fil-educavox-color1

Un Colloque Digital Natives s'est déroulé à l'Université Bordeaux Montaigne le 26 mars 2025 sur la question : Comment le numérique réinvente les mécanismes de manipulation de l’information ? Ce sont les étudiants de première année qui gérent cette journée, sous la coordination d’Oscar MOTTA, enseignant à l’IUT.

L’Institut universitaire de technologie de Bordeaux Montaigne, fondé en 1967, prépare aux métiers de l’information, de la communication, de l’animation, de la gestion urbaine, de la médiation artistique et culturelle, de la publicité, du multimédia et de l’internet. Il propose des enseignements universitaires en lien avec la réalité professionnelle et un partenariat avec les entreprises ; ainsi cet IUT assure des formations sanctionnées par un Bachelor (BUT) et une Licence professionnelle.

La journée Digital Natives s’organise autour de tables rondes consacrées aux mécanismes de manipulation de l’information et plus particulièrement comment l’ère numérique a révolutionné la production des informations, leur diffusion et consommation. Ce sont les étudiants de première année qui gérent avec un réel professionnalisme les différents temps de ce forum, sous la coordination d’Oscar MOTTA, enseignant à l’IUT.

Les outils technologiques permettent aujourd’hui de créer des contenus sophistiqués capables de duper nos sens, influencer nos opinions et remodeler nos réalités collectives.

Ce sont des enjeux essentiels qui sont devant nous, en lien avec la confiance dans nos modes de communication, la démocratie et l’éthique dans une société de plus en plus interconnectée…

Les phénomènes comme les « deepfakes », les campagnes de désinformation automatisées ou l’exploitation des biais cognitifs à grande échelle, redéfinissent les dynamiques de pouvoir et de persuasion. Ces pratiques interrogent les fondements de notre rapport à la vérité, à la preuve et la compréhension de notre environnement.

L'usage du numérique joue un double rôle dans ces mutations :

Il est à la fois l’outil principal de ces manipulations et une arme puissante pour les contrer. Les plateformes, algorithmes et innovations façonnent nos interactions sociales, tout en amplifiant les risques liés à la polarisation, aux bulles informationnelles et à la désinformation.

La table ronde consacrée aux propagandes et influences à travers les réseaux sociaux a permis à Dominique BOULLIER, Professeur émérite à Sciences Po, et Arnaud LEVY, Chercheur associé à l’IUT Montaigne, d’échanger et de développer de nombreuses pistes pour mieux appréhender les mécanismes en jeu…

Pour Dominique BOULLIER, le développement des propagandes, stratégies de manipulation des populations, par les médias et les réseaux sociaux aujourd’hui,  issu des régimes totalitaires, menacent nos démocraties : les opinions publiques sont influencées à travers les publicités, les messages et influenceurs des réseaux sociaux, les campagnes politiques.

Le citoyen pense décider seul, mais une véritable influence est mise en place par un flot d’informations, avec des algorithmes qui ciblent les publics. Les plateformes et les communautés qui relancent la même information créent un « cercle d’information » restreint avec une sélection des contenus et des Intelligences artificielles qui amplifient ces mécanismes et la puissance des plateformes : c’est une véritable perturbation du rapport au « vrai » qui est mis en place, sans régulation importante pour l’instant… Ce phénomène est assez ancien, à partir des années 2007/2008, avec la mise en place de plateformes rémunérées (Facebook…) associée à une volonté de capter l’attention des utilisateurs, en lien avec des revenus énorme par la publicité : c’est un modèle attentionnel jouant sur des mécanismes cognitifs spécifiques pour nous habituer à certains types d’informations et conquérir des marchés (modèle économique très lucratif). 

Il apparaît essentiel de rendre transparente cette démarche et séparer les régies publicitaires de l’activité en réseau au regard de la position dominante actuelle.

Développer l’esprit critique, les formations à l'Éducation aux médias et à l’information (EMI), imposer aux plateformes et réseaux sociaux des règles plus éthiques avec des algorithmes plus lisibles.

Il s'agit de lutter contre ces désinformations, contre l’irresponsabilité des plateformes hébergeurs et rester lucide sur l’opposition entre la culture européenne comportant certaines règles et la liberté absolue aux USA. La compréhension des 4 régimes d’attention donne une lecture fine des processus utilisés et permet de rester vigilant sachant que les influenceurs et propagandistes l’exploitent pour nous contrôler et générer des revenus ; développer ainsi une forme d’auto-contrôle en limitant la durée d’exposition et sélectionner / hiérarchiser les informations diffusées dans son propre réseau :

A 1 apture décran 2025 04 07 092405

Pour Arnaud LEVY, c’est le rapport au temps qui est à reconsidérer : L’accélération imposée par le développement des techniques (outils numériques, IA…), les changement sociaux et le rythme de vie (urgences à gérer…) nous décalent par rapport à la vie et à la qualité des relations entre individus.

C’est une forme de décroissance planifiée qui devrait être mise en œuvre par les démocraties avec un nouveau mode de vie plus calme et serein, exploitant de nouveaux médias sociaux, plus transparents, outils numériques d’intérêt général se référant à des critères clairs et partagés :

Prendre le temps de dialoguer en fonction des besoins réels, poser la question de l’intérêt du numérique, évaluer les conséquences écologiques à long terme (prudence vis-à-vis des risques), mettre en place une appropriation du numérique (apprentissage et pratiques), se donner la liberté d’attention (pas d’obligation à consulter) et droit à la non-connexion, choix démocratiques et transparents des décisions (forme de droiture et éthique), gouvernance compatible avec l’intérêt général et pas uniquement avec les profits financiers et commerciaux, respect de la loi (droit du travail…), logiciels libres et temps pour l’appropriation, respect des personnes (droit à ne pas partager ses données…), accessibilité et simplicité, cultiver le beau (s’émerveiller à nouveau) et la modestie, démarche résiliente avec réindustrialisation sur notre territoire, hébergement juridique en Europe en lien avec une souveraineté retrouvée (se détacher des GAFA), sécuriser et prudence dans les usages (cybersécurité…).

L’objectif est de réguler la domination des réseaux numériques :

Il y a nécessité d’une réelle politique du numérique cohérente, intégrant une dimension d’éducation avec une formation des enseignants autour des questions d’éthique et de régulation des usages. Lutter contre les fantasmes du « Moderne » et de la « Technologie toute puissante » qui contrôle de plus en plus nos modes de vie et faire société autrement.

Morgane PETIT, médiatrice scientifique et Etienne MERLE, journaliste-rédacteur au journal « Les surligneurs », lors d’une seconde table ronde, mis en évidence les éléments clés pour vérifier les informations afin de restaurer la confiance et de développer une éducation aux médias, constitutive d’une citoyenneté éclairée et lucide…

Pour Etienne Merle, plusieurs critères sont à prendre en compte, à la fois au niveau du professionnel de l’information que du citoyen :

  • Développer la collaboration entre chercheurs en droit et journalistes pour lutter contre les stratégies de désinformation et « éclairer » les citoyens, en particulier sur l’influence des IA ;

  • Offrir des clés de compréhension de l’actualité ;

  • Sécuriser les moyens de production avec des règles de prudence, en particulier vis-à-vis de l’écriture (s’en tenir aux faits) ;

  • Vérifier les sources et la véracité des faits ; croiser les sources ;

  • Restaurer la confiance dans nos démocraties et les médias ;

  • Douter et s’interroger dans le cadre d’un positionnement équilibré…

Pour Morgane PETIT, les réseaux sociaux sont devenus la principale source d’information des jeunes, en lien avec la facilitation des usages des smartphones et des formats des plateformes ; les « bulles informationnelle » créées dans les communautés ne font que renforcer une forme d’enfermement dans un univers restreint avec des « biais cognitifs » et des croyances non fondées…

Elle préconise un développement de l’EMI, avec un entraînement à la démarche scientifique et à l’esprit critique : douter et se poser de bonnes questions (identifier ses représentations, les vérités illusoires et répétées…), formuler des hypothèses, vérifier et croiser les sources (manière de traiter les informations) ; partager des informations vérifiées et fiables. Rester vigilant et adopter un positionnement raisonnable…

Les enjeux développés lors de cette journée rejoignent pleinement ceux mis en évidence par l’association An@é dans son projet pluriannuel « Les intelligences artificielles et l’esprit critique » avec un nouveau temps fort prévu le 26/11/2025 centré l’évolution de nos sociétés, sur l’écosystème en mutation et la citoyenneté numérique à interroger aujourd’hui. (Les IA et l'esprit critique 2024)

Robert Sauvaget

Président An@é

Dernière modification le lundi, 07 avril 2025
Sauvaget Robert

Président de l'An@é. Ancien instituteur, maître-formateur et conseiller pédagogique, chargé de cours à l'IUFM pendant deux ans, puis inspecteur en charge d'une circonscription du 1° degré depuis 2003 à Bordeaux.  Engagé dans plusieurs actions centrées sur des questions d'éducation et de partenariat dans le cadre institutionnel et associatif.