La première tente de rendre avec le plus précision possible les informations apportées par les orateurs et d’en montrer leur cohérence pour en dégager une synthèse. Qui mieux que les conférenciers sont à même d’exprimer leurs propositions et les convergences qu’ils souhaitent proposer. Par ailleurs ce choix considère les auditeurs comme passifs et crée l’impression qu’il n’est proposé qu’un « quoi penser ».
La seconde envisage qu’il est possible de rendre compte de ce que les propos tenus à la tribune par les représentants de l’« Association Nationale des @cteurs de l’Ecole »(An@é) ont donné « à réfléchir ».
Cette seconde écriture introduit une interprétation ; elle questionne les propositions en les contextualisant dans le cadre de l’économie que définit l’appellation de l’association invitante « Café Economique de Pessac».
(Image : Chantal Chevalier, Présidente du Café économique)
Mon choix est lié à l’intervention d’un auditeur suite aux informations apportées à la fois par Michelle Laurissergues, Présidente d’An@é et Anne Lehmans, Professeur des Universités, sur l’écart que les pratiques de « e-enseignement » provoquent dans les apprentissages entre les élèves en fonction de leur environnement social et économique et plus particulièrement celui de leur parentalité.
Cet écart se retrouve chaque fois que le virtuel se substitue totalement au présentiel. L’interlocuteur fit remarquer que lui-même quand il quittait l’école, n’avait « aucun devoir à faire à la maison » et expliqua que ce travail étant fait dans l’espace scolaire, les effets environnementaux privés diminuaient.
Le débat qui suivit mit en évidence la question de l’économie d’un système d’enseignement.
L’économie de la gestion collective et individuelle du temps scolaire : chaque collectivité et chaque individu gèrent un capital temps.
Dans la proposition du participant, le temps de l’enseignant, le temps de l’apprenant se correspondaient.
Les choix d’une économie qui engage des dépenses permettent des espaces scolaires dédiés, la rétribution de personnes qualifiées. Dans la proposition du participant, il s’agit de la volonté politique de faire de l’enseignement des générations montantes une finalité dont le financement est public.
Cette question et sa mise en perspective dans une appréhension économique permettent de saisir la portée des trois thèmes abordés par les conférenciers à propos de « Comment la culture numérique impacte-t-elle aujourd’hui nos vies et le monde informationnel ? Quels sont les enjeux pour l’éducation et la démocratie ? »
Par leur complémentarité, les propositions des trois intervenants sur le thème de « la culture numérique » et de son rapport avec l’éducation montrent l’interdépendance entre une diffusion mondialisée de l’information propre à la technologie numérique, un environnement social et un espace scolaire.
Cette interdépendance fait-elle partie des processus éducatifs qui forment les générations montantes de l’enfance à l’âge adulte ?
Dans ce contexte, « les aspects culturels de cet environnement numérique » créent des liens entre un ensemble de personnes qui ont des expériences informatives singulières, des représentations partagées et des connaissances latentes ou formalisées.
Quand la liberté d’expression est reconnue, ce partage des interprétations des informations donne naissance à des débats souvent contradictoires qui construisent un savoir collectif.
La République n’est-elle pas fondée sur l’agencement pacifique des controverses parce qu’équilibré ?
Avec « la culture numérique », la vie sociale et professionnelle dont l’éducation est un des moteurs, dépend d’une technologie qui puise ces ressources dans l’exploitation des matières disponibles et qui, pour les transformer en produits industriels, doit faire appel à un ensemble d’opérateurs et opératrices dont les qualifications sont reconnues.
La gestion de ce personnel, quel que soit son poste de travail, doit prévoir des modes de rétribution qui reconnaissent leur qualification et leur apport dans l’économie du système.
L’exploitation des ressources extraites des sols nécessite la prise en compte des changements des modes de vie des populations occupant ces territoires.
L’industrie du numérique nécessite donc un choix parmi les modèles de l’économie de l’industrie :
Actuellement le choix dominant apparaît comme étant une économie basée sur des investissements privés basés sur une rentabilité financière. Les gains seraient destinés à un réinvestissement souvent contesté qui fait, dans certains cas, appel à des ressources publiques.
En contre partie, quand la rentabilité de ces entreprises du numérique croit, ne devrait-elle pas, au regard de l’impact sur la jeunesse, venir en soutien à l’éducation et en particulier à toutes activités éducatives publiques ?
L’injonction de s’adapter à ce nouveau mode de diffusion d’échange d’information agit sur l’emploi du temps de chaque personne ; pour faire partie de la vie sociale au sens large de l’expression, chacun et chacune doivent être connectés au réseau où circulent instantanément des informations sous contrôle des groupes propriétaires de leur diffusion. Chacun et chacune se trouvent dans l’obligation par des injonctions associant information et technologie d’organiser une économie de son capital temps.
Il faut revenir aux trois axes des intervenants pour saisir à quel point l’éducation se trouve embarquée dans ce développement de la technologie numérique présent tout au long des interventions.
Marcel Desvergne fait le récit des informations que, quotidiennement, il reçoit de la télévision, des réseaux sociaux, des courriels, de son téléphone portable.
Nous recevons de la télévision, des réseaux sociaux, des courriels, de son téléphone portable. Ces informations locales, nationales, internationales, en font une information mondialisée.
Par exemple, voilà quelques titres récupérés dans nos médias écrits depuis 8 jours : - « Pour sauver son modèle, l'Europe ne doit pas laisser partir le train des technologies » - « Comment Google Maps est devenu l'empereur des routes » - « La revanche de la publicité : Mutation vers les nouvelles technologies et la data » - « Couteau suisse de la com et du marketing, voix numérique de l'entreprise, Qui se cache derrière vos réseaux sociaux ?»- « Tik Tok de nouveaux pris pour cible par les autorités américaines » - « La bataille du métavers est lancée : Face à l'offensive américaine dans le domaine de la réalité virtuelle, Métavers en tête l'Europe cherche la réplique ».
Il nous fait partager la masse d’informations que nous – mêmes nous émettons volontairement et involontairement. Il insiste sur la captation par les satellites de l’ensemble de nos comportements tout au long des jours et des nuits. Si nos mouvements, nos paroles sont enregistrées sous l’appellation de données traitées par des ordinateurs, les instruments que nous utilisons allant des objets privés et publics à l’implantation d’appareils médicaux nécessaires à notre santé participent à cette grande collecte de renseignements sur notre vie publique et privée.
A ces informations captées par les satellites, s’ajoute tout l’ensemble des productions audio scripto visuelles diffusées sur les réseaux : elles vont des sociétés de production d’émissions destinées à des publics cibles aux plateformes, entreprises intermédiaires entre une demande et un service dont la rentabilité dépend du nombre et de la communauté de leurs utilisateurs, professionnels ou grand public.
Ces informations deviennent nécessaires à l’organisation de la vie personnelle, sociale et professionnelle. Leur facilité d’accès, leur immédiateté concurrencent tout autre mode d’accès aux informations nécessaires à la vie privée et publique. La population est alors astreinte à la réception d’une masse d’informations en continuité et à une interactivité permanente en réponse aux informations reçues.
L’éducation ne peut ignorer les conséquences de cette modification des sources d’information qui touche l’ensemble de la population et plus particulièrement les enfants et les jeunes en pleine évolution psychique et comportementale.
Si l’information comme ressource cognitive a toujours pour finalité un type d’éducation, au cours du 20ème siècle l’accès à l’information est passé d’une ressource locale proche de l’enfant comme la parentalité, l’école obligatoire, à une ressource mondialisée dont les responsables font partie d’entreprises internationales, politiques et commerciales éloignées de la proximité de la génération montante. Paradoxalement, ces entreprises utilisent parmi d’autres sources informations, celles qui sont issues de la proximité de sa clientèle.
Face à l’amplification des désordres informationnels, comment évaluer la qualité et la pertinence d’une information, identifier la source et sa crédibilité ? Et comment l’esprit critique vient-il aux enfants ? Le lien à l’éducation aux médias et à l’information est-il suffisant pour une situation qui dépasse le cadre de l’école et interroge le rôle des parents ? Quelle est leur implication, quelle connaissance ont-ils des pratiques numériques de leurs enfants ?
En éducation, chacun est concerné, institutions, collectivités, lieux de formation et de culture, lieux de médiation. La communauté éducative dans son ensemble requiert également un travail avec les filières industrielles, les éditeurs de ressources, mais aussi avec les parents et les élèves ! Doit-on parler de citoyenneté numérique ou de compétences de citoyens évoluant dans un environnement numérique ?
La lutte contre la désinformation constitue un enjeu central pour l’équilibre de nos démocraties.
L’auditeur saisit que l’intervention de Michelle Laurissergues s’attache à définir les moyens qui transforment ces données en ressources locales.
Il est possible de résumer le constat suivant auquel Michelle Laurissergues souhaite apporter des propositions constructives.
Les informations émises ou reçues proviennent soit des messages issus de l’espace local proposés par tout un chacun ou produits par des groupes sociaux, politiques ou financiers. Leur émission sur le réseau de distribution est formatée par des acteurs publics et/ou privés qui détiennent la gestion industrielle et financière de l’ensemble de ce système souvent nommé numérique. Cette mise en forme est adaptée aux objectifs des groupes qui en détiennent « le pouvoir » comme le démontrent les contrôles du réseau internet.
Elle souhaite que la population locale s’approprie la réalité de « ce pouvoir » pour ne pas se laisser tromper par les idées préconçues et qu’elle appréhende ces informations non pas seulement dans le contexte de leur émission mais aussi dans celui de leur quotidienneté et des détails qui composent leur propre environnement proche et lointain.
L’éducation aux produits du numérique est une action locale, elle donne « le pouvoir » sur les informations distribuées aux personnes et aux collectifs. Cette reprise en main de l’information dont le local se trouve dépossédé par les sociétés de l’information est un axe prioritaire des actions à conduire avec l’ensemble de la population locale.
Michelle Laurissergues insiste sur la nécessité que chacun et chacune soient des parties prenantes de ce projet et que le monde associatif en soit un élément fédérateur. Il faut alors définir les ressources économiques qui donnent les moyens budgétaires pour cette restitution de l’information formatée par des groupes de pression privés ou publics à une interprétation locale de l’information.
Cette concertation locale n’est possible que lorsque la vie de chacune et chacun dispose du temps nécessaire pour participer à cette reprise en main d’une diffusion de l’information qui leur a échappé. La donnée économique de ce temps disponible doit être évaluée quelque soit le modèle économique institué.
Un acteur local est un élément fondateur des cette prise de conscience : l’école.
Elle fut longtemps le dépositaire des informations sur les connaissances et leur transmission, elle se trouve mise en concurrence avec les propriétaires des structures du numérique qui produisent et diffusent les informations : progressivement cette mission de l’école se trouve marginalisée.
Anne Lehmans détaille les actions nécessaires pour former le futur personnel enseignant confronté à ce nouvel environnement informationnel.
En donnant des exemples pragmatiques, elle explicite la finalité qu’elle exposait avec Vincent Liquète dans « Approches multi dimensionnelles et complexes des cultures de l’information » (Revue française de l’information et de la communication, 19/2020) :
« La recherche et la gestion de l’information, la lecture et l’écriture numériques peuvent permettre aux élèves d’exprimer leur créativité et de mettre en place des formes d’affiliation à partir de pratiques informationnelles non scolaires qu’ils réinvestissent dans le cadre des projets.
Celles-ci sont souvent négligées dans les dispositifs proposés “clés en mains”, qui privilégient des productions standardisées en mettant de côté les perspectives communicationnelles ancrées dans une culture de l’information vivante.
Le développement d’une communauté apprenante est ainsi nécessaire pour inscrire de manière durable et concertée les générations d’enseignants, de professionnels de la culture et d’élèves dans des processus de découverte, de sensibilisation, d’expérimentation autour du patrimoine à travers le numérique et les nouvelles formes de médiation et de médiatisation des savoirs. »
Soulignant l’existence de « perspectives communicationnelles ancrées dans une culture de l’information vivante » Anne Lehmans rejoint la proposition d’une gestion personnelle et collective des informations au niveau local faite par Michelle Laurissergues et elle prend en compte le décor dressé par Marcel Desvergne.
Ces perspectives deviennent réalité et culture quand les propositions des trois intervenants participent à une même action locale et collective dont l’approche pourrait se définir comme suit.
Michelle Laurissergues démontre l’importance de la scène de la politique locale pour l’appropriation des informations ; cette scène est le lieu de la confrontation entre d’une part des idées générales formatées par les techniques industrielles circulant sur les réseaux et d’autre part les idées et les détails de la pratique quotidienne. Cette confrontation participe à l’élaboration d’un savoir collectif qui est un élément des pratiques éducatives et d’une culture partagée.
Marcel Desvergne permet de comprendre la genèse des idées générales qui peuvent conforter la naissance d’une pensée unique impliquant une surveillance de tous et toutes. Ce contexte mondialisé résulte du développement d’une nouvelle technologie industrielle produisant de multiples possibilités de la diffusion des informations qui deviennent des injonctions à les utiliser.
Anne Lehmans donne à l’école et à ses enseignants une place d’initiateurs des pratiques à développer « pour prendre en compte les pratiques réelles des enfants et des adolescents ». Cependant elle souligne que les élèves ne sont pas dupes, et qu’«ils acceptent d’être algorithmisés et de recevoir sans chercher » et qu’ils reçoivent les représentations proposées sans distance critique.
Elle ajoute que le surinvestissement dans les Intelligences Artificielles pourrait aboutir à « une plateformisation/automisation/hyperindividualisation de l’enseignement ».
Les intelligences artificielles comme produits d’une industrialisation, les investissements dans des techniques privilégiant la représentation numérisée des interlocuteurs aux dépens des relations présentielles, le financement de la construction mondialisée des systèmes pour collecter et diffuser les données de l’information font partie du domaine de l’économie, thème dominant de l’association invitante.
Cette communication à trois voix ouvre vers de nouveaux échanges dans le cadre de L’association « Le Café Economique de Pessac ».
Ces échanges pourraient en collaboration avec l’Association Nationale des @cteurs de l’Ecole se poursuivre avec des thèmes qui prennent en compte que la fragilité du système numérique de l’information existe à plusieurs niveaux : orientation politique, consommation d’énergie, épuisement des ressources minérales et fragilité des structures. Les actualités de ce mois d’octobre 2022 sont là pour nous rappeler que les ressources énergétiques sont limitées à la fois par leur épuisement mais aussi par les changements climatiques et que les structures qui en permettent le fonctionnement sont exposées au piratage et au sabotage.
Parmi ces thèmes, il est possible d’être attentifs à ceux qui concernent le domaine de l’éducation.
Comment l’expérience contemporaine de ce système augmente nos connaissances sur l’éducation et vient compléter et questionner les mémoires accumulées depuis des siècles sur ce thème ?
Quand les enfants et les jeunes participent à cette pratique de l’information immédiate, émise à profusion par des émetteurs qui peuvent devenir récepteurs dans le respect de normes techniques, ils acquièrent des comportements physiques et psychiques.
Qu’en est-il d’une éducation qui prenne en compte les effets de la modification de ces supports techniques et de leur contenu allant même jusqu’à leur disparition sur les comportements acquis ?
Quelle gestion économique nécessite ces temps de rupture ?
Mais aussi quelle prise en compte d’une résilience nécessaire pour la population ?
A. Jeannel
Dernière modification le mardi, 25 avril 2023