Six parcours thématiques permettaient de découvrir les services et dispositifs numériques pour l’éducation selon plusieurs angles d’approche : présentation générale, démonstration, manipulation, observation de classes, échanges.
L’accès au numérique pour tous
Dans une société numérique, où l’intelligence artificielle et les algorithmes jouent un rôle croissant : comment favoriser une compréhension des processus algorithmiques à l’œuvre ? Comment développer une culture numérique commune, autour de quelles valeurs ?
Créativité numérique
La créativité est une des compétences du XXIe siècle, comment la favoriser avec le numérique ? Abordez la question de la création par le prisme des arts plastiques, de la littérature ou de la programmation et avec l’aide d’outils numériques.
Travailler ensemble
Travail coopératif, collaboratif, participatif : points communs, différences. Quelles pratiques pédagogiques ? Quelles façons de travailler ensemble ? Quelles compétences sollicitées ?
Les communs de la connaissance et du numérique
La connaissance est un « bien commun », une ressource dont la diffusion et la propagation sont sources d’enrichissement et de création. Comment s’inscrire dans une dynamique de ressources partagées ? Où et comment trouver des ressources utilisables en classe ? Quelles conditions pour que des ressources soient partageables ? Comment les partager ?
Construire une citoyenneté numérique par les usages
Comment construire une citoyenneté partagée basée sur le respect d’autrui avec les outils actuels (réalité virtuelle, réalité augmentée, jeux pédagogiques, etc.) ? Quelles pratiques pédagogiques mettre en œuvre pour un usage responsable et citoyen du numérique ?
Développer l’esprit critique avec les médias et l’information
Dans une société où les médias et l’information sont omniprésents et faciles d’accès, comment développer un regard critique sur la fabrique de l’information ? Comment enseigner la démarche journalistique ? Quelle démarche scientifique dans le traitement de l’information ? Comment créer les conditions du débat ?
Lors de sa conférence inaugurale, Gilles Dowek, chercheur à l’Inria et professeur à l’ENS Paris-Saclay plantait les jalons d’un questionnement disruptif.
Faut-il faire de l'accès au réseau un droit fondamental ?
Au même titre que l’eau, le logement, l’accès au réseau doit être aujourd’hui un droit fondamental[1]. Des programmes tels que « One Lap Top per child » ont permis de développer des programmes d’éducation, notamment à distance créant un sentiment d’égalité et d’inclusion pour ces enfants.
Les conséquences de l’accès au réseau sont majeures : pour la santé par la téléconsultation, pour l’accès au travail, via les offres d’emploi, pour le commerce, quelle que soit la situation géographique, pour l’éducation, car le réseau permet de pallier le manque d'enseignants dans certains pays où la population jeune est trop importante pour les enseignants potentiels, par exemple en Côte d’Ivoire, ou dans des pays géographiquement très étendus et à faible densité de population. Les MOOC ne sont pas forcément la bonne solution, mais ils restent encore comme une base de ressources pédagogiques pour aussi une Éducation mutuelle.
Dans le cadre de l'éducation, l'aspect du matériel est important. Mais seul, le matériel ne sert à rien. Le premier niveau consiste à savoir utiliser le matériel informatique. Ce niveau est utile mais insuffisant, car les élèves restent des utilisateurs passifs. Il faut apprendre comment fonctionne et se programme un logiciel pour en comprendre et parfois en maîtriser le fonctionnement. Ce niveau deux est à peu près couvert par les programmes de l'éducation avec des éléments de culture informatique de l'école primaire au collège, puis au lycée avec désormais l’enseignement informatique obligatoire en seconde, puis l’option ISN (Informatique et Sciences du Numérique) en terminale. L’acquisition de la pensée informatique peut commencer dès l'école maternelle. Il faut souligner l’importance de la notion de langage comme le montre son dernier livre "Ce dont on ne peut parler il faut l'écrire"[2]. Les langages sont en effet incompréhensibles si on ne les a pas appris. A l’exemple du langage des partitions qui sert à noter des notions musicales. La différence est que les langues sont universelles et permettent de tout d'écrire : on a créé des langages spécialisés pour exprimer des notions spécifiques (ophtalmologie, solfège, maths). À partir de l’invention des ordinateurs on a crée dix langages par jour pour des usages très divers. L’école doit enseigner aussi ces langages indispensables.
On assiste aujourd’hui à une libération de la parole publique.
Gilles Dowek se réjouit du développement des « Fake News » et des trolls. Que révèle cette libération ? Parole publique et parole privée sont très différentes. La parole publique est très largement diffusée, contrairement à la parole privée. La parole publique obéit à des règles définies, telles que la proscription des attaques ad hominem, les arguments d'autorité etc. La parole publique était réservée à quelques dizaines de personnes jusqu'au 20ème siècle, puis elle devient universelle avec le Web en 1990. Le réseau donne la parole à ceux qui ne l'avaient pas face aux journalistes ou aux politiques et aux spécialistes qui avaient le monopole. Il faut alors enseigner aux élèves l'éthique du débat public. Il faut aussi accroître le rôle des enseignants face aux bobards, à l’infox, aux trolls. Il s’agit de développer l'esprit critique pour mettre en question ce qu'affirment les autres.
Le développement de l'informatique peut dynamiser nos attentes face aux institutions et à la citoyenneté.
La vie politique est un système informatique. Le tuyau qui permet de communiquer des informations pour les élections est à très faible débit : on n’y communique que très peu d'informations. Lorsqu’on vote, on choisit un candidat avec très peu d'informations sur ce qu'il compte faire dans tel ou tel domaine, avec des points de vue parfois contradictoires selon les domaines.
Il faut changer les moyens d'action en politique, car signer une pétition en ligne a parfois plus d’impact que de manifester physiquement dans la rue (l’un n’excluant pas l’autre). Les institutions ne sont plus en phase avec les moyens de communication dont nous disposons aujourd'hui. Pourquoi ne pas élire un président pour chaque pouvoir régalien tous les ans alternativement? Être de droite ou de gauche n'a plus de sens, dans la mesure ou il faudrait examiner les points de vue des candidats sur chacun des sujets. L'information se perd dans la synthèse, comme lors du Grand Débat, alors qu'on a les moyens de répondre à chacun des problèmes en le faisant traiter par la bonne personne. Il faudrait penser que nous sommes des enseignants vivant sous Louis XVI et que nous devons préparer nos élèves à vivre sous le directoire. C'est très difficile! On pourrait aujourd’hui se dispenser des abstractions telles que gauche et droite pour discuter chaque point en tant que tel.
Une évolution radicale et véritablement disruptive. L’accès au réseau et l’informatique se révèlent donc être pour Gilles Dowek, tout à la fois des outils d’action économique, des moyens d’action éducative et finalement aussi des leviers d’action politique et sociale.
Jean-Marie Panazol, directeur général du Réseau Canopé rappelait le constat de Jean-Jacques Rousseau (Livre 1 du Contrat Social) « Le vrai sens de ce mot, citoyen, s’est presque entièrement effacé chez les modernes »[3] pour inviter à revisiter, au 21ème siècle cette notion au vu des différentes nouvelles manières d’être et d’agir aujourd’hui en tant que citoyen.
A ce titre Jean-Marie Panazol indiquait que les dernières orientations gouvernementales sur les missions de Canopé incluaient désormais une action pour la formation des enseignants.
Jean-Marc Merriaux, Directeur du Numérique pour l’Education invitait à prendre en compte des considérations sociétales et humaines, au delà de la question des équipements. Il rappelait les propos du ministre : la question essentielle est « Comment un monde de plus en plus technologique peut il être de plus en plus humain ? ». La notion d’éthique doit être centrale. Trois éléments en sont le fondement : l’engagement, la responsabilité et la participation numérique. L’éducation au numérique et à l’information (ENI), l’enseignement de l'informatique : chaque thème doit être traité dans une perspective épistémologique et aussi sous son aspect humain. L'informatique s'inscrit dans une perspective humaine dans les programmes.
La donnée numérique constitue une chance à condition de savoir la protéger et la valoriser. Il convient aussi de valoriser les compétences des enseignants. Quelques initiatives sont emblématiques : la citoyenneté numérique est le thème choisi par la CNIL et le collectif Educnum pour un événement sur ce thème en septembre à Poitiers[4].
Un travail sur référentiel des compétences numériques est en cours au travers du service PIX (Plateforme en ligne de certification des compétences numériques). Tous les élèves vont être amenés en fin de troisième à passer par cette plateforme pour certifier leurs compétences numériques.
Il faut avoir une conscience claire de l'impact du numérique : la DNE va lancer un partenariat de l'innovation sur l'Intelligence Artificielle, afin que l'école tire profit des innovations qui accompagnent notre quotidien.
L’enjeu est aussi lié à la place de l'élève, à qui nous devons garantir une plus grande valorisation dans la construction de leurs apprentissages. De grandes questions doivent être traitées : comment être citoyen sur Internet et pas seulement un consommateur sur les réseaux? Quelle liberté s'il y a un monopole des données ? La fraternité est un enjeu important, car le terme « ami » est le plus utilisé sur les réseaux sociaux : l'amitié est le modèle sur lequel se construisent les réseaux sociaux pour Milad Doueihi, mais la fraternité est le terme qui permet de faire le lien entre tradition et modernité. Un prochain vade-mecum sera édité sur les nouveaux espaces scolaires qui doivent être co construits.
Cette session inaugurale des Rencontres de l’Orme a ouvert la réflexion et les débats en mettant au jour de nouvelles pistes d’action pour l’ensemble des acteurs : repenser les modes d’intervention éducative et sociale en garantissant un accès universel aux nouvelles compétences du citoyen à l’ère du numérique dont l’Ecole est désormais en position de s’emparer au service de l’ensemble de ses acteurs. Si tous les éléments ne sont pas encore tout à fait en synergie, la prise de conscience est effective de la nécessité absolue d’une marche en avant déterminée. Les diverses interventions et ateliers dont nous nous ferons l’écho dans un prochain article le montrent clairement.
Michel Pérez
[1] Voir à ce propos l’article de G. Dowek https://www.pourlascience.fr/sd/science-societe/lacces-au-reseau-un-droit-fondamental-9907.php
[2] “Ce dont on ne peut parler, il faut l’écrire” Editions Le Pommier, 2019. Un essai sur les langages, ces nouvelles façons d’appréhender la réalité.
[3] La citation complète : « Le vrai sens de ce mot, citoyen, s’est presque entièrement effacé chez les modernes la plupart prennent une ville pour une cité, et un bourgeois pour un citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font la ville, mais que les citoyens font la cité. »
[4] L’An@é, membre du collectif Educnum est l’un des promoteurs de cet événement qui se déroulera du 20 au 22 septembre 2019 à Poitiers.
Dernière modification le vendredi, 06 septembre 2019