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Bathilde Vassent Ndiaye, Professeure documentaliste, Référente Culture au Lycée Professionnel Tregey à Bordeaux, intervient dans la deuxième partie du séminaire "Les Intelligences Artificielles et l'Esprit Critique", intitulée "Les mondes numériques : l’individu, le collectif, l’identité ": "Développer l’esprit critique de nos élèves face à l’IA, c'est développer leur capacité à exercer l'esprit critique tout court encore faut-il l'avoir travaillé en amont et hors contexte."

Les leviers cognitifs à activer sont strictement les mêmes, ils prennent racine dans le recours au doute, le recours au questionnement constructif. Finalement l'IA, ce n'est pas une fin en soi dans ce contexte, l'esprit critique se travaille tous les jours.

C'est l'affaire de tous c'est d'ailleurs pour cela que j'ai intitulé ma présentation une entreprise collaborative.

20241127 145848 002L'idée, c'est de créer une synergie au niveau des établissements scolaires afin que personnels de direction, professeurs, professeurs documentalistes, personnels de vie scolaire, en fait tous les membres de la communauté éducative, s'engagent à donner un sens à cet esprit critique dans la vie de tous les jours pour nos élèves.

Evidemment l'idéal c'est d'inclure également les parents comme il a été dit précédemment, la coéducation en effet. En lycée pro très défavorisé tel que et mon lycée professionnel à Trégey les parents malheureusement on les a peu. L'idéal c'est alors, à mon niveau en tant que professeur documentaliste, de contribuer à travailler l'esprit critique.

Je ne suis pas la seule bien évidemment mais je contribue par exemple dans la pratique régulière du débat qu'il soit mouvant ou pas sur des thèmes d'éducation la citoyenneté par exemple les clichés sexistes ou les idées reçues en matière de santé mentale. Dans le cadre d’un débat mouvant, les élèves de la classe sont debout, une ligne de démarcation se situe entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. On avance une idée, une polémique et les élèves doivent se positionner évidemment en argumentant soit pour soit contre et l’intérêt c'est qu’ils ont le droit de changer d'avis si un camarade leur donne un argument qui les combat. Voilà donc évidemment que là, on est en plein dans le travail de l’argumentation, de l’esprit critique.

Une participation globale des élèves à des projets culturels

Nous menons une cinquantaine de projets culturels à l'année ce qui est énorme. Il s’agit d’une priorité. Dans le cadre de ces projets, les élèves sont confrontés à tous les domaines de l'éducation artistique et culturelle et je tiens à préciser que chez nous tous les élèves de la seconde de la 3è puisqu'on a 3è prépa professionnelle jusqu'à la terminale tous les élèves sont concernés par au moins un projet d'éducation artistique et culturelle à l'année.

Le théâtre et le cinéma permettent l’éducation à l'image, la pratique de la peinture, de la musique permettent par exemple cette année nous avons un atelier percussion, des ateliers d'écriture avec des rencontres d’auteurs et au travers de ces échanges, les élèves vont être confrontés à l'acte d'écrire, au droit d'auteur …La liste est longue l'idée à travers tous ces projets c'est bien sûr de former l'esprit critique, à l'altérité pour développer la culture générale.

Si on resserre un petit peu plus sur les productions numériques, en tant que professeur documentaliste je travaille l'EMI - Education aux Médias et à l'Information - et donc bien évidemment l'esprit critique est énormément travaillé, l'utilisation d'un moteur de recherche, la hiérarchisation, les usages des réseaux sociaux : l'identité numérique, vérification de l'info, les droits et devoirs en matière d'usages avec le numérique en particulier les notions de droits d'auteur et de plagiat.

On peut se demander s’il ne s’agit pas d’un nouveau champ d'enseignement.  

    • Faire comprendre aux élèves qu'est-ce que sont les Intelligences Artificielles, comment elles fonctionnent;
    • De quelles intelligences parle -t-on est-ce qu'elles sont plus intelligentes qu’eux, quel type de données elles agrègent;
    • Il s’agit de les sensibiliser au fait qu'il y a une nette domination de la culture anglosaxonne blanche dans ces données ce n’est pas anodin du tout;
    • Leur enseigner l'art du prompt évidemment afin de leur faire prendre conscience de l'impact de l'humain dans la qualité des résultats;
    • Prendre du recul, relire, retravailler un écrit généré par l’IA afin de vérifier évidemment l'information, les sources. Il faut bien leur faire prendre conscience du fait qu'un écrit brut normalisé par ChatGPT produit souvent une image plutôt négative sur les récepteurs sur les destinataires à savoir, dans notre contexte de lycée pro, les employeurs parce que nos élèves font beaucoup de recherche de stage donc les lettres de motivation par le Chat, les employeurs les connaissent hein donc et puis derrière aussi ce qui se profile de plus en plus c'est l'utilisation de chat GPT dans le cadre de Parcoursup;
    • C'est finalement mettre en place une éducation à l'intégrité car la fausse appropriation des connaissances et des compétences crée un faux sentiment de réussite. C'est évidemment un piège énorme dont on se rend compte dès lors qu'on fait passer l'élève à l'oral.

Il faut réfléchir avec les élèves sur ce qui a la plus grande plus-value :  est-ce que c'est un écrit certes imparfait mais qui émane d'eux et qu’ils soient capables de soutenir à l’oral ou est-ce que c'est un document parfait mais qu’ils n'ont pas vraiment compris … ce serait peut-être bon de réapprendre à nos élèves la notion de fierté du travail accompli dans l'effort,  revoir notre rapport à l'évaluation parce que il faut évidemment valoriser ces travaux personnels, réellement personnels, même s'ils sont imparfaits.

L’arrivée de l’IA dans le monde éducatif génère un nouveau rapport au savoir elle fait absolument exploser tous les champs des possibles pour l'élève.

C'est extraordinaire il faut le reconnaître, la possibilité de saisir des concepts, de générer des idées ou un plan, ils ont la solution à la page blanche c'est juste génial, c'est la possibilité de réviser ces cours parce qu'il y a des quiz en lien direct, c'est la possibilité de demander des commentaires sur un travail fourni, d'améliorer ses compétences rédactionnelles bien évidemment orthographique c'est la possibilité de demander une traduction très rapide d'avoir des conseils techniques sur un logiciel.

N'oublions pas je le dis pour nous mais je le dis surtout pour nos élèves que l’IA ne génère  pas un savoir valide,  ce n'est qu'un savoir probable. On ne peut pas lutter contre aujourd'hui il faut au contraire être à la hauteur des enjeux et même si possible être un pas en avant sur nos élèves au lieu de critiquer finalement les usages des élèves, il faut proposer des solutions.

Très humblement voici quelques pistes que je vous propose :

La première ce serait de créer une charte d'utilisateur responsable de l'IA à faire signer aux élèves comme on leur fait signer en début d'année un règlement intérieur de leurs établissements. Certaines universités sont déjà très claires par rapport à ça je pense à l'université Neufchâtel en Suisse ou à L’UCAM au Canada qui ont déjà formalisé des chartes sur lesquelles on pourrait d'ailleurs prendre appui.

La deuxième ce serait de repenser notre manière d'évaluer. Ce qui se fait à la maison ou avec l'usage autorisé de l'IA devrait être plus faiblement coefficienté que ce qui se fait en présentiel ou à l’oral, on pourrait par exemple, évaluer non pas le résultat en lui-même mais l'historique de la recherche, c'est-à-dire l'historique du prompt la démarche info-documentaire, enfin ce qui se fait en classe devrait être davantage valorisé.

Une troisième piste à vous proposer, ce serait de repenser évidemment notre manière d'enseigner en mettant davantage l'accent sur l'oralité, le présentiel, je l'ai déjà dit, repenser complètement la notion de mots-clés et de requête synthétique que l'on avait jusqu'alors dans les bases de données classiques parce que là il ne s’agit pas de synthétiser, bien au contraire.

Enfin, mettre en place une éducation à l’intégrité, ne pas se contenter de copier-coller, c'est vérifier l'info, citer l'utilisation de l'IA par exemple, mettre en annexe une sauvegarde de sa conversation avec l’lA...

Pour les enseignants enfin en 4e point pour les profs doc qui ont un rôle vraiment moteur à jouer, il est évident qu'il faut mettre en place une formation continue. L'IA que l'on va présenter à nos élèves aujourd'hui n'est pas la même que celle du mois dernier et n'est pas non plus la même que celle du mois prochain.

Cette évolution constante et très rapide des IA plaide nettement en faveur d’une veille informationnelle à mettre à disposition des enseignants, pour de l'auto-formation mais si possible également pour de la formation plus formelle.

Et enfin au plan institutionnel il serait souhaitable, d'une part de lever les freins liés au RGPD et à la nécessité d'identification et d'autre part, de permettre un accès gratuit à certaines IA via nos Espaces numériques de Travail parce que les versions gratuites ne vont quand même pas très loin. Je vous remercie.

L'intervention en intégralité

Dernière modification le mercredi, 18 décembre 2024
Laurissergues Michelle

Fondatrice et présidente d'honneur de l’An@é, co-fondatrice d'Educavox et responsable éditoriale.