fil-educavox-color1

A destination des personnels d'encadrement, la journée ETAPP-IA* s'est déroulée le 22 janvier 2025 à Bordeaux. Elle a été pilotée par le Service Inter-Académique de la Formation des Personnels d’Encadrement de la Région académique Nouvelle-Aquitaine (SIA-FPE), les Ecoles Académiques de la Formation Continue (EAFC) des académies de Bordeaux, Poitiers, Limoges et leurs Délégués Académiques à la Formation des Personnels d'Encadrement (DAFPE) et organisées par le service régional académique pour le numérique éducatif (SRANE). Conférence de Colin de la Higuera, professeur d'informatique à l'université de Nantes : "L'IA dans l'éducation : évolution ou révolution ?"

 

1 Capture décran 2025 02 14 082215

Un autre titre aurait pu être donné : « l’impact de l’IA sur les pratiques pédagogiques : enjeux et opportunités ». Je voudrais d’abord remercier et présenter deux objets : la chaire UNESCO RELIA (Ressources éducatives libres et intelligence Artificielle) (diapo) et un réseau plus international UNOE (diapo) sur la question de l’éducation ouverte, qui rejoint la question de l’IA, car elle en est une réponse.

Qui suis-je pour me poser ces questions ?

Mon thème de recherche principal est l’apprentissage automatique. Mes lettres de noblesses : le projet IA4T, projet européen de partage ayant conduit à la production d’un MOOC et d’un open-space book :

« l’IA pour l’enseignant : un manuel ouvert » (https://www.ai4t.eu.textbook).

Vers les étudiants, une réflexion venant de l’UNESCO est de se dire que, après le COVID et avec l’arrivée de l’IA « il faut que ça change ». On en vient à penser que l’éducation de demain sera très différente de celle d’aujourd’hui ; et les jeunes doivent faire partie de cette décision.

On a posé cette question terrifiante : maintenant que l’IA fonctionne a-t-on encore besoin d’apprendre ? De quoi un jeune est-il convaincu ? Pourquoi se lève -t-il le matin ? Le discours « pour avoir un métier demain » manque à fonctionner ». Pourquoi huit ans d’anglais, pour un apprentissage imparfait alors qu’une IA répond tout de suite à nos besoins d’échanges ? Sur Netflix j’ai accès à tout ce qui m’intéresse quelle que soit la langue.

Quelques grands défis ?

Je suis un fan de plein de choses qui sont très bien dans l’IA mais je suis aussi agacé par le discours de ceux qui nous vendent les outils. J’ai un discours plus mesuré.

Le premier défi c’est le déni (diapo), les blocages : ces technos qui ne vont pas marcher, qui ne vont pas durer (on parle de la bulle de l’IA, de trop d’investissements) ... On attend l’arrivée du détecteur, l’arme fatale. Ainsi, pour proposer son utilisation, peut-on avoir confiance ? Ne doit-on pas être le garant du mieux qui était ce qui était avant ? Certains pensent que cela ne marche pas (cf. les hallucinations). Mais je préfère parler d’IA qui fait des erreurs, ce qui va me permettre d’être critique, et de dire que nous sommes obligés de comprendre ce que l’on fait. Imaginez vous d’un point de vue pédagogique les conséquences que cela aurait.

A 1 déni Capture décran 2025 02 14 093223

Le second défi c’est l’irresponsabilité : c’est le slide le plus polémique. Un des problèmes, lorsque l’on échange avec des collègues et des étudiants, c’est que « ces gens » font peur : ainsi la suppression du décret de 2023 sur l’IA de Jo Biden qui donnait quelques cadres. Quand Marc Zuckerberg proclame « on ne fait plus de fake-checking sur Facebook », c’est juste de l’irresponsabilité. Avec Altman, on admet que la super IA est officiellement un programme de recherche : il le faisait mais maintenant il n’a pas peur de le dire. Cela présage -t-il de la fin de la civilisation ?

 

Enfin le défi de la complexité : comprendre tous les enjeux, c’est difficile. Tout cela nous revient au moment où nous essayons de concevoir de utilisations en classe. Certains disent : « je ne veux pas y aller ». Il va falloir trouver des solutions pour y répondre. C’est compliqué : c’est un vrai obstacle ? On passe son temps à interpréter l’IA. Mais c’est le monde numérique et il y a du sens commun dans le monde numérique qui n’est pas le même que dans le monde physique. La manière de penser les choses sont différentes.

Evolution ou révolution ?

*D’une part l’IA, c’est d’abord une évolution : elle révèle des choses qui existaient déjà.

L’IA résout des problèmes existants que l’on résolvait difficilement ou mal. Elle découvre les biais qui sont dans les données : par exemple historiquement ceux qu’on a utiliser pour favoriser l’homme blanc. Lors que chatgpt a été utilisé pour faire des devoirs à la maison, ça été un scandale : mais on trichait déjà, chatgpt montre le biais. Ainsi pour le contrôle continu à la maison. L’IA montre aussi le côté éphémère de l’éducation. Par ailleurs, avec l’arrivée de l’IA, on accède à l’augmentation non de la qualité de la recherche mais de la quantité de la production scientifique.

*Une évolution encore car un algorithme de Machine Learning remplace le principe d’apprentissage par une optimisation de la fonction qui trouve et minimise les erreurs.

La fonction choisie est une trame mathématique qu’utilisent toutes les IA (cf. diaporama : comment fonctionne un algorithme de Machine Learning ?). Cette technique a permis à l’IA de se développer. Ne faisons-nous pas la même chose avec l’éducation ? A force d’avoir des fonctions objectives qui sont importantes est ce que je ne remplace pas le problème des apprentissages par ce problème de trouver le zéro ?

*Mais l’IA c’est aussi une révolution à cause de ceux qui mettent de l’argent de manière considérable dans l’IA et l’IA en éducation, qui devient un banc d’essai pour l’IA.

A 1 Marché Capture décran 2025 02 14 093643

Les IA se concurrencent sur les benchs (bancs d’essai), tests venant du monde de l’éducation. L’éducation est un marché.

*Plus important est que les étudiants s’en emparent.

Un certain nombre d’études montrent que ça marche, pas seulement pour avoir des bonnes notes mais aussi pour différents usages complémentaires aux cours. Entre cours particulier et chatgpt, qu’est ce qui marche le mieux ? Une étude révèle que 85% des étudiants interrogés disent que chatgpt « ça marche mieux ». Des choses importantes sont dites dans l’analyse : chatgpt ne juge pas ; ils peuvent formuler plusieurs fois ou différemment leurs questions ; chatgpt est toujours disponible.

(https://www.intelligent.com/new-survey-finds-students-are-replacing-human-tutors-with-chatgpt/ octobre 2023)

A 1 élèves Capture décran 2025 02 14 093807

*Une autre étude de l’OCDE (PISA) montre que le travail en binôme avec chatgpt donne de meilleurs résultats : (https:/www.oecd.org /en/topics/articial-intelligence-and-éducation-and-skilles.html)

 Les compétences : l’important c’est la question 

A 1 Comp Capture décran 2025 02 14 094102

Ce qui est compliqué est que ces compétences sont peut-être évolutives.

La première utilisation par les étudiants est de l’utiliser comme un moteur de recherche ; puis on se rend compte que c’est une conversation, ce qui suppose d’avoir des connaissances, du vocabulaire.

Savoir poser des questions est en train de devenir une compétence absolument importante.

On peut se demander si, là où on a été dans une éducation dont le but était d’apporter des réponses, on ne doit pas avoir une éducation qui vise à ce que les gens sachent poser des questions. Les interactions entre élèves les y encourageraient plus que la parole de l’enseignant. Les meilleurs élèves tirent de ces interactions un bénéfice énorme ; les "mauvais" élèves aucun. La barrière numérique ce n’est pas la taille du portable qu’ils ont. La barrière numérique c’est la barrière culturelle.

Questions du moment :

Je n’ai pas un discours construit dans lequel j’ai une idée fondamentale que j’essaie de prouver, j’essaie de mettre en phase un certain nombre de choses.

Ainsi, en fonction de l’école, peut-il y avoir, à l’échelle des enjeux éthiques et politiques, des IAs vertueuses ? Ceci suppose une cahier des charges des responsabilités en matière d’environnement, de consommation, de protection de données, ne pas participer au pillage des connaissances, proposer un scénario pédagogique ?.. Comment répondre à ce souci ? Un modèle, recoupant ces contraintes éthiques, est proposé par Vanessa NURROCK (Chaire UNESCO à Nice)

 

Quelle place pour l’esprit critique (Salle) ? Il faut travailler sur l’esprit critique, faire attention aux discours. Par exemple on dit que l’on peut coder grâce à l’IA.  Là doit intervenir l’esprit critique : si on laisse à toutes les IA le rôle du codage, tout va se transformer en boîte noire, sans avoir la moindre capacité de jeter un œil. L’esprit critique ce n’est pas juste de la philo, c’est aussi culturel. Pour savoir ou l’on va lorsqu’on utilise l’IA, on peut regarder le résultat de l’IA, pas forcément pour tout comprendre, mais avec assez de points pour re-regarder, vérifier.

 

Comment faire pour apprendre à poser des questions (Salle) ? Je n’ai pas de bonne réponse. Le système éducatif américain a des défauts mais il encourage les élèves à poser des questions. On peut regarder au niveau international comment les autres font. On peut remercier des questions que l’on vous pose.

 

Un risque serait un automatisme de l’élève vers l’IA au détriment de l’enseignant devant l’incompréhension d’une question (Salle) ? L’esprit de l’élève ne va-t-il pas se formater par l’utilisation de l’IA ? Le risque est que l’élève se dise « j’ai un plan B, je vais demander à l’IA, je n’ai pas besoin de comprendre en classe ». Ce n’est pas en interdisant que l’on va résoudre la question, plutôt en encourageant à poser les questions en classe.

 L'intégralité de la conférence

Franc Morandi

ETAPP-IA : "L'IA dans l'éducation : évolution ou révolution ?" par Colin de la Higuera

Licence Creative Commons

 

* ETAPP-IA : Echange, transformation des apprentissages et des pratiques pédagogiques en intelligence artificielle. 28 janvier 2025 : https://lnkd.in/eX_w5NNy

Support : 1-ETAPPIA_conference-colin-de-la-higuera.pdf

Dernière modification le jeudi, 20 février 2025
Morandi Franc

Professeur émérite de l'université de Bordeaux
Cognition, modélisation des systèmes et des fonctions mobilisés par les apprentissages
Epistémologie de l'information, ingénierie et construction de connaissances
Humanités numériques
Didactique professionnelle
CNRS, UMR-5218 IMS/ISCC, Équipe RUDII (Représentations, Usages, Développement des Ingénieries de l'Information), Groupe Cognitique, Bordeaux, France.

Membre du conseil d'administration et du conseil scientifique de l'An@é