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Dialogue entre un comédien et une cheffe d’établissement : J’ai rencontré le comédien Pierre Aufrey au collège alors qu’il venait former les élèves de 4ème à l’éloquence. J’ai participé à un de ses ateliers, le premier, pour voir…j’ai fini par faire tous les autres ! Pourquoi ? Parce que j’ai découvert, ce que j’aurais dû apprendre il y a 20 ans, à savoir, un élément clef des métiers de l’éducation : l’éloquence.

L’épreuve du Grand Oral mise en place en Terminale pour l’année 2021, a pointé une compétence importante et longtemps sous-estimée qui est celle de l’oralité et plus encore de l’éloquence.

Mais n’est pas Cicéron qui veut ! Pour cela il faut apprendre ce qu’est l’éloquence, la définir, la comprendre, la ressentir pour ensuite l’expérimenter et la vivre.

 

Je vous propose donc de découvrir cela par la lecture du dialogue entre M. Aufrey et moi-même.

1. Bonjour Monsieur Aufrey, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs ?

Comédien et metteur en scène, j’ai été formé à l’ENSATT puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. La danse a aussi beaucoup compté pendant cette période, au point que j’ai pu songer sérieusement – et très déraisonnablement – à en faire mon métier… Assez rapidement, j’ai conjugué mes activités artistiques avec un travail pédagogique, en animant d’abord des ateliers théâtre, puis en répondant à la demande de professeurs de lettres à l’Université ou dans les lycées. Depuis maintenant trois ans, un établissement du secondaire parisien m’a chargé des cours d’éloquence pour les trois niveaux du lycée et pour les quatrièmes au collège.

2. Quand et comment avez-vous commencé à former les élèves ? Sur quels niveaux ?

Une dizaine d’années après ma sortie du Conservatoire, je pense. J’avais déjà écrit et mis en scène. On m’a proposé de diriger un atelier-théâtre avec des lycéens en me donnant carte blanche. A peu près à la même époque, une professeure de Lettres m’a fait venir à l’Université de Lille III pour une série de cours en duo, ce qui était – et reste – peu courant, je crois… J’en garde de très beaux souvenirs, quelques amis et des enseignements divers. Un notamment qui concerne particulièrement l’enseignement de l’éloquence : le théâtre n’est qu’un outil parmi d’autres.

Il permet, certes, de faire comprendre l’importance de la diction, de la projection sonore, de l’expressivité, de l’incarnation d’un texte quand on le lit… Mais un orateur est aussi un auteur : il doit créer son texte, le construire, l’argumenter. Il doit maîtriser la langue, jouer du pouvoir des mots, du style. Si je peux aider les élèves à comprendre cet aspect de l’éloquence, c’est aussi parce que je suis un lecteur passionné, et parce que j’écris des textes…

3. Qu’est-ce que l’éloquence ? Pouvez-vous la définir ?

Les dictionnaires nous disent que c’est l'art de bien parler, de s'exprimer avec aisance, afin d'émouvoir, de persuader, de convaincre…

Il y a trois langages : le corporel, le verbal et celui des yeux, qui est aussi un langage corporel, mais si particulier, si essentiel qu’il me semble légitime d’en faire un langage à part. Le langage verbal est complexe, il caractérise l’humain en le distinguant des autres mammifères qui émettent des sons, qui vocalisent, qui ont une intelligence et une sensibilité mais n’ont ni mots, ni syntaxe. Sans langage verbal, et donc sans écrit, il n’a pas de civilisation possible, pas de culture : « Au commencement était le Verbe ». Je n’y mets évidemment aucune connotation religieuse, malgré l’étymologie du mot Charisme : « don de Dieu ». Quoiqu’il en soit, l’éloquence requiert la maîtrise de ces trois langages. On peut alors capter l’attention d’un auditoire, soutenir son intérêt, le faire réagir, le séduire. Une prise de parole peut être une prise de pouvoir…

4. De quoi ont besoin les élèves aujourd’hui ?

Peu savent construire leur prise de parole. Il faut leur apprendre à organiser leur discours, l’introduire, le développer et le conclure. Ils ont du mal aussi à synthétiser, car leur syntaxe manque de rigueur et leur vocabulaire de précision.

Ils doivent apprendre à gérer leur stress, à le relativiser, le « retourner », à s’en servir comme d’un tremplin pour le transformer en cette adrénaline positive qui donne envie de gagner.

Leur lecture à voix haute des textes est souvent laborieuse, monotone et trop rapide. C’est un exercice très utile : aux élèves de première qui préparent l’oral de français, je demande de lire la langue de l’auteur « sans accent », c’est à dire d’être l’auteur inventant les phrases devant nous, d’avoir un rapport cinématographique au texte. Il faut superposer trois étapes : d’abord la lecture syntaxique, puis la lecture prosodique, et enfin, la lecture expressive. Et, bien entendu, respecter la ponctuation et la nuancer. Si on renouvelle cet exercice assez souvent, la mémoire auditive va faire son travail et l’orateur en fera son profit.

Il y a enfin une chose capitale à répéter sans cesse : le silence est une ponctuation sonore. Les silences sculptent la phrase, lui donnent du relief, de l’expressivité.

5. De quoi ont besoin les enseignants débutants aujourd’hui ?

De dépasser leur savoir académique, qui reste évidemment fondamental. D’oser solliciter l’imaginaire (celui des élèves mais aussi le leur). C’est un monde infini qui nourrit la création. Il me semble que considérer les élèves comme des créateurs est un pari très raisonnable.

Même si l’enseignant n’est pas un comédien, il est, d’une certaine manière, en représentation, il lui faut soutenir l’attention de la classe. Ne peut-on pas imaginer de rendre les cours un peu spectaculaires ?... Il ne s’agit pas de faire un numéro de cabotin, mais de créer – avec le regard, les contrastes rythmiques, les silences – une sorte de suspense : apprendre un fait historique, scientifique ou littéraire, c’est un peu comme apprendre une nouvelle étonnante. Finalement, un raisonnement est une sorte de récit, non ?

Et, comme pour les élèves, je pense aussi au travail sur la prosodie que je poursuis depuis plusieurs années. Cela   concerne   au   premier   chef   les   textes   poétiques, mais   pas uniquement. C’est une approche sensuelle des textes… Je ne suis pas sûr qu’on en parle beaucoup aux futurs professeurs de lettres pendant leur formation.

6. Que proposez-vous d’apporter à chacun ?

La jubilation. La transmission peut être, doit être ludique, joyeuse : jubilatoire.

Dernière modification le jeudi, 11 mars 2021
Roux Delphine

Deputy Head du collège EIB Monceau à Paris