours culturels…), aux 10 ateliers animés par les partenaires (30 partenaires institutionnels), éditeurs et entrepreneurs. Un franc succès.

De l’effervescence innovante qui s’exprimait, nous retiendrons quelques éléments.

Une plateforme Moodle : pour quoi faire ?

 

Deux ateliers proposaient d’explorer cette plateforme académique d’e-learning installée à Dijon et Besançon. Un outil très prometteur.

Laurent Deschamps : " Différenciation pédagogique en utilisant une plate-forme d'e-learning ".

Ahmed Elkhaldi : " Utiliser la plateforme Moodle pour créer des parcours différenciés. "

Moodle est une plateforme multi-services dont l’usage permet de répondre à tous les besoins du e-learning : aussi bien en classe inversée, qu’en parcours différenciés, en offre d’évaluation par compétences, d’accès aux ressources etc.

En effet, dans Moodle, il est possible de créer des parcours de formation grâce à l’espace « Mes cours » qui gère différentes sections par cours et au sein d'un cours. Des tutoriels sont à disposition des enseignants, ainsi que des répertoires d'outils numériques.

La plateforme offre aussi un espace permettant de déposer des ressources : liens, vidéos, textes etc. A partir de ces ressources, peuvent être créées des activités que les élèves chargent, complètent puis déposent sur la plateforme une fois le travail effectué. Ils peuvent aussi écrire le texte directement en ligne.

L’interaction entre utilisateurs est privilégiée pour des activités communes qui sont proposées dans l’espace atelier collaboratif où les élèves peuvent travailler ensemble et se corriger entre eux.

Moodle apparaît aussi comme « le couteau suisse de l'évaluation ». Sur la base des référentiels de compétences construits par les professeurs, l’activité « Test » offre différents types d'exercices : test de positionnement avant différenciation pédagogique, sondages d’évaluation ou d’auto évaluation. Un ensemble complet de parcours différenciés peut ainsi être offert aux élèves ou étudiants en formation.

La plateforme Moodle, mise en place pour palier les lacunes de l'ENT, n'est encore utilisée que par une dizaine d'enseignants avec leurs classes. On peut lire un retour d'expérience en collège sur le site de la DANE : http://dane.ac-dijon.fr/2018/04/02/utilisation-de-moodle-au-college/ …

Le numérique méritait bien aussi le regard essentiellement social (enfin !!) que nous livraient deux chercheurs et acteurs du numérique éducatif au cours de deux conférences particulièrement bien choisies par les organisateurs.

Pour Jean-Francois Ceci : bien comprendre, pour les dépasser " Les défis de l'école à l'ère du Numérique ".

 

Analysant les résultats d’une enquête portant sur la sociologie du numérique dans le système scolaire à Pau ("Sociologie du numérique dans le système scolaire palois" enquête 2016-2017, dans deux collèges, deux lycées et l’UPPA), plusieurs constats apparaissent.

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Le numérique marque une étape importante dans l’histoire du système éducatif français en 2005, moment où il est mis définitivement au service de l’apprentissage des élèves, une intention institutionnalisée avec la création de la Direction du Numérique pour l’Education en 2014.

Il existe un important hiatus entre les pratiques des jeunes et celles de l’école.

Une contradiction majeure apparaît : le jeune est " écranovore ". Il passe 5h30 par jour en moyenne devant un écran (6h40 aux USA), soit l’équivalent de deux années scolaires durant toute la scolarité. Et puisque les loisirs sont aussi très numériques, surtout en lycée, 62% ont la sensation d'apprendre beaucoup avec le numérique.  Mais l'école utilise peu les écrans pour faire apprendre. Lorsqu’elle le fait, trop rarement, ce n’est pas pour mettre en avant ce que les jeunes préfèrent : création, interaction, jeu qui demeurent les parents pauvres des pratiques numériques scolaires. Et de ce fait les supports pédagogiques sont peu numériques : seulement 17% disposent de manuels scolaire numériques en lycée, mais jusqu’à 50% en collège.

On fait rarement des devoirs sur support numérique : jamais au lycée, peu au collège, parfois à l'université.

Le numérique n’est pas non plus un outil de dialogue pédagogique : le tutorat numérique est faible et peu efficace : en collège on communique rarement des consignes par numérique, jamais à l’université.

Du côté des professeurs, le constat n’est guère plus encourageant : l’accompagnement au développement professionnel est faible et peu utilisé. Moins de la moitié des enseignants déclarent avoir des formations pédagogiques disponibles qui représentent en moyenne deux formations reçues en cinq ans.

Les numérique pose des problèmes non résolus : les équipements sont désuets, les élèves peu équipés (le BYOD est possible cependant). Les professeurs disent manquer de temps et de pédagogie : ils avouent ne pas savoir ce que l’on peut en faire. Ils ont enfin l’impression que le numérique apporte peu aux élèves dans leur discipline.

" Nous devons faire de nos étudiants des entrepreneurs de leur potentiel ".

Face à ces constats, on s’interroge sur le rôle que pourra jouer l'école dans la formation de l'élève à la citoyenneté numérique de demain. Qui le fera sinon l’école?

Si le numérique est parfois remis en question par le manque de maîtrise et l’indisponibilité des outils, il l’est aussi par la contradiction d'études scientifiques sur le sujet qui se partagent entre sceptiques et optimistes.

Et pourtant, le numérique est un amplificateur pédagogique : il permet de donner plus de puissance aux messages, aux activités, à la conceptualisation mais il est aussi un moyen d’amplifier l'interaction.

La Pédagogie 2.0 est une pédagogie active, dont les scénarios sont amplifiés par le numérique : elle introduit aussi une indispensable culture numérique à l’école.

Bertrand Formet : "Le numérique aujourd'hui, usages sociétaux et usages pédagogiques".  

 

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Dans cette deuxième conférence, Bertrand Formet, professeur des écoles et directeur de l’atelier Canopé 25 livrait une analyse de la transformation sociale et de ses incidences pédagogiques à l’heure numérique. 

Au cœur de la quatrième révolution industrielle, le numérique est au centre de l’Anthropocène, la nouvelle ère géologique.

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Nous sommes au cœur d’un foisonnement de données générées sur Internet. L’étude de Statista pointe par exemple qu’en 60 secondes sur Internet, 156 M de courriels sont envoyés, 3,8 M de requêtes sont faites sur Google, 400 heures de vidéo sont téléchargées sur Youtube etc.

Et selon l’Arcep, en 2018, 88% des français sont connectés et 100% des jeunes de 13/29 ans. Le terminal le plus utilisé pour surfer sur le Net est désormais le Smartphone avant l’ordinateur ou la tablette : les usages mobiles sont devenus majoritaires. Certain élèves ne savent pas ce qu’est un ordinateur, car ils n'en ont  pas à la maison : sur tablette ou Smartphone, ils ne connaissent pas le double clic !

Les réseaux sociaux sont multiples et animés par des influenceurs, la fonction sociale de ces outils est omniprésente (y compris sur Youtube via les commentaires) : vie privée et vie publique se mêlent, aussi à travers les milliards d’objets connectés (50 milliards en 2020) qui relient l’activité humaine aux réseaux.

Le numérique est désormais mobile, local et localisé, il tient compte de notre situation, en se basant sur les données que nous laissons derrière nous. Social, mobile, local, data, ces quatre mots résument le numérique aujourd'hui.

Dans le domaine de l’emploi aussi, la transformation est en marche : en 2025, 75 millions d'emplois auront été supprimés et 133 millions d'emplois nouveaux créés. Par exemple, un nouveau métier "Comunity manager" a vu le jour. Selon une étude du Forum Economique Mondial, via l’automatisation les anciennes compétences telles que la dextérité, les capacités manuelles et visuelles ne seront plus requises pour faire place à la créativité, l’innovation, la réflexion et la programmation qui seront les nouvelles qualités recherchées (Compétences clés du 21ème siècle).  

La notion d'identité numérique fait partie aujourd'hui de notre identité. Elle comprend notre réputation, nos expressions, notre audience (qui je connais), nos opinions, nos connaissances, nos hobbies, nos publications, nos achats, nos coordonnées, nos avatars, profession, métier et où je travaille… Ce que je partage, ce que j’aime, les « like », les « cœurs », les commentaires que je laisse sur les sites disent des choses sur moi.

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Mais l'identité numérique est la plupart du temps subie (Voir à ce propos les photos et écrits de Louise Merzeau). Elle nous interroge sur les données personnelles liées à l'identité numérique : il convient d’éduquer les jeunes au dépôt de traces, de s’interroger sur une identité façonnée par les autres et sur le droit à l'oubli.

Aujourd’hui notre société et l’économie dépendent des données gérées par des Data Centers énergivores (ventilation). Tous les échanges économiques passent désormais par le numérique. Le Règlement Général pour la Protection des Données est une réponse citoyenne, mais les données continuent à se vendre très cher, au point que certains sites ont été monnayés pour des milliards en raison des données qu’ils possèdent.

Dans ces conditions il est indispensable d’avoir une culture numérique commune avec nos élèves.

Malgré la publication récente de plusieurs rapports "Un plan pour co-construire une société apprenante" (F. Taddéi 2018), « Le numérique au service de l'école de la confiance » DNE 2018, « Repenser la forme scolaire à l'heure du numérique » (Becchetti Bizot 2017), on constate encore et toujours un énorme déficit dans le monde scolaire, un énorme besoin d'information et de formation des professeurs.

Il faut à l’école un environnement favorable dans la classe en intégrant la mobilité des élèves avec les tablettes ou leurs équipements personnels. Compte tenu de la vitesse des développements technologiques, l’appareil apporté par l’élève sera toujours plus performant, à plusieurs conditions : disposer d’un réseau sécurisé, d’une charte d’utilisation, réaliser l’équité en équipant les élèves qui ne le sont pas…

Il sera désormais indispensable d’accompagner les usages pédagogiques en synergie avec le vécu et la culture numérique des élèves.

En étendant les apprentissages en tous temps et en tous lieux, l’esprit critique doit être parallèlement développé par l’éducation aux médias et à l’information.

Il conviendra aussi de revisiter le « Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » de Ferdinand Buisson dont la ligne de crête pourrait être résumée ainsi « Peu importe les outils, la pédagogie est première ». 

Au-delà des banques de ressources existantes (Eduthèque, Prim à bord, Agence des usages, Les Fondamentaux etc.) il est nécessaire aussi des’organiser à la base,  au sein d'une école pour avoir une veille commune en signalant les trouvailles des uns et des autres créer des Scoop It de veille éducative.

Des solutions doivent être mieux exploitées : le jeu vidéo (Yann Leroux " Les jeux vidéo, ça rend pas idiot!"), utiliser les réseaux sociaux en classe, notamment Twitter, enseigner le code et la programmation grâce aux robots pédagogiques (élément des programmes du Cycle 2), employer des QR codes qui intègrent des informations (par exemple fiche de lecture derrière le code  avec l’avis des autres élèves qu'on peut lire avant d'emprunter un ouvrage).

La réalité augmentée, la réalité virtuelle aussi offrent de grandes richesses : exemple d’un voyage dans le corps humain ou d’une visite d’architecture.

En somme, il faudrait créer dans les écoles des " Centers For Creative Collaboration ", sortes de Fab Lab qui offriraient des solutions pour produire toutes sortes d’objets (imprimantes 3D car on trouve facilement des plans 3D sur Internet, vidéos, livres numériques etc.)

Il faut voir le numérique comme une chance pour préparer les jeunes avec des moyens adaptés au monde et à leurs besoins de développement personnel.

Si le numérique est assurément une chance, il ne faudrait pas que la disruption qui s’annonce provoque des changements si rapides que notre vénérable institution ne serait pas capable de les intégrer. La vitesse et l’efficacité de la réaction seront notre seul salut de préserver une « école de la confiance », car la nature ayant horreur du vide, d’autres structures, peut-être plus légères prendront le relais, mais où en serons-nous alors de l’équité républicaine face à l’éducation ?

Retrouvez la présentation de Bertrand Formet

https://www.slideshare.net/bertrandformet/le-numrique-aujourdhui-usages-socitaux-et-usages-pdagogiques

 Michel Pérez

[1]Moodle est une plateforme d'apprentissage en ligne (en anglais : Learning Management System ou LMS) libre distribuée sous la Licence publique générale GNU (Logiciel libre). Développée à partir de principes pédagogiques constructivistes, elle permet de créer des communautés s'instruisant autour de contenus et d'activités. Le mot « Moodle » est l'abréviation de Modular Object-Oriented Dynamic Learning Environment : « Environnement orienté objet d'apprentissage dynamique modulaire ». Wikipédia.

[2] Espérons que ce ne sera pas la dernière (ndlr)

 

 

Dernière modification le mardi, 30 octobre 2018
Pérez Michel

Président national de l'An@é de 2017 à 2022. Inspecteur général honoraire de l’éducation nationale (spécialiste en langues vivantes). Ancien conseiller Tice du recteur de Bordeaux, auteur de nombreux articles et rapports sur les usages pédagogiques du numérique et sur la place des outils numériques dans la politique éducative.