Pour faire court, on pouvait légitimement s’attendre, avec ce projet d’un nouvel enseignement de la morale, à ce qu’il s’éclaire naturellement et de manière opportune des potentialités offertes par le numérique, l’usage massif qu’en font les jeunes, les nouvelles formes de socialisation offertes par les réseaux sociaux, les enjeux formidables d’une nouvelle citoyenneté dans laquelle l’engagement prend toute sa valeur, le bienheureux renouveau de valeurs un temps oubliées, le partage, l’échange, le mieux vivre ensemble…
Oui, on pouvait s’y attendre. Dans ma grande naïveté, je m’attendais en effet à ce que cet événement soit l’occasion de réconcilier enfin les valeurs supposées traditionnelles, la morale, l’éthique, la laïcité… avec une certaine forme de modernité.
Dans leur rapport, disponible en ligne, les personnalités qui ont travaillé à le construire proposent des modalités de mise en œuvre de cet enseignement. Ils avancent notamment, dans le second degré, l’idée de s’appuyer, pour construire la nécessaire interdisciplinarité, sur certaines disciplines qui revendiqueraient, elles, leur vocation éducative. Je passe sur le cliché pour m’étonner tout de même qu’on n’attribue qu’aux seules disciplines littéraires la vertu d’avoir « à l’évidence une visée plus large que celle de l’acquisition des connaissances ». Qualifiées de disciplines d’éducation autant que d’instruction, elles se préoccuperaient, elles, « de la formation de la personne et se donneraient pour objectifs la transmission de valeurs, la construction du citoyen, la formation de l’esprit critique et de la raison, mais aussi celle du goût et de la sensibilité ».
Il s’agit là d’une vision pour le moins caricaturale et si peu avertie des champs disciplinaires et de leurs vertus respectives, à l’éclairage justement des modifications engendrées par la surrection du numérique, notamment dans le domaine de la transmission et de l’acquisition des savoirs.
Cette idée de disciplines d’éducation et de disciplines d’instruction est, comment dire ?… étonnamment « vintage ».
Mais le pire est à venir…
Les rapporteurs proposent que chacune des disciplines évoquées, celles qui, dans leur esprit, se préoccupent autant d’éduquer que d’instruire « favorise une compréhension des fondements de l’humanisme, et [puisse] en cela amener les élèves à se distancier par rapport à l’envahissement médiatique et numérique et les outiller pour répondre aux questions qu’ils se posent ».
Sic.
Je veux bien comprendre que l’éducation se préoccupe de proposer des perspectives et des outils aux élèves qui les mettent à distance de leur environnement culturel, pour mieux peut-être exercer leur sens critique. Mais comment comprendre, dans ce cadre, que les médias et le numérique puissent être vus comme des envahisseurs ? Des envahisseurs ! Par là-même, faut-il comprendre qu’ils sont inopportuns voire incongrus, ennemis de l’école ?
En soixante pages de rapport, il s’agit là de la seule et unique mention du mot « numérique » ! Même au lycée, ou un chapitre important est consacré à la vie lycéenne et notamment à l’exercice des droits lycéens, il n’est fait nulle part mention des droits nouveaux offerts de fait par le numérique et des usages que les lycéens en font, en matière de publication ou d’expression, par exemple ! Il n’est pas non plus proposé — ne rêvons pas ! — d’étendre ou de développer ces droits, comme d’en donner à des délégués élus au collège ou au premier degré !
Finalement, à y réfléchir, « vintage » était un bien petit mot gentil pour qualifier le décalage entre ce rapport et la réalité vécue par les jeunes, nos enfants, les élèves !
Michel Guillou @michelguillou http://www.neottia.net/