Depuis un an, l’école a été confrontée à l’interruption de lien physique entre élèves, entre enseignants et élèves, puis à une intermittence de l’acte pédagogique. Une nouvelle pédagogie hybride devait alors se mettre en place alternant travail en présence et à distance, bénéficiant dans le meilleur des cas des compétences numériques acquises par les élèves dans les réseaux sociaux et associant aussi le rôle éducatif des parents.
Sommes - nous entrés de fait dans une continuité éducative ?
Se posent en effet diverses questions :
À l’heure où la jeunesse est profondément modelée par la culture numérique, est-il possible d’utiliser ces nouvelles compétences pour construire un continuum éducatif, dans une période où l’école fonctionne par intermittence, alternant présentiel, distanciel et périodes creuses ?
L’enjeu est double, car d’une part l’éducation doit être partagée plus que jamais entre la famille et l’école, mais l’éducation doit aussi être mise en œuvre avec tous les acteurs de la formation des jeunes, les collectivités responsables des environnements matériels et sociaux, les associations.
Et d’autre part, dans la période que nous vivons, on ne peut laisser se creuser un fossé entre l’école et les attentes de la jeunesse, car l’école se doit d’apporter les moyens de communication et d’accès à la connaissance qui ont cours dans le monde qui nous entoure. Dès lors, comment garantir la confiance de la jeunesse dans l’école et la crédibilité de l’école pour la jeunesse, si les usages du numérique continuent de creuser cet écart entre les deux ?
A l’heure où la jeunesse est profondément modelée par la culture numérique, est-il possible d’utiliser ces nouvelles compétences pour construire un continuum éducatif, puisque l’école fonctionne par intermittence, alternant présentiel, distanciel et périodes creuses ? Comment créer ce continuum éducatif et sur quelles bases ?
On a beaucoup parlé des jeunes de la génération Y (nés entre 1980 et 2000), et nous sommes aujourd’hui en présence d’une nouvelle évolution : la génération Z (nés à partir de 2000) composée des jeunes qui sont nés dans le numérique et n’ont jamais connu un monde sans réseau informatique ou social.
Cette réalité nous pose de nouvelles questions.
Nos objectifs seront de faire le point sur les pratiques numériques de jeunes confrontées à la réalité du numérique dans la culture scolaire aujourd’hui. Nous voudrions aussi montrer dans quelle mesure les compétences acquises par les jeunes dans leur vie sociale hors de l’école peuvent s’inscrire dans l’évolution de la forme scolaire pour construire un continuum éducatif pouvant seul éviter des ruptures néfastes.
L'An@é a organisé une table ronde dans le cadre du Forum International du Numérique pour l’Éducation le 27 mai 2021.
Nos invitées : Sabrina Caliaros, Directrice de région académique du numérique pour l’éducation, dans la région académique Occitanie (Toulouse et Montpellier). et Anne cordier, Maîtresse de conférences HDR en Sciences de l'Information et de la Communication, Université Rouen Normandie, UMR ESO. Pour coordonner les échanges, Michel Pérez, président de l'association An@é.
Pour voir ou revoir la table-ronde dans son intégralité :
https://www.in-fine.education/session/22e0951f-e896-eb11-b566-501ac5dd82e5
M. P : Anne Cordier, comment définir la « culture numérique » dont ces jeunes sont porteurs ?
Il s’agit tout d’abord de se prémunir contre certains préjugés. La culture numérique des jeunes revêt des formes extrêmement diverses mais n’est pas si éloignée des pratiques courantes. Nous avons tous une forme de culture numérique mais celle-ci est plus ou moins adaptée aux apprentissages ou aux différentes pratiques.
L’inégalité sociale se niche dans les usages numériques. Cette culture n’est pas aussi poreuse qu’on pourrait l’espérer et ils n’activent pas les mêmes pratiques. Ainsi, ils peuvent par exemple utiliser Wikipédia chez eux mais pas à l’école ils projettent que ce n’est pas « validé » du point de vue académique.
Quelles sont les compétences acquises par les jeunes qui peuvent être mises au service de leurs pratiques numériques et l’école ? Pour quels types d’activités et de projets ?
Leur culture numérique est plus riche qu’on l’imagine. Ils ne font pas que des jeux, des vidéos rigolotes ou des choses inutiles !
Perdent-ils leur temps sur les réseaux sociaux ? Non. Ils découvrent, s’informent, apprennent, communiquent, se socialisent
M.P : Sabrina Caliaros, comment l’institution scolaire apporte-t-elle à ces jeunes un environnement d’apprentissage compatible avec leurs attentes, leurs habiletés, leurs compétences dans les usages du numérique ?
Les jeunes apprennent aussi hors de l’école. A Montpellier, les lycéens du Conseil Académique de la Vie Lycéenne ont organisé une plateforme solidaire pour ceux qui n’avaient pas accès aux plateformes, dans le cadre des environnements numériques d’apprentissage, avec l’aide des services de la DRANE pour être en conformité avec le RGPD. Ils ont ainsi développé des stratégies de travail et des compétences nouvelles intégrant par exemple, des tutoriels, des aides de tuteurs, des youtubeurs et en animant les réseaux sociaux.
M.P : Dans les crises se révèlent les questions, les besoins et les idées. Une solidarité inter-jeunes s’est -elle mise en place ?
Anne Cordier : On ne peut pas être déterministe mais on peut dire que les jeunes sont sensibles à de nombreuses causes, Egalité Femmes/Hommes, homophobie, écologie… et ils utilisent le loquet d’action des réseaux.
Les réseaux ne font pas naitre les revendications mais les jeunes en perçoivent tout le potentiel.
Il y a donc bien des valeurs à mettre en action et des compétences à reconnaitre (en comprendre le sens). Quelles valorisations, quels projets pour assurer ce transfert de compétences ?
Il y a certes, des connaissances et des compétences que seule, l’école peut garantir pour tous et il est de la responsabilité de l’école de donner des compétences à tous (Ecrire un mél, un CV, développer des stratégies réseaux…) pour s’intégrer au monde social.
Sabrina Caliaros : L’espace dans les ENT pour communiquer entre eux relève d’un principe démocratique : leurs engagements, leurs compétences à l’oral pour convaincre notamment, la manière dont les réseaux impactent leur image…Tout ceci entraine des émulations et a des vertus démocratiques ! Il n’y a pas que des fakes !
Pix (https://pix.fr/) permet de certifier des compétences et permet de développer une culture professionnelle, connaitre les principes de la protection des données, construire sa citoyenneté numérique.
Il s’agit de signaler que les problèmes technologiques, l’exclusion des techniques et des équipements sont de séreux freins à l’appropriation des techniques numériques à des fins d’apprentissage.
A noter aussi que Pix ne peut pas tout évaluer. Compétences et culture sont deux choses différentes ! Comment certifier le partage, la collaboration, la sensibilisation aux « Communs », au « libre », la citoyenneté… ?
M.P : Comment la Drane et les Dane collaborent-elles avec les collectivités, le secteur périscolaire et les associations d’éducation populaire ?
Sabrina Caliaros : Il s’agit bien d’une gouvernance partagée avec les collectivités et le réseau des médiateurs numériques, les associations, pour des activités et projets à réaliser dans et hors le cadre scolaire. Construire des projets communs, puis se former ensemble (Exemple d’un projet avec le CASNAV, la mission illettrisme, les médiateurs…) Il s’agit bien là d’intentions politiques et de de volonté de synergie ! Il manque cependant un annuaire pour recenser tous les acteurs !
Anne Cordier : La culture numérique doit être au service de l’égalité des chances pour une insertion dans la société économique et culturelle.
Cependant les inégalités entre écoles sont flagrantes ! Comment alors favoriser en formation initiale des professeurs, le transfert entre les apports de formation et les réalités du terrain ? Comment former à ces questions dans le cadre d’une formation de 18 heures ?
Culture numérique et culture scolaire peuvent certainement s’inscrire dans un continuum. Cependant, les inégalités sont encore présentes à de nombreux niveaux. Les variables ne se heurtent-ils pas à des approches individuelles et socio- politiques trop différentes ? Le modèle « école » ne se heurte-t-il pas à une société où le numérique à transformé toutes les approches ? Merci donc à tous ceux qui œuvrent à ce maillage culturel…Il y a tant à faire encore !
Michelle Laurissergues - Michel Pérez
Dernière modification le vendredi, 20 décembre 2024