« Faire surgir cette beauté accidentelle que j’aime »
Cocteau se considérait d’abord comme un poète. Artiste pluridisciplinaire, il a porté un regard poétique sur ses différentes expressions artistiques : toutes les formes d’écriture, le dessin, la peinture, la céramique... « Le prince des poètes » a marqué le XXe siècle et croisé les personnalités qui ont fait l’art de la Belle Epoque à l’après Seconde Guerre mondiale. En quête constante de reconnaissance, très mondain et souvent incompris, il est victime de virulentes critiques.
Dans son œuvre, il questionne le moi et le thème de la mort est très présent – à l’âge de neuf ans, son père s’est suicidé. Le cinéma lui a permis de mettre en image sa vision poétique d’un monde onirique. La Belle et la Bête (1946) est le journal du tournage de son film chef-d’œuvre. Commencée fin août 1945, la réalisation a duré neuf mois. La guerre vient de s’achever et la période de l’Occupation a assombri son parcours.
Mais submergé par l’acte de créer, Cocteau s’enthousiasme : « J’habite un autre monde, monde où les lieux et les temps m’appartiennent. » Il est aussi décorateur, costumier, il maquille, devient électricien… Son travail s’inscrit dans l’attente pour saisir la belle image, la mettre en boîte : « Une chose qu’on a longtemps rêvée, imaginée, vue sur l’écran invisible, il faudra ce matin la rendre solide, la sculpter dans l’espace et dans la durée. » Au quotidien, il lutte contre une météo capricieuse. L’approche artisanale, très éloignée de la machinerie hollywoodienne, ressemble à celle d’un peintre. La séquence en plein air des draps étendus est traquée indéfiniment. Pour l’adaptation de ce conte de fées, Cocteau ne se ménage pas : « J’ai voulu, coûte que coûte, faire surgir cette beauté accidentelle que j’aime. » Il tombe malade, est hospitalisé. Jean Marais et d’autres membres de l’équipe sont également souffrants. Le maquillage de la Bête qui dure quatre heures est éreintant.
Tomber le masque
Cocteau par ce journal raconte le montage du film, les différents tableaux, les coulisses, ses sources d’inspiration : « Un film est une écriture en images et je cherche à lui communiquer un climat qui corresponde davantage aux sentiments qu’aux faits. »
Les deux autres livres du Coffret Cocteau sont complémentaires avec d’autres formats d’écriture. Poèmes (1953) et Théâtre de poche (1955) sont regroupés dans un même ouvrage. Cocteau est très libre. Les poèmes plutôt facétieux peuvent parfois sembler mélancoliques. L’écriture permet de tomber le masque.
Le Foyer des artistes (1947) est un recueil d’articles parus dès 1937 sur des spectacles vus à Paris. Il y fait des portraits d’artistes, revient sur des rencontres, tant de rencontres. Mais en cette période très tendue, « l’approche de l’orage se devine souvent entre les lignes ». Cocteau fait part de réflexions sur le music-hall, le théâtre, le public et il évoque ses créations comme le Ballet Parade (1917) qui avait associé Satie, Picasso et Diaghilev. Très attaché à son enfance – son œuvre foisonnante en a conservé la fraîcheur -, il confie des souvenirs : « Je confondais ingénieux et ingénieur. Et ma foi, en face de cet homme qui mène pêle-mêle les découvertes et les tours de passe-passe, j’ai envie de confondre encore. »
Fatma Alilate
Coffret Jean Cocteau – Les Editions du Rocher : La Belle et la Bête, Poèmes et Théâtre de poche, Le foyer des artistes
Parution le 02.10.2023, 840 pages, 25 €
Photo : Jean Cocteau ©Fonds Paul Ballerini Archives de l'Essonne
Couverture Coffret Cocteau