Il donnait la priorité aux projets de ses étudiants sur ses propres intérêts que sa dernière publication, Mots croisés et psychologie du langage[1], met en évidence.
Dans cet ouvrage traitant des rapports qu'entretient le cruciverbiste avec le langage, il poursuit des travaux présentés en 1971 sur l’énonciation par des élèves en langage-langue d’algorithme logique ou mathématique qu’ils ont au préalable utilisé correctement. La question posée correspond à un des problèmes cognitifs et linguistiques que les utilisateurs des programmes numériques rencontrent aujourd’hui ce qui n’est pas un hasard puisque cette conférence fut faite dans un séminaire destiné aux enseignants du secondaire dont le thème était, « Etudes sur le fonctionnement des codes spécifiques »[2].C’est sous sa direction et son compagnonnage attentif que ce sont formalisées les propositions qui suivent. Elles concernent un autre champ que l’approche linguistique et sémiotique du langage, celui des rapports entre l’acte d’enseigner et la conception du projet de production industrielle.
Le livre Blanc, Croissance, compétitivité, emploi-les défis et les pistes pour entrer dans le XXIe siècle définit en ces termes la mutation attendue : « Le monde vit actuellement une mutation des systèmes de production, d’organisation du travail et des modes de consommation….
Cette mutation résulte du développement des technologies de l’information et de la communication. En particulier, les technologies numériques rendent possible …l’intégration dans un seul système de communication des données de l’information….Les structures et les méthodes de production en seront profondément affectées »[3].Lucien Sfez[4] avait auparavant indiqué une méthode pour traiter de l’évolution en cours : « Parlant de technique et de société, la question est de repérer quelles sont les structures qui permettent aux individus et aux groupes d’une société donnée de vivre en bonne intelligence avec les produits de leur industrie »[5].
Cette proposition est une réponse à l’évolution économique de la production : donner à la production comme finalité l’utilisation intelligente du produit par l’usager. Pour cela, il faut créer des espaces de dialogue entre les élèves, les enseignants, les parents, les ingénieurs, les commerciaux, les parents dont les synthèses alimenteront la réflexion des politiques, tel apparait une des finalités d’An@é.
Chaque espace relationnelle de type groupale a sa propre spécificité. En 1986 à propos de « la télématique au service des écoles », expérimentation et recherche que suivit Jacques Wittwer, un responsable du projet industriel résumait en ces termes le vécu de son expérience[6] : Intentions de la commandite, techniques et investissement disponibles, réalisation sur le terrain, choix raisonnées des techniques, répartition de l’investissement entre les acteurs. Quels acteurs faut-il mettre autour de la table ? Il poursuivait en prévoyant les actions d’évaluation, et envisageait que les retours d’expériences agissent sur le développement technologique, sur les usages, sur le fonctionnement du système, en allant de la finalité de l’acte éducatif et d’enseignement à l’investissement pour la maintenance sans omettre aucune des actions que le projet convoque. Comment organiser les relations entre les différents acteurs pour adapter le système industriel à l’école, à l’usage dans une finalité didactique et pédagogique ?
Confronté aux approches univoques développées par chaque représentant engagé dans le projet de conception du numérique à usage éducatif, la finalité de la production et de son usage n’est pas une réponse sommative mais la rédaction d’un cahier des charges concevant que les propositions antagonistes sectorielles sont complémentaires et produisent de l’organisation : c’est le passage du processus cognitif de la quête de l’univocité qui est imitation du modèle existant à celui de la complexité qui est créateur de modèle intégrant les tensions. C’est reconnaître que le projet de production et d’utilisation résulte des interactions entre les individus et crée une dynamique propre à tout projet éducatif[7] .
La mise en œuvre du projet, est pragmatique et scientifique. Pragmatique, elle distingue la compréhension de l’utilisateur et celle de la situation d’usage, en associant deux éléments, le numérique et l’humain, en envisageant que l’un ne supprime pas l’autre.
Prenant en compte les antagonistes et les analogies, elle multiplie les points de vue : le produit est créateur d’usages mais aussi l’usage participe à la production industrielle. Elle respecte chaque approche scientifique et pragmatique des acteurs sans épuiser les possibles, elle est un exemple de la spécificité de l’action éducative, elle est ouverte et non sommative. Cette finalité qu’enseignait Jacques Wittwer en reconnaissant la valeur propre de chaque proposition de ses étudiants apparait être un des axes directeurs que propose Michelle Laurissergues, Présidente de l’An@é[8].
Pr.Alain Jeannel le 8 mars 2015
[1] Jacques Wittwer, Mots croisés et psychologie du langage, L’harmattan, 2004.
[2] Jacques Wittwer, « D’une approche des rapports entre les structures linguistiques superficielles et profondes , et les structures extra-linguistiques » in Etudes sur le fonctionnement des codes spécifiques , Itlam-Crdp, Université et Académie de Bordeaux, 1972.
[3] Le livre Blanc, Croissance, compétitivité, emploi-les défis et les pistes pour entrer dans le XXIe siècle, CE, 1994.p.23
[4] Lucien Sfez, animateur du débat, "Nouvelles technologies, nouvelles pédagogies" le mercredi 30 août 1989, 10eme UNIVERSITE D'ÉTÉ DE LA COMMUNICATION Europe et communications, Carcans-Maubuisson.
[5] L Sfez, Critique de la communication, Seuil, 1988, p.18
[6] A. Jeannel, « Du circuit fermé de télévision à la Videomatique », in Télé Video Matique, CNDP Crdp de Bordeaux, 1982, p 93.
[7] Thèse d’Etat es lettres et Sciences humaines sous la direction de Jacques Wittwer : Alain Jeannel, Rapport entre la recherche dans les collèges et la recherche dans les institutions régionales et nationales ‘1959-1983), Université de Bordeaux 2, Juin 1985.
[8] Michelle Laurissergues, Présidente de l’An@é, Rapport moral assemblée générale du 7 mars 2015.
Dernière modification le lundi, 04 mai 2015