Sous le titre " Né pour apprendre ", sept personnalités scientifiques, témoignent des avancées de la science dans les domaines de la biologie, la génétique, la physique quantique, les neurosciences, les sciences cognitives, la sociologie et des sciences de l’éducation. Ils nous parlent de la diversité de nos ressources humaines et ils nous aident à clarifier les concepts d’autonomie, de perception, de compréhension, d’intégration, et d’apprentissage tout au long de la vie. Il est bon de reprendre le fil des pensées de ces chercheurs, aujourd'hui.
En préambule :
"Quand on coule, on s’accroche à tout ce qui flotte", "Les fleurs n’ont pas toujours existé ", "Le soleil ne cesse pas de briller au dessus d’un village parce qu’il est petit", "Quel intérêt de jouer d’un instrument à cordes si l’on n’a pas, au préalable, accordé chaque corde dans chaque octave" ?
Les personnalités scientifiques interviewées dans la série de films " Né pour Apprendre " ont tous signalé l’intérêt d’éviter certains ‘’pièges ’’. En effet, non seulement ces pièges consomment du temps et de l’énergie, mais ils déforment la nature du problème à résoudre, et ils détournent nos gestes d’apprenance efficiente, pertinente et cohérente.
Quelques suggestions pour construire en évitant les pièges :
"Le travail sera qualifiant si l’environnement est qualifiant", "Etre libre, c’est garder une interrogation devant le monde et être capable de voir en lui, à chaque fois, l’aube qui recommence", "Ecouter d’abord", "La seule évaluation possible est participante, donc formative". ..
Eviter les pièges
Première étape : savoir-découvrir
Il s’agit, grâce à notre sensorialité, afin de nous relier au monde qui nous entoure, de repérer le contexte où nous nous trouvons, et d’entrer en relation avec le monde physique (formes, couleurs, dimensions, texture, distances, odeurs, goûts…), avec les associations, relations, nuances que nos cultures ont établies pour forger ce que nous appelons la " réalité "
A ce niveau, le grand piège est la sensation d’évidence - nous prévient Cyrulnik, " parce qu’il reste mille représentations du monde qui créent chez mille autre personnes dans mille autre cultures mille autres sensations d’évidence, et il faut que je comprenne que d’autres ont d’autres certitudes. C’est en explorant les autres mondes mentaux que je pourrai enrichir mon propre monde mental "
Autre piège : s’enfermer dans une observation uniforme, correspondant à une contextualisation pauvre ou, à l’opposé, à un excès de contextualisation, c’est-à-dire une incapacité à prendre du recul par rapport au contexte immédiat (dans le temps et dans l’ espace). Le « pourquoi » de ce piège est à chercher dans une loi de la Nature dont il va être question : la complexité
Deuxième étape : savoir-reconnaître les lois de la vie
Nos normes culturelles sont variables, contrairement à celles de la Nature : la complexité, les différents niveaux de réalité (micro-, macro-…), la bio-diversité…sont des normes naturelles permanentes.
Le piège est de vouloir appliquer le même code, la même norme, la même échelle, les mêmes outils, la même démarche, quel que soit le contexte, quels que soient l’espace et la durée…
Un autre piège est d’ignorer l’alternance entre nos divers « possibles » et leur actualisation dans un ici et maintenant qui reste à découvrir, inventer, organiser, créer.
Ce qui arrive est un ‘’possible’’ qui s’actualise dans un ici et maintenant qui a déjà une histoire, et où l’inattendu a sa part. Le couple infernal ‘’réussite // échec ’’est culturel, binaire, quantitatif… Il est la proie du verbe ‘’avoir’’ et de ses acolytes (‘’posséder ‘’, ‘’peur de perdre ‘’, garder…). Contr’attaquons, en donnant toute la place au couple ‘’possible // non encore actualisé’’, de la famille des verbes cognitifs ‘’explorer’’ et ‘’découvrir’’
Troisième étape : savoir - (s’) organiser
Souvenons-nous : notre cerveau est l’exemple même de la caractéristique du vivant.
Pour Francisco Varela le cerveau est une structure biologiquement et anatomiquement sélective : il est construit pour « stabiliser le monde ». Il est évident que cette aptitude fondamentale doit faire partie de l’ action éducative.
Les pièges à éviter au niveau de cette troisième étape sont les différentes formes du dysfonctionnement dans l’organisation de la complexité.
Exemple : une conception linéaire, symétrique, causaliste de la réalité ; le redoutable ’’ ou bien… ou bien…’’ si cher à la langue française ; l’opposition obstinée des contraires, qui évite de proposer leur complémentarité et, bien sûr, leur réciprocité. Ces pièges accueillent nos redoutables étiquettes culturelles, nos ‘’prêts-à-penser’’, nos ‘’prêts-à-voir’’, et, les plus redoutables de tous, nos ‘’prêts-à-croire’’.
L’hypertrophie du ‘’savoir-organiser’’ est tout aussi redoutable.
Nous connaissons tous les ravages des généralisations (‘’les gens’’, ‘’on’’, ‘’ils’’…) et de ces étiquettes qui, dans nos langues occidentales, nient la diversité du vivant et sa capacité d’être en advenir. Un conseil de Francisco Varela, pour échapper à ces pièges : apprendre comment changer, qui, à lui seul, est une nouvelles discipline.
Quatrième étape : savoir- créer du sens
A cette étape, le piège consiste à se contenter d’une organisation qui a fait ses preuves, qui a contribué à construire un sens ‘’flottant’’, non-ancré, pré-donné, en provenance d’un ailleurs extérieur.
Dans ce cas, apprendre est synonyme d’absorber un contenu, et la connaissance est l’équivalent d’un recueil d’informations ou d’un miroir de la nature. Le grand piège à ce niveau est d‘ignorer que l’équilibre de chaque être vivant se trouve, selon les termes de Francisco Varela, dans un chemin de couplage. Un chemin, qui se crée en marchant, qui a donc une histoire, un avant, un pendant, un après.
A cette étape, l’absence dans notre boîte à outils de l’outil questionnement (et surtout de l’auto-questionnement) annonce un arrêt brutal de notre ancrage dans notre propre expérience, et surtout l’arrêt de l’autonomie de l’être-en-advenir que nous sommes.
Une erreur, et même une " faute " souvent commise au niveau de cette quatrième étape est de comparer le cerveau à un ordinateur. LA ’’faute’’ consiste à désincarner le processus de création du sens et d’ignorer la composante corporelle du processus de connaissance, c'està-dire le processus d’émergence du sens : le sens n’est pas donné, il se construit.
Ces quatre premiers savoir-faire correspondent, dans la théorie de Paul McLean, aux quatre premiers niveaux de notre relation à l’Environnement. Notre cerveau reptilien y est aux commandes pour réguler et régler les problèmes à ce niveau. Suivent, dans l’Arbre (et dans l’évolution), des problèmes qui dépassent le cerveau reptilien, et que le cerveau mammifère a géré, gère, et apprend à gérer avec de nouveaux savoir-faire.
Cinquième étape : savoir-choisir
Tandis que notre cerveau reptilien a pour tâche de régler nos relations à l’environnement, notre cerveau mammifère a la responsabilité de nos relations à l’Autre.
Rassurons -nous, nos capacités de sélection défient toute méthode de calcul.
Si tout s’est bien passé jusque là, si nous avons compris que, comme le dit Francisco Varela ‘’nous sommes choix, choix, choix ’’, le problème à régler est de savoir que choisir, où, quand, comment choisir, surtout dans quel but choisir. . .
Au cœur d’un contexte social, physique, technologique en pleine mouvance, il est évident que nos choix risquent constamment d’être orientés au nom de certaines priorités.
Le plus grave piège (il s’agit même d’une FAUTE), est de laisser quelqu’un choisir à notre place, c’est-à-dire nous imposer ses valeurs, ses réponses à ses propres ‘’parce que’’. Un choix issu des ‘’pourquoi’’ d’une autre personne que nous. Heureusement, André de Peretti nous rappelle que le choix se fait à l’école du vivant : par nous, par les autres, pour nous et pour les autres.
Le piège à éviter, ici, est donc d’éviter de voir dans l’enseignant un gourou, un ‘’sachant’’ qui transmet un contenu déjà prêt à l’emploi, qui attend des réponses à ses propres questions … dont il a déjà forgé les réponses !
C’est au niveau de ce savoir-faire que le verbe ‘’être’’ doit laisser la place au verbe ‘’devenir’’, et même ‘’advenir’’, puisque….. demain n’existe pas encore.
Le piège, pour l‘apprenant, consiste à éviter ou à renoncer d’entrer soi-même dans le questionnement, le sien. Pour l’éducateur, le piège est de proposer à tous la même approche, le même outil, et un unique support.
A ce niveau, pour tous les partenaires ( apprenant, éducateur, institution), le piège consiste à ne pas utiliser un outil présent et très utile : l’erreur. Comme le propose Bertrand Schwartz, de ne pas faire de l’analyse collective des dysfonctionnements est se priver d’un matériau pour construire le cheminement et la démarche de l’apprenance.
Sixième étape : savoir - innover
Il nous reste à rappeler et préciser que l’étape suivante est tout naturellement une étape de création.
Beaucoup d’entre nous aimeraient qu’elle intervienne plus tôt, mais l’acte de création émerge de ce qui a été observé, perçu dans la complexité, organisé, relié, choisi au cœur de l’inattendu…
Les pièges à cette étape sont nombreux : le plus redoutable est celui de créer POUR créer, POUR dominer, POUR agir, POUR posséder (sous toutes ses formes),… pour occuper l’espace.
Le piège est surtout redoutable parce qu’en espérant que la forme seule fera naître le sens, le vouloir-dire s’arrête là. Quand la forme se fige au niveau de l’idée, elle s’use, elle vieillit… Le regard de l’autre est ignoré. Il n’y a plus de place pour le pouvoir dire.
Septième étape : savoir- entrer en réciprocité
On s’étonnera, parfois, que l’échange avec l’Autre vienne si tard dans la montée dans l’Arbre.
Cette réaction est liée à notre conception de l’évaluation (rappelons !’étymologie : ‘’valeo’’, je vais bien), et au désir très occidental de vérifier sans attendre l’efficacité de notre démarche pédagogique.
Les pièges à cette étape seront évités si les risques du terme ‘’échanger’’ sont clairement posés : s’il s’agit à ce stade de trouver l’équilibre dans l’échange du ’’donner’’ et du ‘’recevoir’’.
Pourquoi ? Parce qu’une évaluation mal comprise est celle qui évalue uniquement des performances par rapport à un objectif quantitatif.
Reprenons l’exemple du vivant et de sa recherche d’équilibre. Quel que soit l’organisme vivant (monocellulaire, plante, insecte, mammifère, humain, société…) l’équilibre de cet organisme se construira grâce à son autopoïèse ( la construction de soi) ET grâce au ‘’couplage structurel’’, c’est-à-dire le double l’échange (réciproque) avec d’autres organismes vivants.
A ce niveau, les pièges à éviter sont, selon les termes de Bertrand Schwartz le ‘’tout formation’’, le ‘’tout travail’’, un projet imposé de l’extérieur, plaqué, ‘’ hors sol ; l’absence d’échange, de responsabilisation de chacun ; l’absence d’évaluation collective des dysfonctionnements; l’absence d’un temps de maturation ; l’absence de transition. …
Patrick Figeac
En Annexe, les points d’appui.
Un extrait du livre d'Hélène Trocmé-Fabre : "l'arbre du savoir-apprendre" dans lequel elle développe les stratégies et les points d'ancrage du sujet apprenant.
Education-Formation : à l’écoute des sciences du vivant
Que mettons-nous sous les mots « éducation », « formation » et « sciences du vivant » ? Que se passe-t-il lorsque nous ‘’éduquons’’ ? En quoi les sciences du vivant (la nouvelle biologie, les neurosciences, les sciences cognitives) peuvent-elles nous éclairer sur notre métier d’apprendre, sur nous-même, sur notre relation à l’Autre, sur notre recherche de sens quotidienne ?
En ce XXIème siècle naissant, nous traversons une crise aigüe jugée économique, sociale, politique, éthique…. Mais cette crise est véritablement d’une autre nature. Nous vivons en réalité une crise de perception.
Nous sommes devenus des géants technologiques et des pygmées de la perception. Nous ne voyons pas que ce que les hommes ont en commun est beaucoup plus important que ce qui les sépare.
Les sciences du vivant nous permettent aujourd’hui de renouveler, de relativiser nos concepts, de revisiter nos valeurs. Etre à l’écoute des sciences du vivant implique que nous sachions créer un espace et une durée d’interrogation indispensable à l’accueil des données, au changement d’angles de vue, de points de vue, ce qui nous permet de reformuler nos questions en termes structurels, fonctionnels, existentiels, et de replacer nos problèmes dans une perspective qui tienne compte des caractéristiques du vivant, et, en particulier, des exigences de notre cerveau, c’est-à-dire de notre corps tout entier.
Au cours des millénaires, des actes fondamentaux ont permis à l’organisme humain d’évoluer. Ces « savoir-faire » sont des capacités innées que notre organisme possède en naissant (et même avant de naître). Ce patrimoine est à conserver, à nourrir, à développer, mais, surtout, à découvrir par les intéressés eux-mêmes.
Que nous disent les travaux des scientifiques : quelles sont les grandes leçons du cerveau aujourd’hui ?
- des chiffres : une simple énumération donne une idée de notre fabuleux potentiel d’association, de connectivité, de créativité, de renouvellement… Ils ne laissent aucun doute sur notre capacité de flexibilité et d’adaptation.
Que faisons-nous de ce potentiel ?
- les nourritures du cerveau, donc du corps : la lumière et l’oxygène sont des conditions indispensables pour l’équilibre corporel. L’affectivité, les langages, les savoirs et les savoir-faire sont considérés aujourd’hui comme de véritables nourritures cognitives, ainsi que l’équilibre du ‘donner-recevoir’. Un autre type de nourriture, sans doute le plus important, est le respect de l’alternance, l’ouverture vers le nouveau, le « et si… ? » de la recherche vers l’adaptation, l’ajustement de notre « être là ».. !
Comment positionner nos efforts de soignants et d’enseignants pour que soient respectés les besoins vitaux du cerveau, véritable chef d’orchestre de notre équilibre biologique ?
- Le statut du cerveau dans le corps est celui d’un système ouvert qui fait de nous des êtres en recherche d’équilibre, c’est-à-dire en recherche de sens. ! Comment contribuer à ce que les actions, les perceptions de ceux que nous rencontrons professionnellement contribuent à leur propre recherche d’équilibre, de bien-être, de croissance ? Comment leur révéler les ressources qui sont en eux ?
- La nature de notre cerveau : le cerveau humain est essentiellement pluriel, évolutif, complexe,c’està-dire conforme aux lois de la nature et aux lois de l’Univers. Il semble que le plus important pour les professions de soins et d’éducation est de savoir que chercher à faire des prévisions pour un système complexe n’a pas de sens. Dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la formation, il n’y pas de place pour des certitudes pures et dures : laissons la vie et tout son mystère décider ! Cherchons « simplement » à être cohérent avec ce que nous savons du vivant.
- Le rôle de notre cerveau : il établit des couplages, construit des relations nouvelles avec notre environnement. Le cerveau fonctionne de jour comme de nuit, pendant le sommeil, pendant les rêves, et surtout pendant les pauses sensorielles (les silences en musique). Il est totalement activé lorsque la motricité des mains est en jeu. Le cerveau construit des images (visuelles, auditives, kinesthésiques, olfactives,…) à partir des stimulations en provenance de l’extérieur (à partir de nos organes des sens) ET de l’intérieur (nos expériences, nos mémoires, nos émotions…). Les recherches confirment qu’il existe un corrélat neuro-physiologique de l’acte volontaire : le cerveau est mobilisé AVANT l’acte lui-même.
Dans nos actes professionnels et personnels, il est essentiel de tenir compte du fait que la préparation de l’acte fait partie intégrante de l’acte lui-même. De même, la connaissance de l’objectif mobilise l’attention et participe ainsi à la réalisation et la réussite de l’acte. La pédagogie de projet a des bases solides.
Le cerveau humain est armé pour gérer la complémentarité
Notre cerveau pratique la complémentarité de ses trois composantes et de ses deux hémisphères : 300 millions de fibres relient l’hémisphère droit à l’hémisphère gauche ! l’équilibre du cerveau reptilien exige un espace, un territoire de survie, un contexte d’appartenance ! l’équilibre du cerveau limbique nous demande d’aimer, d’être aimé, de créer, de partager, de nous souvenir, d’entrer en relation avec d’autres vivants ! l’équilibre du cortex exige une durée de structuration et une durée de pauses. Il a besoin d’organiser, d’établir des relations avec ce qui est proche, lointain, différent, semblable… ! laissons-nous questionner par les sciences du vivant
Nous sommes donc biologiquement modifiables, capables de changement, équipés pour gérer la complexité, la différence, l’inattendu… Et, n’oublions jamais, la coopération, la sélectivité, l’auto-organisation, la diversité … sont au cœur de nos cellules.
La vie, que nous hébergeons pour un temps dans notre corps, est continuité : " elle ne commence pas, elle continue ". Cette phrase, prononcée par François Jacob au procès de Bobigny, s’applique à la phylogenèse, à l’ontogenèse, à chaque jour de notre vie quotidienne, à nos peines, à nos joies, au partage de la complexité dont est fait le tissu de notre vie, à l’évolution du vivant à laquelle nous participons - même si nous l’ignorons encore ! Hélène. Trocmé-Fabre, La Rochelle, Août 2016.
Dernière modification le mardi, 07 mai 2019