Un désajustement du système
L’intervention d’Alain Boissinot a porté sur trois points. On peut retrouver une partie de son intervention dans l’entretien qu’il a fait avec Isabelle Dautresme, et publié sur le site d’Educpros :Alain Boissinot : « Il est urgent de recréer une culture commune entre lycées et université ».
Il constate qu’une nouvelle architecture du système s’organise en France. L’école du socle, incluant le primaire et le collège, se constitue. C’est le modèle nordique qui semble donc s’imposer. Ensuite viendrait un deuxième bloc qui se profile avec la formule Bac – 3, Bac + 3. Dans ces deux blocs, le principe de continuité s’impose. Le troisième bloc serait celui du doctorat.
Le thème étant celui de l’articulation lycée-enseignement supérieur, il a signalé deux pistes de réflexions. Dans le deuxième bloc, l’orientation active est essentielle. Mais pour cela les enseignants du secondaire sont en difficulté car ils connaissent mal l’enseignement supérieur. C’est pourquoi il est nécessaire de favoriser le rapprochement des cultures par toute une série d’initiatives locales. Cette évolution ne peut se mener par circulaire. Donc organiser des rencontres le plus possible. C’est la tâche des recteurs de favoriser ces opérations qui supposent un engagement important des acteurs locaux. Et une deuxième piste concernerait l’utilisation des agrégés en développant le service partagé entre lycée et université.
Quelques remarques personnelles sur ce premier point.
Si cette tendance vers cette structuration existe bien, elle n’est pas partagée. Et l’on peut voir que les déclarations récentes à droite, ont un goût de nostalgie ! Certains frissonnent de plaisir à l’idée d’un retour de l’examen d’entrée en sixième ! Le basculement dans ce modèle n’est pas encore irrémédiable.
Concernant ce découpage du système, il existe un autre frein moteur, et celui-ci est bien interne à l’éducation nationale, ce sont les statuts enseignants : professeur des écoles d’une côté et professeur de lycée et collège de l’autre. On voit bien comment ce nouveau découpage du système remettrait en cause les frontières et la constitution des statuts, et la lutte syndicale qui serait déclenchée.
Enfin il est touchant de s’inquiéter du manque de connaissances des enseignants du secondaire concernant les formations du supérieur. Je n’ai jamais entendu une aussi grande sollicitude pour leur manque de connaissance de l’enseignement … professionnel en fin de troisième, et pourtant comme dit l’autre, « ils orientent » !
Pour son deuxième constat, Alain Boissinot a utilisé une métaphore : les aiguillages sont tordus. Les différents bacs n’ont plus de réelles poursuites d’études évidentes. De plus la répartition des bacs et les effectifs de cette répartition sont aberrants. Les bacs généraux sont moins de la moitié des bacheliers. L’effectif du bac S reste stable, alors que celui du ES s’accroit et que celui du L s’effondre. Le taux d’accès au bac de plus de 70% d’une génération a surtout été atteint par la création du bac professionnel (et son succès). Problème, le contenu de ces bacs professionnels, permet difficilement une poursuite d’études supérieures. Ils sont conçus pour aller vers l’insertion.
Le problème, entre autre, est bien lié à l’orientation fin de troisième qui est beaucoup trop sélective et qui ne fait pas assez confiance aux élèves.
Mais je rajoute que la seconde est aussi une deuxième voie de triage. La hiérarchie des bacs est toujours bien présente et dans tous les esprits. Le bac S n’est pas seulement le bac « scientifique », c’est surtout le bac pour les « meilleurs » et qui permet de maintenir le plus ouvert le champ des possibles.
Toujours dans ce deuxième constat, Alain Boissinot faisait remarquer qu’il y avait également une opposition dans les objectifs pédagogiques du secondaire et du supérieur. Dans le secondaire on avait une hyper spécialisation qui s’opposait à l’interdisciplinaire. A l’inverse dans le supérieur, on observait un mouvement vers l’ouverture des champs de savoir.
A propos de cette hyper spécialisation dans le secondaire, il me semble nécessaire de faire le lien avec la nature du bac : suite d’épreuves disciplinaires basées sur des programmes définis au plan national. Par contre le supérieur est beaucoup plus informel. Les diplômes y sont définis, au plan national par des fourchettes de masses horaires d’enseignement, dont le contenu est très peu défini.
Troisième constat, mais peu développé, c’est l’évolution des pratiques pédagogiques dues entre autre aux possibilités du numérique. Le mouvement de la classe inversée est d’une certaine manière un retour aux sources du lycée dans lequel le temps du cours était beaucoup plus réduit au profit de celui des études.
Sauf qu’il s’agit là d’initiatives toutes personnelles. Leur généralisation supposera un cadrage institutionnel officiel, un remaniement architectural des établissements, un fort engagement financier, et une nouvelle formation des personnels…
Les propositions de la STRANES
Sophie Bejean a rappelé quelques propositions de la STRANES qui devraient réduire la forte reproduction sociale de notre système scolaire. Elles portent également sur le droit d’accès à l’enseignement supérieur, et pas seulement à la poursuite en université.
1/ L’introduction d’une déclaration d’intention dès la première, portant sur le projet d’études.
2/ Le développement d’un conseil personnalisé exercé pas seulement par les COP ou les PP, afin d’ouvrir l’éventail des possibles, et donc exercé par un ensemble d’acteurs le plus large possible.
3/ Enfin instituer un conseil d’orientation, si j’ai bien compris, extérieur aux établissements afin de formuler un conseil éclairé.
On retrouve là certains ingrédients de la procédure d’orientation comme la déclaration d’intention, mais il semble que l’on ne soit pas dans un système de réglementation de la décision sur autrui comme c’est le cas dans la procédure d’orientation. Ici on serait dans un processus d’aide apportée à l’élève, futur étudiant, aide dans son choix d’études. La liberté soudaine de choix qui apparait seulement à la fin de la formation du secondaire est dangereuse. Les enfants des milieux favorisés sont accompagnés par leur milieu social et les ressources parentales, mais ça l’est beaucoup moins au fur et à mesure que l’on descend la hiérarchie sociale. L’organisation d’un conseil personnalisé et la tenue d’un conseil d’orientation peuvent un peu contrebalancer cela.
Mais comme je l’indiquais dans mon papier, ce conseil personnalisé, l’orientation active en étant une mouture, repose sur le temps personnel notamment des enseignants, qu’ils soient du secondaire ou du supérieur d’ailleurs. Les deux moments « institutionnels » sont donc la déclaration d’intention et le conseil d’orientation. Entre temps on reste dans l’informel, le volontaire, l’aléa, etc…
Une thématique absente des débats
Curieusement, la matinée a tourné autour d’une question non formulée et pourtant largement présupposée : que faire du bac ?
Le baccalauréat, ce monument de notre système, son point d’orgue, est de fait la clé de voute de notre système. Il est tout à la fois évaluation de fin d’études, autorisation à poursuivre, mais aussi découpage disciplinaire et unique objectif pédagogique du lycée, et par voie de conséquence de ce qui le précède. Il tient tout le système ! Philippe Tournier, sur ce site déclarait il y a peu : « Le lycée n’est pas organisé pour garantir la réussite des élèves dans le supérieur. On ne peut pas le lui reprocher, puisque cet objectif ne lui a jamais été assigné. À aucun moment, les programmes et les enseignements n’ont été pensés dans la perspective d’une poursuite d’études. »
Mais il semble bien difficile de formuler clairement la conséquence de ce constat : l’évolution nécessaire de notre système, indiquée par Alain Boissinot ou formulée par la STRANES nécessite la suppression du bac ! Si le bloc « bac-3-bac+3 » peut fonctionner, c’est à cette condition.
Bernard Desclaux
Article publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/10/18/echos-dune-conference-deducpros-sur-le-continuum-lycee-ens-sup/
Auteur : Bernard Desclaux