En revanche, les jeunes sortis de l’enseignement secondaire professionnel ou de l’apprentissage sont très peu nombreux à partir à l’étranger dans un cadre lié à leur formation. Ces indicateurs ne rendent toutefois pas compte de la diversité des expériences à l’étranger en cours d’études de l’ensemble des jeunes sortis du système éducatif une année donnée.
Depuis le lancement du programme Erasmus en 1987, l’Union européenne a multiplié les initiatives et les projets pour favoriser et étendre la mobilité à l’étranger des jeunes dans le cadre de l’enseignement supérieur, l’éducation et la formation professionnelle initiale. Dans l’enseignement supérieur, cette mobilité est au cœur de la construction de l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur (EEES) tel que l’ont fixé la Déclaration de Bologne en 1999 et les autres conférences ministérielles qui ont suivi. Plus récemment, dans le cadre de l’élaboration de la stratégie Education et Formation 2020 [1], l’Union européenne a étendu ses objectifs de mobilité des jeunes en études à ceux formés dans l’enseignement professionnel secondaire. Cette dynamique se traduit en 2011 par l’apparition de deux critères d’évaluation (communément appelés « benchmarks») de la stratégie Education et Formation 2020, précisant des objectifs à atteindre en matière de mobilités à l’étranger chez les jeunes.
Méthodologie des benchmarks européens
Dans le cadre de la stratégie Education et Formation 2020, l’Union européenne a fixé deux objectifs chiffrés portant sur la mobilité d’apprentissage (learning mobility)respectivement dans l’enseignement supérieur et dans l’enseignement secondaire professionnel incluant l’apprentissage. Ces deux benchmarks présentent la singularité d’avoir été adoptés par le Conseil éducation/jeunesse/culture les 28 et 29 novembre 2011, bien avant que les pays européens ne soient capables de les mesurer à partir de leurs systèmes statistiques nationaux.
Ces objectifs se déclinent de la manière suivante :
1/ Au moins 20 % des diplômés de l’enseignement supérieur devraient avoir effectué à l’étranger une période d’études ou de formation liée à cet enseignement, (y compris des stages) représentant un minimum de 15 crédits ECTS ou une durée minimale de trois mois ;
2/ Au moins 6 % des 18-34 ans diplômés de l’enseignement et de la formation secondaires professionnels initiaux devraient avoir effectué à l’étranger une période d’études ou de formation liée à ce type d’enseignement ou de formation (y compris des stages) d’une durée minimale de deux semaines.
Pour calculer le premier benchmark, Eurostat n’utilise pas les données d’une enquête comparative et internationale mais collecte des sources différentes pour chaque pays. L’indicateur est ensuite calculé en additionnant les mobilités de crédits (séjour à l’étranger pour obtenir un diplôme du pays d’origine) et de diplôme (séjour à l’étranger pour obtenir un diplôme du pays d’accueil).
Pour la France, la mobilité de crédits, constituant la majeure partie de la mobilité à l’étranger dans le cadre des études, est calculée à partir de l’enquête Génération 2013. La mobilité de diplôme en revanche s’appuie sur les sources administratives des pays d’accueil, et représente le nombre d’étudiants français inscrits dans les établissements supérieurs étrangers. Certains pays comme les Etats-Unis ne fournissent pas ces données, entrainant une sous-estimation de l’indicateur de mobilité.
Pour la première fois, en octobre 2018, la Commission européenne, à partir de la collecte d’Eurostat, a publié les données du premier benchmark (CE, 2018) pour les diplômés de l’enseignement supérieur. Ces indicateurs montrent qu’en Europe, en 2016, 10 % des étudiants ont effectué, à l’étranger, une période d’études ou de formation liée à cet enseignement, d’une durée minimale de trois mois et/ou ayant permis l’obtention de 15 crédits ECTS (European Credits Transfert System).
Pour la France, ce taux est calculé en partie grâce aux données de l’enquête Génération 2013 et atteint 16 %. Il est proche, bien qu’en deçà, de l’objectif de 20 % fixé au niveau européen, et voisin de celui de l’Allemagne (18 %) ou de la Suède (14 %). Il se situe entre celui du Royaume-Uni (4 %) et celui des Pays-Bas (23 %). Le cas du Luxembourg constitue un point extrême (84 %) compte tenu de la tradition très récente de l’université dans ce pays, dont la majorité des étudiants suivent leurs études supérieures dans les universités étrangères.
Chiffre clé
Le second benchmark, portant sur les jeunes issus de l’enseignement professionnel ou de l’apprentissage, n’est pas calculé à ce jour par Eurostat. L’enquête 2016 auprès de la Génération 2013 permet toutefois d’en donner une estimation pour la France : entre 3 % et 4 % des jeunes diplômés de l’enseignement secondaire professionnel (CAP, BEP et baccalauréat professionnel) ont effectué un séjour à l’étranger d’au moins deux semaines lié à cet enseignement. La cible de 6 % fixée dans le cadre de la stratégie Education et Formation 2020 n’est donc pas atteinte pour ces jeunes sortis du système éducatif en 2013.
Un accès encore inégal à la mobilité
L’exploitation des données de l’enquête Génération (voir encadré ci-dessous) permet de mettre en évidence la diversité des expériences à l’étranger des jeunes sortis du système éducatif, ce que ne restituent pas ces seuls indicateurs européens. Au sein de la Génération 2013, 324 000 jeunes (soit presque la moitié des jeunes de cette Génération) ont séjourné à l’étranger au cours de leur scolarité, tous niveaux de diplômes confondus. Les séjours effectués correspondent pour 20 % à une période d’études, pour 14 % à une période de stage – les deux motifs de séjour retenus par les benchmarks européens –, mais aussi pour 47 % d’entre eux à une période de vacances, pour 10 % à un séjour linguistique, pour 4 % à une période où les jeunes exercent un emploi à l’étranger et pour 5 % à un autre motif (bénévolat, voyage scolaire, conférence, etc.). Au-delà de la diversité des motifs, les destinations des séjours sont également très variables.
Chiffre clé
L’Union européenne est la principale destination des jeunes de la Génération 2013 partis à l’étranger durant leurs études (63 %), notamment le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne, suivie par l’Amérique représentant 15 % des séjours pour une période d’études ou de stage (voir carte). Les expériences de mobilité sont par ailleurs plus ou moins longues et, seuls 13 % des séjours à l’étranger durent plus de six mois. Ce chiffre souligne toute l’ambition de l’objectif annoncé par le président de la République le 26 septembre 2017 à la Sorbonne : 50 % de jeunes d’une classe d’âge doivent avoir passé au moins 6 mois dans un autre pays européen d’ici 2024.
Les expériences de mobilité transnationale durant les études sont liées à des caractéristiques socio-démographiques, résultat déjà observé pour les jeunes sortis en 2010 [3]. à diplôme égal, les jeunes dont les deux parents ne sont pas cadres, ceux issus de l’immigration et les jeunes étrangers étudiant en France partent moins souvent à l’international pendant leurs études. Les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville ont également moins de chances de connaître ce type d’expériences. Ainsi, alors que la mobilité à l’étranger pendant les études s’impose comme une injonction dans le débat public, l’accès à ces expériences demeure très inégal parmi les jeunes de la Génération 2013.
L'accès à la mobilité internationale d'études est encore très inégal selon le profil socio-démographique et scolaire des jeunes français
A ces inégalités s’ajoutent celles liées au profil scolaire : plus le niveau de diplôme augmente, plus les jeunes déclarent être partis à l’étranger pendant leurs études. Les non-diplômés, c’est-à-dire les jeunes sans diplôme ou ayant uniquement le brevet des collèges, et les diplômés de CAP-BEP sont les moins nombreux à avoir effectué des séjours à l’étranger (respectivement 23 % et 24 %).
Au sein d’un même niveau d’études, l’inégal accès aux expériences à l’étranger pendant la scolarité s’explique par des différences liées aux formations. Ces expériences vont en effet souvent de pair avec le processus de professionnalisation des formations, et sont plus ou moins institutionnalisées et historiquement ancrées selon les cursus. Les ingénieurs et les diplômés d’école de commerce, pour lesquels la mobilité internationale est partie intégrante du cursus [4], sont ainsi les plus concernés par les séjours à l’étranger (86 %).
Chiffre clé
C’est le cas aussi des sortants de doctorat (75 %) où ces expériences pendant la thèse sont valorisées, notamment pour accéder aux emplois de la recherche académique. à l’université, la spécialité du diplôme a son importance. Par exemple, pour les licences professionnelles, 62 % des diplômés de spécialités tertiaires ont séjourné à l’étranger contre seulement 45 % des diplômés de spécialités industrielles. De même, pour les diplômés de niveau bac+5 hors écoles de commerce et d’ingénieur : 68 % des diplômés de Lettres, Sciences Humaines, Gestion et Droit sont partis à l’étranger contre seulement 59 % des diplômés de Sciences et Techniques.
Derrière les objectifs européens, des expériences multiformes
Les deux benchmarks européens présentés précédemment portent uniquement sur les séjours réalisés dans le cadre d’un stage encadré par une convention ou d’une période d’études dans un établissement de formation, soit sur 34 % des séjours à l’étranger réalisés pendant la période d’études. Or, ces critères d’évaluation englobent en réalité des formes multiples de séjours à l’étranger qui ne concernent pas nécessairement les mêmes publics.
Afin d’illustrer cette diversité, une typologie a été réalisée sur les jeunes ayant effectué un séjour en lien avec leur scolarité. A l’aide d’une analyse de données, six « profils-types » (classes) de séjours ont ainsi été établis en prenant en compte le motif du séjour (stage ou études), sa durée, la manière dont il a été financé, et l’existence et la forme d’un mode de reconnaissance au sein du cursus suivi (diplôme, crédits ECTS, certificat de stage, etc.).
La mobilité étudiante dans l'enquête Génération 2013
Les résultats de ce Bref sont issus de l’exploitation des données de l’enquête Génération 2013. Cette dernière a été menée auprès d’un échantillon de 19 500 jeunes représentatif des 693 000 jeunes sortis pour la première fois du système éducatif en 2013 en France (métropole et DOM). Seuls les jeunes résidant en France au moment de l’interrogation, qui s’est déroulée d’avril à juillet 2016, sont concernés par l’enquête. Les jeunes sont interrogés notamment sur leur parcours scolaire ainsi que leur situation mensuelle d’activité pendant les trois années qui ont suivi la fin de leurs études.
La question de la mobilité étudiante est peu étudiée au travers des dispositifs d’observation du devenir professionnel des jeunes, que ce soit au niveau local ou national, et à ce titre l’enquête Génération est, en France, la source la plus fiable pour étudier ce phénomène. En effet, dans l’enquête Génération 2013, un module spécifique de questions sur les mobilités à l’étranger en cours d’études, cofinancé par l’agence Erasmus Plus et le SIES, a été ajouté au questionnaire principal.
La classe n°1 (9 % de la population étudiée) rassemble les séjours financés à l’aide de bourses internes au système éducatif (financement d’un établissement scolaire, d’un laboratoire, bourse sur critères sociaux…). Ce type de séjour correspond plus fréquemment à une période d’études (62 % des cas) qu’à un stage (38 %). Les durées de ces séjours sont variables, ainsi que la façon dont ils sont reconnus au sein du cursus de formation suivi.
Les deux classes suivantes regroupent des jeunes partis à l’étranger dans le cadre d’un stage. La classe n°2 concerne 4 % de la population étudiée, et regroupe des stages financés simultanément par une indemnité de stage et une bourse relevant d’un dispositif public externe d’accompagnement à la mobilité en cours de formation, soit européen (Erasmus +, Léonardo…), soit proposé par une collectivité territoriale (conseil régional, commune…). Pour 80 % de ces stages, la durée du séjour est de plus de 3 mois. La classe n°3 (30 % des jeunes étudiés) correspond aux stages qui ne s’appuient au plus que sur un seul de ces deux financements. Ces séjours sont pour 26 % d’entre eux financés seulement à l’aide d’une bourse relevant d’un dispositif public externe d’accompagnement, pour 29 % uniquement avec une indemnité de stage et pour 35 % grâce à la seule aide financière de la famille. La durée de ces séjours est variable. Dans ces deux classes, la reconnaissance du stage par un certificat est systématique à l’issue du séjour.
Chiffre clé
Les trois dernières classes concernent des jeunes partis pour une période d’études dans un établissement de formation. Celles-ci se distinguent à la fois par la durée des séjours, l’obtention ou non d’une certification et par le mode de financement du séjour déclaré par le jeune.
La classe n°4 (23 % des jeunes mobiles) concerne les séjours d’études longs et diplômants, financés par une aide familiale et/ou une bourse relevant d’un dispositif public externe d’accompagnement. La grande majorité (79 %) de ces séjours a duré 6 mois ou plus, et 18 % entre 3 et 5 mois. Ils débouchent presque tous (90 %) sur l’obtention d’un diplôme étranger et/ou de crédits ECTS. La classe n°5 (18 % des jeunes étudiés) rassemble des séjours d’études courts (82 % durent moins d’un mois) et non certifiants (95 % des cas). Dans la grande majorité des cas (87 %), leur financement repose uniquement sur la famille, les autres étant financés à l’aide d’une bourse relevant d’un dispositif public externe d’accompagnement. Enfin, la classe n°6 (16 % de la population étudiée) regroupe les séjours d’études sans aucune forme d’aide financière. Un tiers des jeunes de cette classe indique avoir dû travailler avant ou pendant son séjour pour le financer. Les durées des séjours et les certifications obtenues (crédits ECTS, diplômes, attestations…) sont diverses mais dans la grande majorité des cas (64 %), aucune certification n’est obtenue.
Des séjours qui diffèrent selon le niveau de formation
Les caractéristiques de ces séjours pour des motifs de stages ou d’études apparaissent fortement liées au niveau du diplôme préparé au moment du séjour (voir graphique). Ainsi seul un quart des séjours d’études courts et non certifiants (classe n°5) ont lieu dans le cadre des études supérieures, alors que c’est le cas de 53 % des séjours d’études sans aide financière (classe n°6) et de la quasi-totalité des séjours des autres classes.
Les séjours des classes n°5 et 6, qui préparent plus souvent à des diplômes de niveau secondaire, sont également ceux que les jeunes sont les moins nombreux à considérer comme ayant amélioré leur accès à l’emploi à l’issue de la formation (respectivement 39 % et 24 % des jeunes de ces classes). Par ailleurs, ces deux classes présentent les plus faibles proportions de jeunes dont le père est cadre et de ceux dont la mère a un niveau de diplôme supérieur à Bac +3. Ainsi, les jeunes d’origines sociales les plus modestes et les jeunes préparant des diplômes du secondaire pâtissent d’un double effet cumulatif : ils partent plus rarement à l’étranger pour leurs études, et lorsqu’ils partent, leurs séjours sont moins valorisables sur le marché du travail.
A l’inverse, les jeunes ayant effectué les stages de la classe n°2, ou les séjours de la classe n°4, sont les plus nombreux à déclarer un bénéfice sur l’insertion professionnelle (respectivement 80 % et 75 % des jeunes de ces classes). Ces séjours concernent très majoritairement les diplômés de niveau bac +3 et plus, soulignant ainsi les disparités qui existent entre les niveaux de diplômes.
Plus le niveau de diplôme augmente, plus les jeunes déclarent être partis à l’étranger pendant leurs études, et plus leurs séjours sont longs et diplômants.
Les objectifs européens visent à promouvoir la mobilité internationale en cours d’études, la considérant généralement comme un atout au moment d’entrer sur le marché du travail. Toutefois, ils ne reflètent pas, par leur globalité, la diversité des séjours réalisés, et ne permettent pas d’appréhender l’effet de ces derniers sur l’employabilité des jeunes. La typologie présentée ci-dessus souligne la concentration chez les plus diplômés des stages longs et des séjours diplômants, considérés par les jeunes comme les plus bénéfiques. Cela semblerait jouer dans le sens d’un cumul d’avantages pour ces derniers en matière d’insertion professionnelle.
Toutefois, à niveau de diplôme égal, les exploitations de l’enquête Génération sur ce sujet concluent plutôt à un effet limité sur l’insertion professionnelle en France après trois années de vie active. Une conclusion qui mériterait d’être nuancée car, d’une part, les effets sur les compétences (plurilinguisme, multiculturalisme, etc.) sont encore peu documentés [5] et, d’autre part, d’autres bénéfices peuvent être appréhendés, telles notamment les mobilités à l’étranger facilitées en début de vie active. En effet, les jeunes partis à l’étranger en cours d’études développent un « capital de mobilité » [2], qu’ils mobilisent souvent pour connaître d’autres expériences à l’étranger au moment de leur entrée sur le marché du travail. à ce jour, en France, il n’existe pas de sources nationales (administratives ou d’enquête) permettant d’éclairer l’ensemble des bénéfices de ces séjours à l’étranger en cours d’études, particulièrement auprès des jeunes français ayant durablement émigré.
C’est ce que se propose de faire l’enquête Génération à l’avenir. Plus largement, la question des mobilités des jeunes à l’étranger pendant et après les études interroge celle de la construction d’un marché du travail européen.
Article publié sur le site du cereq :
http://www.cereq.fr/publications/Sejours-des-jeunes-a-l-etranger-des-objectifs-europeens-partiellement-atteints-mais-un-acces-encore-inegal-a-la-mobilite
Auteurs : Julien Calmand, Alexie RobertCette publication est en partie issue d’une étude financée par l’INJEP, à paraître prochainement.