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Choisir de s’exprimer sans appuyer sa pensée sur des références faisant autorité, c’est prendre le risque d’être conduit à devoir justifier toutes les réflexions proposées. Pour cette fois, j’ai décidé de prendre ce chemin d’écriture en abandonnant la forme qui me permit de faire une carrière universitaire pour les notions d’éducation et d’instruction. Cependant, l’auteur ne peut laisser le lecteur sans avoir la connaissance des principaux auteurs qui l’ont guidé pour écrire ces quelques lignes. 

La décision fut prise après la lecture de La vallée du silicium d’Alain Damoiseau.

Elle se trouvait confortée par des auteurs dont nous ne retenons que quelques noms parmi tant d’autres, Pierre Schaeffer, Jacques Ellul, Jean Baudrillard, Françoise Dolto, Edgar Morin, Lucien Sfez, Toby Nathan, Luc Julia, Marius Bertolucci, Jérôme Béranger, Jean-François Céci, Boris Cyrulnik….

La rumeur, des études scientifiques, des essais, des discours politiques promeuvent des produits technologiques et commerciaux qui sont le plus souvent dépendants de combinaisons d’arbres de décision, établis à partir d’algorithmes mathématiques qui autorisent des procédures statistiques ou probabilistes.

Quotidiennement, des évènements, des études, des réseaux d’information officiels ou « dits sociaux » relatent les effets de ces productions ; elles sont devenues des objets de consommation pour les jeunes et font partie d’enjeux financiers et politiques grâce à la production industrielle et commerciale des réseaux numériques.

Une question est posée : quelle place occupent-ils dans l’éducation ?

Si la production d’études sur les effets des comportements des jeunes est importante comme signal d’alarme, elle ne peut répondre aux questions de l’éducation qui dépend de la conception que l’on a de l’enfant. 

Cette conception de l’enfant peut relever d’un modèle construit par les adultes soit en fonction d’une représentation qu’ils ont d’eux-mêmes, soit dans le but d’une adaptation à un type de société qu’ils ont décidé et imposé. Le plus souvent, les deux modèles sont interdépendants, seul le locuteur donne la prédominance à l’un ou à l’autre. Du point de vue personnel, la représentation de soi est alors un modèle qui reprend les codes de la société sans possibilité d’en saisir le sens et ses effets. Les expressions « je suis » et « j’ai été instruit pour …. » expriment des conditionnements appréhendés de deux façons différentes.

L’éducation est alors une instruction qui modélise les comportements pour répondre aux objectifs déterminés par la décision de quelques adultes exerçant un pouvoir. 

Une autre conception de l’enfant dans l’histoire du monde occidental s’inscrit dans une remise en cause de la précédente en soutenant que l’enfant doit être libre de construire sa propre histoire. Pour apporter une solution aux conflits nés entre la liberté d’action donnée à l’enfant et les normes édictées dans son environnement, deux tendances se dégagent : soit un système politique prévoit une réponse par l’injonction pour éviter toute atteinte à son pouvoir, soit une action responsable organise un débat qui analyse le modèle institué pour qu’une prise de conscience existe.

Cette seconde orientation récuse une instruction bâtie autour de normes édictées par les adultes, elle propose une reconnaissance des aptitudes propres de l’enfant, précédant toute présentation des objectifs institués par le pouvoir des adultes.

Les apports des neurosciences, de la psychologie, de la biologie en particulier, au cours des 20ème et 21ème siècle vont conforter ce choix et apportent une nouvelle dimension à la finalité de l’éducation.  Les adultes n’ont pas seulement à accompagner l’enfant, ils ont à prendre conscience que l’enfant dès sa période fœtale a des potentialités motrices, sensorielles, affectives et cognitives. Cette reconnaissance permet à ces potentialités de devenir des capacités en favorisant leur expression et en excluant les pratiques susceptibles de les altérer voire de les annihiler.

C’est dans ce contexte que l’enfant qui n’a d’expérience que celle vécue par l’intermédiaire de sa mère va rencontrer un environnement et y être confronté.

Quelles actions les adultes peuvent-ils avoir quand ce corps humain avec ses potentialités grandit dans leur monde, espace de sa vie qui, en ce 21ème siècle, lui fait côtoyer de nombreux objets informatiques et numériques ?

Le pouvoir d’un groupe politique fort d’une pensée unique sélectionne certaines potentialités de l’enfant et de l’adolescent.e. Il peut aussi ne reconnaitre aucune potentialité aux jeunes et modéliser ainsi ce corps humain selon ses propres normes. Dans les deux cas, les adultes produisent des outils spécifiques dont font partie les produits informatiques et numériques pour une éducation dirigée vers leur objectif idéologique. L’enseignement en fait aussi parti parmi d’autres comme en témoignent de nombreuses instructions officielles. 

Les débats s’inscrivent dans une confrontation avec une autre conception de l’éducation : celle d’une éducation dont la finalité est la reconnaissance des potentialités de l’enfant et de son autonomie.  Les adultes lui proposent alors des repères qui favorisent sa connaissance de l’environnement. 

En quoi ces deux modèles concernent-ils l’utilisation de la production industrielle, la commercialisation et la financiarisation des produits informatiques et numériques ? 

Cette production propose des objets « éducatifs » destinés soit à la parentalité soit aux institutions. Avec leur dimension politique, sociale et économique, les institutions et le matériel spécialisé sont partie prenante de l’éducation, telle est « l’école » quand elle se définit comme « espace clos », tel est le livre quand il est « diffuseur d’une information contrôlée ».

  • Soit ces objets proposés au public et aux institutions ont l’objectif d’accompagner le développement du corps humain porteur de potentialités.
  • Soit ils déclinent les différentes unités d’un programme établi par la décision politique au détriment des potentialités du corps humain. 
  • Soit ils correspondent à des enquêtes sur les attentes d’une consommation qui permettent de créer des marchés commerciaux ou politiques répondant à une volonté d’endoctrinement idéologique. Ils participent à la modélisation des attitudes et des comportements correspondant à des stéréotypes.
  • Soit ils permettent à chacun et chacune d’accéder aux controverses qui les concernent et d’y participer dans des réunions contradictoires en présentiel. Ils créent les conditions nécessaires à l’émancipation par la participation de chacun et chacune à la culture sociale et scientifique de leur proximité et d’une technologie mondialisée.

Mon regard porté sur des nouveaux nés et des enfants dans leurs premières années, puis mon expérience de parent ayant des enfants fréquentant les écoles maternelles, mes observations en tant que professeur dans les collèges et mes écoutes de l’enfance et de l’adolescence m’ont sensibilisé aux études scientifiques de ces dernières décennies. Les résultats proposés par les neurosciences et la biologie, qui utilisent les technologies informatiques et numériques pour faire aboutir leurs travaux et en partager les résultats, interrogent les pratiques éducatives existantes. 

Les travaux de Marianne Barbu-Roth (MBR), docteur en neurosciences, permettent aux adultes d’avoir une nouvelle réflexion sur leur place dans le développement de l’enfant dès sa naissance, en prenant en compte les potentialités du fœtus. 

Lors de l’accouchement, le fœtus participerait au travail de la mère ; il se propulserait en position ventrale, sortant successivement l’une et l’autre épaule et anticiperait le mouvement qui préside à la marche à quatre pattes. Cette potentialité demeurerait disponible au cours des 2 et 3 premiers mois pour devenir une capacité, « la marche à quatre pattes » entre 9 et 12 mois. Cette étude souligne l’importance de la reconnaissance des potentialités du fœtus puisqu’ils permettent le développement de la motricité de l’enfant. Grace à cette motricité, il découvre l’espace qui l’entoure en développant d’autres potentialités la vue, le toucher et l’ouïe par la rencontre d’objets lors de son déplacement. Ces expériences développent son approche cognitive du monde environnant. 

Dans le cas où cette potentialité du fœtus qui participe à sa venue au monde présente une déficience par exemple liée à une naissance prématurée, MBR propose un outil le crawlskate qui permet que l’exercice de cette potentialité dès la naissance en développe ses capacités.

Ces études, du point de vue éducatif, nous éloignent définitivement de l’emmaillotage du nouveau-né sans pathologie, encore pratiquée au milieu du 20ème siècle ; il immobilisait le corps des bébés après la naissance. Elles proposent de nouvelles finalités à l’éducation en se basant sur les potentialités du corps biologique qu’il faut distinguer des objectifs d’une éducation-instruction dont les objectifs sont définis par des normes établies par des groupes sociaux et basée sur le déni de ses potentialités.

Progressivement, l’enfant découvre les objets de son environnement, quelles potentialités, quel accompagnement de l’adulte lui permettent d’en faire un bien, c’est-à-dire que l’objet apporte un complément soit aux potentialités existantes soit aux capacités mises déjà en œuvre ?

Le mobile musical suspendu au-dessus du berceau en est un exemple. Couramment conçu comme objet utile à calmer, développer les sens de l’enfant. Il peut devenir un bien ici un bienfait pour l’enfant si les sons, les mouvements poursuivent ceux que le fœtus a ressenti avant sa naissance ; il développe les potentialités acquises tout en les complétant par de nouvelles expériences auditives et visuelles.

Dans cet exemple, l’adulte est un accompagnant quand il prend en compte les potentialités déjà acquises au cours de la grossesse, par exemple les musiques les plus écoutées par la future maman. Il en fait le déni quand il impose de nouveaux sons, sans prendre en compte le passé phonologique du bébé. La variété de thèmes musicaux disponibles sur les produits technologiques permet d’adapter ces musiques aux potentialités du bébé et de les varier en prenant la précaution que cette utilisation ne lui soit pas nocive.

Plus l’enfant grandit, plus de nouveaux objets s’inscrivent dans son environnement tels ceux qui sont propres à la personne-adulte et qui participent à leur vie quotidienne et professionnelle.

Par exemple au 21ème siècle, ce petit rectangle, le smartphone peut être perçu comme faisant partie de la main et du corps de papa et de maman, tant sa présence y est parfois répétitive visuellement et auditivement. Il n’est pourtant qu’un objet « à côté du corps » comme outil. Ainsi l’usage des écrans du téléphone portable, comme les travaux de Langis Michaud le soulignent, fait subir une stimulation constante à l’enfant.

Elle démontre qu’avant l’âge de deux ans, les potentialités, qui ont permis le développement du système visuel de l’enfant, ne permettent pas de supporter la stimulation constante par ces appareils électroniques. Serge Tisseron complète cette approche en déconseillant toute utilisation de cet objet avant trois ans dans sa règle 3-6-9-12. Cet exemple permet de saisir la place de l’adulte dans l’accompagnement de l’enfant, une finalité de l’éducation, en étant attentif à l’évolution de son corps biologique et humain.

Quand l’enfant grandit et commence à émettre des sons, il investit certaines des potentialités phonologiques acquises pendant la période fœtale en fonction de l’environnement de sa mère. Il débute un langage qui est expression et communication. Au cours de l’histoire du comportement des adultes, deux choix sont faits : l’un n’autorise que les sons qui correspondent à un nombre limité et institutionnel de phonèmes, par exemple 36 pour la langue officielle française, 44 en anglais, l’autre choisit de reconnaitre que la diversité et la multiplicité des potentialités est une base pour le développement du plus grand nombre de phonèmes.

Progressivement le cercle des rencontres s’élargit principalement avec la présence d’autres adultes et de la parentalité, avec la rencontre des objets environnants. La motricité participe alors au développement des sens. Pour exprimer toutes ces expériences, le jeune enfant va développer un langage qui poursuit la mise en acte de ses potentialités phoniques et auditives.

Ce langage ne se pas limite à l’émission de phonèmes, il comprend un bruissement qui en compose sa musicalité, il s’accompagne d’une gestuelle. Il est dans la continuité des potentialités du corps humain depuis la gestation et les acquis dûs aux multiples rencontres dans un environnement.

Mis en présence de ce langage naissant, l’adulte a tendance à vouloir éduquer l’enfant à sa propre langue, soit à une langue officielle qui correspond généralement à celle de l’État de son domicile. De ce fait il provoque l’abandon d’une pratique des nombreuses potentialités acquises au cours de sa période fœtale et des années qui suivirent.

En ce 21ème siècle, l’adulte dispose d’un grand nombre d’outils informatiques et numériques pour que, tout au long de sa croissance, l’enfant devenu alors un écolier soit formé à cette langue officielle. Si cet objectif existe depuis qu’une langue est conçue comme outil pour une unité nationale, les outils contemporains augmentent d’une manière exponentielle à la fois sa diffusion et les méthodes pour son instruction.

Dans ce contexte, la pratique de ces outils forme un ensemble à côté de la parole, expression d’un langage, elle sélectionne les phonèmes qui correspondent aux objectifs d’adultes ayant ses propres intérêts, une langue aux services de leur projet. Elle ignore les potentialités et les acquis cognitifs, vocaux et gestuels de la personne humaine. Les outils informatiques et numériques sont des biens pour une communauté d’adultes, ils demeurent des objets pour les enfants puisque leur est refusé qu’ils soient la mise en valeur de leur propre langage. 

Une question se pose, ces outils peuvent-ils devenir des biens pour les enfants au cours de cette période où le langage s’inscrit dans une recherche de communication avec l’autre : à la fois l’enfant cherche à attirer l’attention de l’autre et à communiquer avec lui.

Cette communication commence par la recherche de l’empathie pour y ajouter la quête d’un échange de dons où l’adulte ne perçoit le plus souvent que l’aspect informatif. Elle énonce toute l’accumulation des phonèmes acquis, richesse qui provient de l’environnement de la mère pendant et après la grossesse, des contextes les plus fréquents de la vie familiale et sociale de l’enfant dont les rencontres enfantines font partie. Cette parole libérée existe au sein des groupes d’enfants, elle se manifeste dès qu’un groupe scolaire est libre de s’exprimer non dans le rapport frontal adulte-enfant mais dans le rapport collectif sous le regard vigilant de l’adulte qui peut ainsi prendre le temps de prendre connaissance des phonèmes qui circulent entre les enfants et qui représentent leur histoire.

Les phonèmes, objets sonores, deviennent des biens qui permettent leurs échanges et aussi imposent leur existence en tant que corps humain avec ses paroles, ses gestes, ses sentiments exprimés. Il s’agit d’un bien collectif, un bien partagé par un groupe d’enfants, un bien commun.

Ce processus éducatif applique des résultats de la recherche en neurosciences et en biologie qui utilisent les produits informatiques et numériques de l’industrie.

Il nécessite de ne pas confondre leurs utilisations pour un projet scientifique suivi d’applications et leurs effets sur l’éducation qui traite des rapports humains permettant aux jeunes de prendre conscience des potentialités de leur corps dans son ensemble et de les mettre en actes.

Cette distinction nécessite d’ouvrir un débat en distinguant l’apport des outils pour connaitre les fonctions du corps humain et leur rôle dans l’éducation qui, à partir de ces connaissances, a pour finalité dans un premier temps, de donner des espaces pour le développement du corps humain, riche dès la période fœtale de potentialités qui lui permettent de développer ses capacités. L’éducation commence par la reconnaissance du corps biologique, qui est celle de ce tout jeune enfant. Un grand nombre d’éducateurs mettent en garde les parentalités pour qu’elles évitent que ce corps soit conformé aux normes d’outils informatiques et numériques, ils proposent une éducation qui laisse au corps humain le temps d’exprimer tout ce qui le compose ; les femmes et les hommes y puisent les ressources qui les accompagnent tout au long de leur existence. 

En plus de la richesse que ce corps possède et qu’il exprime, l’enfant découvre avec des fonctions, tels que sa motricité, son regard, son écoute et son langage, des espaces physiques et sociaux et il s’y confronte. Il rencontre aussi sur le chemin de son évolution des objets de toute sorte dont ceux de la production informatique et numérique. Son appréhension de ces produits est généralement faite dans un environnement proche des adultes qui ont de ce fait une responsabilité éducative. Elle ne peut passer par la connaissance de leur conception liée à des connaissances mathématiques et physiques qu’ils ne possèdent pas, sauf cas exceptionnel. La relation de l’enfant avec ces objets ne repose que sur l’usage qu’il en fait.

Cet usage lui donne l’impression de les posséder. Dans une société basée sur une économie commerciale, promotionnelle et financière, ces usages deviennent des enjeux dans les rapports sociaux qu’ils soient familiaux, amicaux, scolaires parce qu’ils sont pensés comme source de bénéfices sociaux et personnels. 

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Du point de vue de la question de l’éducation, il est donc nécessaire de traiter la place de cet « à-côté » du corps qui permet à l’enfant, à l’adolescent.e d’avoir des usages.

Jusqu’au milieu du 20ème siècle, les adultes apportent en présentiel à la génération montante l’ensemble des objets et des institutions qui lui permet de venir faire société avec eux. Selon leur culture et leur idéologie, ils mettent en place des procédures d’instruction ou des processus d’éducation.

Dès la fin du 20ème siècle, les technologies industrielles et les lois d’un marché régulé par les flux financiers développent la production et la commercialisation d’informations disponibles par les enfants et les adolescents.es en dehors de la présence physique des adultes responsables de leur éducation ou de leur instruction. Cet « à-coté » du corps remplace la relation inter-individuelle dont l’identité de chacun est reconnue par l’accès à un objet dont l’usage est perçu comme un bien alors que les modes et les objectifs de la production n’apparaissent qu’après analyse.

Dans un premier temps, les images et les sons diffusés par des firmes commerciales indépendamment de la présence des adultes responsables incitèrent à une réflexion sur leurs effets pour l’éducation et l’enseignement. Elle permit une première prise de conscience du rôle que les adultes, parentèles et enseignants, avaient à jouer dans le domaine de l’éducation quand les générations montantes avaient directement accès à des productions industrielles et commerciales dans le cadre de la société de consommation. Cette prise de conscience permit la réalisation d’expérimentations sur le terrain tel fut le cadre des expérimentations d’Initiation à la Culture Audio-Visuelle.

Dans un second temps, des groupes financiers accaparent les avancées scientifiques qui permettent de développer le traitement d’un grand nombre de données et leur diffusion et leur réception dans un temps bref. Ils produisirent industriellement les outils correspondant à ces deux objectifs. Ils organisèrent leur commercialisation afin de les rendre disponibles à tous et toutes, quel que soit leur âge. Une nouvelle situation éducative se crée : la spécificité de ce nouveau mode d’échange d’informations dont le mode promotionnel est une ambiguïté sur le vocable « intelligence », a de nombreux effets dans le domaine du rapport à l’éducation entre les adultes responsables et leurs descendants.

Le principal effet dont découlent tous les autres porte sur le fait que les adultes de la proximité se trouvent dépossédés de tout dialogue inter générationnel, processus d’éducation. L’outil technologique s’y substitue comme objet aux usages multiples dont les modèles d’éducation et d’instruction font partie. Il fait partie de ce qui accompagne chacun, chacune à côté de son corps c’est-à-dire de lui-même. Une revue de cette question est en permanence remise à jour par les faits de société qui résultent des usages et par les nombreuses études et orientations politiques qu’ils provoquent.

La question qu’elle pose : Existe-t-il un effet sur les procédures d’instruction et les finalités de l’éducation ?

Ces objets informatiques et numériques sont distincts du corps de l’enfant, de l’adolescent.e, ils sont à sa portée pour qu’il en fasse un usage.

Ils sont conjointement à la portée des jeunes, des adultes et des institutions. Le traitement presque illimité de données, leur diffusion par un émetteur et un récepteur dans l’immédiateté sur l’espace international permettent des usages multiples dont la responsabilité incombe aux parentalités et aux adultes responsables dans les institutions de l’enfance.

La revue de la question met en évidence que pour les institutions, qu’elles soient commerciales ou politiques, l’enjeu est la propriété de la production de cet outil. Cette propriété existe quand elles en possèdent l’ensemble des composantes. Elles doivent convaincre leur population que cet usage de leur bien matériel est fait pour une cause, telle la religion, la nation, le progrès. Si l’Histoire nous apprend que ce fut le plus souvent l’objectif de groupes sociaux, les performances techniques de cet ensemble telles que stockage, triage, diffusion, et les usages qu’elle propose comme images, sons, question-réponse, immédiateté créent des situations propres à amener l’enfant, le jeune à y chercher la mise en valeur de ses propres capacités, prolongement de ses potentialités. La propriété des entreprises productrices est un enjeu de pouvoir dans une société basée sur un marché à valeur financière et sur une nécessité politique de posséder les territoires qui recèlent les composantes nécessaires. De nombreux faits d’actualités et d’études sur les effets de ces usages incitent les institutions responsables de la jeunesse à se situer face à ces usages.

Deux attitudes apparaissent dominantes.

Les usages promus par la technologie, cet à-côté du corps, servent à l’instruction du jeune qui doit se conformer aux normes édictées par un groupe d’adultes. Dans une société basée sur les marchés, source de gains financiers, progressivement l’objet informatique et numérique se substitue au corps de la naissance que le consommateur remplace par un artefact. Dans un mode politique centralisé et autoritaire, le modèle décidé par le pouvoir se substitue progressivement au corps, il sera le seul qui permet aux composantes de ce corps de survivre en y sacrifiant toutes les potentialités et les capacités acquises depuis la naissance. Il devient le rouage d’un régime extérieur à lui-même, adulte il en partage les responsabilités. La biologie, la psychologie nous apprennent les pathologies qui sont les conséquences de ce renoncement à son corps.

Accompagner le développement de l’enfant, c’est pour l’adulte porter attention sur le rapport entre leur contenu et les potentialités du jeune. Éduquer pour l’adulte, c’est prendre en compte la dimension des usages qu’en fait ce corps, conçu comme un tout et non comme une somme de parties en référence à des disciplines académiques. Les spécificités de ces objets permettent des usages personnels dont l’appropriation par l’enfant porte le plus souvent sur le domaine de l’imaginaire puisqu’il s’agit principalement pour eux d’images, de sons et de paroles.

Elles concrétisent des relations interpersonnelles et collectives par des messages qui font partie de cet « à-coté du corps » qui crée un monde fictif dont le corps absent comme entité réelle est atteint dans son existence même :  le paradoxe est que plus le corps est absent, plus ce qui fait partie de l’« à-côté du corps », tous ces objets, outils, injonctions etc, s’y substituent par les usages que ce corps en fait.

Cela nous met sur la voie d’une réflexion que ces outils peuvent progressivement substituer une entité produite par la technologie et reflet d’un pouvoir au corps développé depuis la période fœtale. Éduquer correspond alors à accompagner l’enfant puis l’adolescent dans une réflexion collective sur les usages qu’ils font de cet « à-coté », sur l’utilité de faire de cet objet un bien.

Du 5ème siècle avant JC à nos jours, des philosophes s’attachèrent à démontrer que l’esprit critique est un processus éducatif, basé sur la raison, notion intellectuelle. Si cette formation de l’esprit fait appel aux potentialités des jeunes, l’introduction d’une culture des usages est une condition nécessaire pour mettre en place un processus éducatif. La méthode d’enseigner des pratiques suite à des études comportementales n’est plus suffisante quand les objets numériques et informatiques produits par les entreprises industrielles, commerciales et financières occupent l’espace social de la jeunesse.

Ces processus d’accompagnement éducatif permettent de saisir le rapport qui existe entre l’objet proposé et son usage. D’une part, l’éducation permet aux enfants et aux jeunes d’identifier ce que l’utilisation de l’objet leur apporte : il élabore un projet et débute une formation utile tout au long de sa vie. D’autre part, elle conduit à une réflexion sur le bénéfice du bien procuré par l’usage d’un objet et les coûts humains et écologiques de sa production par les entreprises industrielles, commerciales et financières dont son utilisation fait partager la responsabilité.

L’éducation avec ses deux finalités peut-elle éviter que les groupes de pouvoir n’imposent un modèle normé propre à leurs intérêts au corps humain du nouveau-né qui développe ses potentialités au cours de son évolution et forge sa propre identité au sein de la collectivité ?

Alain Jeannel    

Dernière modification le mardi, 02 décembre 2025
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.