On peut d’ailleurs noter que ces rencontres intervenaient à point nommé, dans un climat où l’intelligence artificielle et la robotique font de plus en plus parler d’elles dans la société. On notera par exemple la sortie récente du dernier livre de Yuval Noah Harari, " 21 Leçons pour le XXIe siècle " (Harari est également auteur de Sapiens et de Homo Deus, on aime ou on n’aime pas, mais en tout cas ses livres ne laissent personne indifférent).
Robotique en éducation et intelligence artificielle
Après la traditionnelle conférence d’ouverture qui, on peut le noter, rassembla tous les acteurs de l’éducation (recherche, académie, ministère, ville et conseil régional), les rencontres ont commencé par une table ronde portée par Thierry Karsenti et Vanda Luengo, posant la question de l’état de la robotique et de l’intelligence artificielle dans l’éducation.
Que ce soit pour décharger l’humain de certaines tâches, pour personnaliser les apprentissages, ou encore, dans le cas de jeunes autistes, pour faciliter l’enseignement, l’usage de l’intelligence artificielle et des robots a fait ses preuves, selon Thierry Karsenti, enseignant-chercheur CRIFPE.
Les robots ne sont pas de futurs enseignants en puissance, mais de véritables aides à l’enseignement. Pour illustrer ce propos, il met à disposition une fiche listant " 26 impacts positifs et potentiels de l’arrivée de l’intelligence artificielle en éducation ", en téléchargement libre sur son site.
Le problème de l’IA, toujours selon Thierry Karsenti, c’est qu’il est largement détenu par des entreprises qui, malgré d’éventuels objectifs philanthropiques n’en ont pas moins une problématique économique. Ce qui pose d’évidents problèmes éthiques dans de multiples domaines (les algorithmes de recommandation, la reconnaissance linguistique des enceintes intelligentes, les voitures autonomes, etc.). D’où la volonté politique au Québec d’intégrer une sensibilisation obligatoire à l’IA dès le primaire.
Pour Vanda Luengo, enseignante-chercheuse MOCAH-LIP6 UPMC, on a avant tout tendance à confondre ce qui relève du learning analytic de ce qui relève de l’intelligence artificielle.
Le learning analytic, c’est l’analyse des traces, en enseignement, en mathématique, en statistiques, en vue d’une prise de décision humaine.
Les traces peuvent être analysées, compilées, et rendues digestes par des algorithmes, mais ce n’est pas la machine qui prend les décisions. C’est lorsque l’on s’approche de l’optimisation qu’on se rapproche de l’IA. Le learning analytic peut alors donner lieu à des comportements prédictifs (on peut prédire que l’utilisateur va s’arrêter, faire une erreur) et prescriptifs (en se basant sur les prédictions, on va prescrire une activité, un feedback).
C’est lorsque ces comportements se décident sans intervention humaine qu’on entre dans de l’intelligence artificielle, qui est définie par Vanda comme un " système conçu pour interagir avec le monde à travers un comportement et des capacités humaines ", avant de rappeler qu’on utilise des systèmes d’intelligence artificielle en éducation dans la recherche depuis déjà 20 ans...ce n’est donc pas aussi nouveau qu’on veut bien le croire.
Bruno Devauchelle renchérira sur cet aspect dans sa conclusion des rencontres en rappelant l’existence depuis plus de 30 ans des tortues Jeulin.
L’impact de la robotique sur le métier d’enseignant
S’il y a un domaine où la robotique a eu un impact significatif et facilement observable, c’est dans le domaine de la téléprésence. Que ce soit pour intégrer des élèves qui ne peuvent temporairement plus accéder aux cours ou pour rendre plus interactif l’enseignement à distance, la téléprésence s’est beaucoup développée ces dernières années.
L’avantage indéniable, c’est qu’elle permet de donner accès aux cours à des élèves qui, sans cette technologie, n’y accèderaient pas. Il y a donc un enjeu d’inclusion fort. Mais les difficultés sont également multiples : sans même parler des contraintes techniques, comment l’enseignant peut-il gérer tous les foyers d’attention potentiels ? Et comment réinventer la forme scolaire pour permettre la mobilité de ces robots, qui pour la plupart, se déplacent sur des roulettes ?
Apports et enjeux de la robotique pédagogique
Deux ans après l’inscription de l’apprentissage du code dans les programmes, où en sommes-nous ? D’un côté, de très nombreux enseignants ont été formés, comme Emmanuel Page, conseiller pédagogique de l’académie de Bordeaux, nous l’a rappelé. Du matériel est arrivé dans les classes, les usages se multiplient. Par ailleurs, et comme Antonin Cois l’a souligné lors d’une table ronde sur l’institutionnalisation de la robotique pédagogique, il existe aujourd’hui de nombreuses ressources pédagogiques, là où elles faisaient défaut il y a deux ou trois ans.
Pour Pascal Cotentin, les apports sont incontestables, car avec la robotique, on travaille les intelligences multiples avec un public plus large. On raconte des histoires, on résout des problèmes : on est dans l’action.
Côté résistances, Emmanuel Page nous a fait état d’un témoignage qui en dit long sur les difficultés de pénétration de la robotique pédagogique. Il doit en effet encore convaincre à l’intérieur même de l’institution qu’utiliser des robots en classe, ce n’est pas pour " faire joujou ", mais parce que les robots sont des objets de savoir.
Après ces conférences, les différents ateliers pratiques ont pu à leur tour montrer, par des exemples de terrain, la façon dont les robots peuvent être utilisés pour faire acquérir à la fois des compétences trandisciplinaires (co-création, collaboration, créativité, résolution de problèmes complexes), mais également pour mobiliser des connaissances disciplinaires (en français, en mathématique, en SVT, etc.).
On retiendra donc les scénarios pédagogiques de Cyril Mistrorigo, qui utilise la robotique pour faire lire entres autres l’enfer de Dante à ses élèves (lire son interview sur le site du Café pédagogique). Ou bien Margarida Romero qui donne des consignes de groupes aux élèves pour faire travailler leur co-créativité, leur collaboration, et leur capacité à créer un climat de confiance (on peut retrouver certains de ses travaux ici). Emmanuel Page est aussi là pour nous rappeler que former les enseignants à l’usage des robots, c’est bien, que de se déplacer dans les établissements, c’est mieux, mais que l’idéal, c’est de créer des événements, des festivals de créations où chacun peut s’exprimer et présenter ses projets.
Comme Bruno Devauchelle l’a également évoqué dans sa conclusion des rencontres, la robotique en éducation est également l’occasion de transmettre, à défaut de proposer des cours dédiés, de la culture numérique et de l’esprit critique à une jeunesse qui en aura bien besoin. Comment autrement préparer les jeunes à vivre dans un monde où l’on est passé " de l’automatisation du bras à l’automatisation de la pensée " ? Où l’informatique s’efface derrière des ergonomies de mieux en mieux pensées et qui imposent des usages ordinaires influencés par les neurosciences (voir à ce sujet le projet Ethic for design) ?
La question d’un passage à l’échelle
Reste la question du passage à l’échelle, problématique essentielle tant l’usage de la robotique en éducation reste aujourd’hui l’apanage d’une minorité.
Sur cette question, tous les acteurs de la table ronde, qu’ils soient représentants d’entreprises privées, du ministère ou de collectivités ont reconnu la difficulté d’un passage à l’échelle sans une véritable volonté politique nationale, alors que les enjeux posés par la robotique, la programmation, et la culture numérique en général sont loin d’être intégrés et compris par la majorité des enseignants, des parents d’élèves, des élus.
Pour Bruno Devauchelle, la généralisation est d’ailleurs hors de portée, d’abord parce que nous n’en avons pas les finances nécessaires. En revanche, il pense que nous pouvons accepter qu’il y ait différentes façons d’aborder les choses pourvu qu’on ait un sens global.
Et pour conclure, une carte mentale réalisée par @maternellenum sur un atelier dédié à la continuité pédagogique de la robotique de l’école à l’université. Tous les sketchnotes sont de @AnneCeCallejon, merci à elle et à @yannpoirson qui n’était pas loin !
Dernière modification le mardi, 30 octobre 2018